La mère est atterrée. Sa grande fille de bientôt 15 ans a la rougeole, et elle ne va pas bien du tout. Dans les yeux de la mère, on la voit presque se refaire le film. Le pédiatre. Les magazines. Les amis. Les conseils contradictoires. Son enfant. Les hésitations. Les craintes. La décision toujours repoussée : plus tard on y verra plus clair, elle sera plus grande...
La réalité est parfois bien difficile.
Et pas seulement celle qui nous touche avec précision, à un moment donné. Comme celle qu’il faut maintenant expliquer, à cette adolescente, et à sa mère. Avec ses nuances, ses incertitudes, son côté probabiliste, certes, mais aussi son côté tenace. Mais je pensais que... et puis non. Le principe de réalité, dit-on parfois. En médecine, on y est beaucoup confronté. Ailleurs ? Parfois. Pas partout. Pas toujours.
Et on a parfois l’impression qu’il est difficile en tant que tel, ce côté... réel, non ? Ce noyau dur qui reste, malgré tout le génie d’opinions et d’interprétations que nous autres humains mettons dessus. Ce fut du coup très étrange que de comparer l’actualité britannique et l’actualité suisse il y a quelque temps. Car en Angleterre, on publie l’analyse approfondie de l’histoire de Wakefield. Celui-là même qui avait ouvert la question d’un lien entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme, et ainsi lancé la discussion dont la patiente de tout à l’heure fut une victime. Une question pas absurde à la base, mais dont on sait désormais depuis longtemps que la réponse est non. Aucun lien entre la vaccination et l’autisme. Et les dernières nouvelles sont édifiantes : le BMJ décrypte ces temps, chapitre après chapitre, l’histoire d’un cas de conflit d’intérêts massif et mal géré.
En clair, l’étude de Wakefield était frauduleuse, et il a été payé par un groupe qui aurait souhaité – déjà – trouver littéralement à tout prix des motifs pour mettre en cause le vaccin contre la rougeole. Ces révélations ont même convaincu certains opposants traditionnels à la vaccination. Mais pour nombre d’entre eux, il aura jusqu’alors suffi que Wakefield se pose en victime pour qu’il gagne du crédit sans avoir à répondre à la critique. Dans une histoire comme celle-là, savoir si le risque est réel ne suffit manifestement pas.
Du coup, j’espère que vous me pardonnerez si j’ai commencé par sourire en voyant nos nouvelles à nous, en Suisse. Car c’est à peu près en même temps que l’on décida que certaines médecines parallèles seraient à nouveau prises en charge par l’assurance de base. On pouvait bien sûr y voir un autre exemple de nos dénis. Il semble que nous ayons, finalement, sacrément envie de ne pas avoir à vérifier si un traitement marche réellement.
Mais c’est aussi d’abord la victoire d’un lobby. Et les utilisateurs des médecines parallèles, de celles dont il s’agit ici, ne sont après tout pas n’importe qui. Majoritairement plutôt jeunes, plutôt bien éduqués (pour celles dont on parle ici) donc (nous sommes en Suisse) majoritairement pas parmi les plus pauvres. A l’heure où l’on rabote les angles des coûts de la santé (la couverture des médecines parallèles, ça paierait un certain nombre de lunettes) il n’est donc pas véritablement surprenant qu’on leur fasse ce qui équivaut à un fort joli cadeau.
En médecine, vous disais-je, le principe de réalité on y est souvent confronté...
1 commentaire:
Je dirais même plus, on y est confronté tous les jours. Excellent article.
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