Vie privée, vie publique, 'vol d'identité', on a beaucoup causé de tout ça autour du passeport biométrique. Et il a du coup aussi été question de réseaux sociaux. Est-on devenus moins sensibles à l'étalage de notre vie quotidienne dans les espaces ouverts? Ou au contraire davantage? Après tout, n'est-ce pas raisonnable de penser que plus on révèle 'tout', plus l'importance stratégique de ce que l'on révèle ou non grandit?
Facebook, un des principaux réseaux ciblés dès qu'il s'agit de parler des dangers de la vie en ligne, est assez nouveau pour que mon vérificateur d'orthographe s'offusque. C'est en même temps déjà assez ancien pour être utilisé par des politiciens, qui ne sont en général pas carrément l'avant-garde de l'adoption technologique. Si c'est tellement utilisé, c'est en fait justement parce que ça ne représente pas une nouveauté radicale, mais une nouvelle manière de faire un truc vieux comme le monde. Il paraît que le langage aurait évolué pour nous permettre de mieux gérer nos réseaux de relations personnels et échanger des potins. Eh bien Facebook vous branche de la technologie là-dedans: pas étonnant que ça marche.
Le risque vient justement du fait que ça marche trop bien. Donnez les moyens de faire un truc pour lequel on est suprêmement câblés, et on a un peu tendance à oublier que la table autour de laquelle on chuchote a la dimension de la planète. Et beaucoup plus concrètement, qu'elle inclut les personnes à cause desquelles, justement, on aurait tendance à chuchoter. Les situations décrites dans le dessin ci-dessus ne sont malheureusement plus hypothétiques. Des licenciements ont effectivement eu lieu. On sait aussi que des réseaux créés spécifiquement pour des médecins offrent un accès payant aux représentants de l'industrie pharmaceutiques intéressés par l'idée d'écouter aux portes. Les usagers de facebook sont d'ailleurs conscients d'un risque, puisqu'ils se sont offusqués à l'idée de voir leurs données personnelles transmises plus loin. Mais il y a quelque chose d'illusoire à vouloir interdire le partage d'informations...déjà partagées. Et on sait depuis un petit tour de force du Tigre que si vous êtes un usager 'normal' d'internet de la génération Y, votre vie entière pourrait sans doute être explorée en ligne...
En même temps, ces systèmes ont une vraie utilité. On propose même d'en étendre pour permettre des choses comme le stockage de données médicales (par exemple sur Google health). Mais la sauvegarde initialement prévue était...de vous signaler après coup si quelqu'un a consulté votre dossier. Pas franchement suffisant. Surtout si l'accès est, à la base, ouvert.
L'illusion d'optique, c'est qu'aucun des problèmes évoqués ici n'est vraiment nouveau. Comment protéger nos informations personnelles. Que voilà un enjeu ancien. On en prend tellement soin au quotidien qu'on ne s'en rend presque plus compte. Implicitement, on fait ces distinctions entre ce qu'on révèle à tout le monde, à nos proches seulement, voir au miroir dans le plus grand secret. Comme on fait ces différences sans y penser, le résultat est une stratification des informations sur nous-même. Un problème d'honnêteté? Comment ferait-on si elle exigeait qu'on dise tout à tout le monde? En tant que médecin, je suis comme tous mes collègues assez souvent la cible de demandes de consultations 'informelles' dans les situations les plus saugrenues. Qu'un proche me demande conseil sur la fièvre du petit dernier, OK, bien sûr. Mais que dire à l'ami qui m'accompagne en vacances, quand l'épicière du coin commence à me raconter en long et en large sa chirurgie gynécologique? Et ce conducteur de taxi qui avait mal au ventre, l'aurait-il raconté à un autre passager? On accepte dans la vie courante un tas de règles implicites sur ce que l'on dit, à qui, et quand.
Les réseaux sociaux nous mettent face à un nouvel avatar de cette réflexion. Et le problème, c'est que trop souvent elle n'y a pas lieu. Habitués à l'implicite, les humains qui peuplent ces lieux y entrecroisent trop souvent leurs strates. Parfois jusqu'à en faire les frais. Alors quelques précautions. Les principales sont indiquées ici: en bref, choisissez ce que vous publiez, contrôlez les paramètres d'accès de votre compte, et utiliez la possibilité de donner un accès différencié à différents groupes d''amis'. Simple prudence. Au passage, vous constaterez que si c'est surtout Facebook qui fait glauser (la glose où l'on cause beaucoup) sur l'effacement des frontières que l'on trace habituellement entre notre sphère privée, et la sphère publique, c'est probablement justement à cause de sa relative ancienneté. Après tout, on vous y laisse au moins trois niveaux de contrôle: ce que vous y mettez, à qui vous montrez votre profil général, et à qui vous en montrez des parties spécifiques. Sur Twitter, votre seul contrôle est le choix du contenu affiché, et la possibilité de bloquer l'accès à vos commentaires pour un utilisateur indésirable. Mais on peut vous y suivre sans vous demander votre accord. C'est l'intérêt du système mais, selon ce que vous y mettez, c'est aussi son risque.
L'éthique dans tout ça? La raison pour laquelle on exige un degré de contrôle sur nos informations personnelles, cette auto-détermination qui s'étend aux informations privées et qui est aussi un des piliers du secret médical, c'est justement qu'une fois ces informations devenues publiques, qui sait qui en fera quoi? On peut craindre que Google ne se serve des informations de ses utilisateurs à des fins personnelles. Et on peut aussi après tout craindre que votre assureur n'utilise une information médicale contre vous. Mais dans un cas comme dans l'autre, ces informations nous appartiennent: à qui en vouloir, finalement, si nous les révélons nous-même?
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