Dominique Sprumont, un collègue juriste qui est professeur à l'Université de Neuchatel, a écrit dans Le Temps une remarquable analyse de l'affaire du meurtre de la sociothérapeute de La Pâquerette. Si ce n'est pas déjà fait, allez le lire. Ce genre d'analyse est difficile, et vraiment très importante. Si cette affaire suscite tant d'émotions, c'est que l'on voit bien qu'elle mobilise des enjeux qui doivent être parmi nos priorités. Mais comment les protéger, ces priorités? Pas si évident au fond. Et sous le coup de l'émotion c'est encore plus difficile, alors même que ces émotions sont là parce que c'est important. Comme d'habitude, un extrait et le lien:
"Les attaques récentes dont fait l’objet le monde de l’exécution des peines au sens large, que ce soit dans l’affaire Carlos ou celle de Fabrice A., voient les problèmes par le petit bout de la lorgnette. Notre droit pénal repose sur plusieurs piliers. La protection de la société contre les individus en fait partie. L’objectif de réinsérer ces mêmes personnes dans notre société également. Ces deux objectifs ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Le premier ne peut être atteint sans le second. En effet, notre système, avec la part importante qu’il offre aux mesures thérapeutiques, permet de limiter les risques de récidive de manière relativement efficace en comparaison internationale. Lorsqu’un drame se produit, personne ne peut rester indifférent. Il s’agit d’un échec aux conséquences dramatiques, surtout pour les victimes et leurs familles. Mais pensons aussi à toutes les victimes qui ne l’ont justement pas été grâce au système de prise en charge des criminels dans notre pays. Il ne faut pas oublier cette souffrance évitée avant de proposer un renforcement de la répression dans les prisons au détriment de la réinsertion."
Une des choses les plus importantes ici est de distinguer les mesures thérapeutiques et sanctionnelles. Les deux sont importantes, leurs acteurs respectifs doivent pouvoir travailler ensemble, leurs objectifs sont en partie les mêmes, mais elles sont différentes et doivent être reconnues comme telles. Un autre extrait:
"La pratique médicale et particulièrement psychiatrique en milieu carcéral est une tâche complexe qui demande non seulement de maîtriser les règles de l’art médical, mais aussi de savoir s’intégrer dans un monde de contraintes et de contrôle. Les médecins et les soignants ne sont pas sous les ordres des autorités pénitentiaires, mais ils doivent collaborer étroitement avec elles. Chacun prend ses propres responsabilités, tout autant importantes du point de vue de la société. Vouloir mettre ces deux partenaires dos à dos ne peut que compliquer une situation déjà complexe."
Cette différence entre partenaires, on a trop souvent tendance à la gommer. Et ça c'est toujours une mauvaise idée. Pour toute une série de raisons.
Une dérive imaginable est qu'à trop confier aux uns la tâches des autres, des lacunes peuvent apparaître. Il est donc crucial de s'en garder, pour continuer de faire bien l'une et l'autre de ces tâches.
Une autre dérive possible: on observe de plus en plus une tendance à vouloir médicaliser le crime. C'est une autre manière de mélanger, à laquelle il faut aussi résister. Ce mélange mène à vouloir que le psychiatre soit l'expert de toutes les dangerosités, qu'elles soient ou non dues à une maladie mentale. Un rôle problématique, pour une profession experte en ce qui concerne la maladie mentale, mais pas en ce qui concerne toutes les formes de dangerosité.
Et puis médicaliser le crime, ça peut être rassurant: ça permet de penser que chaque crime violent s'explique nécessairement par une maladie. Ca nous permet de penser que la personne qui a commit ce crime n'est, fondamentalement, pas comme moi. Pas seulement parce qu'elle aurait commis un acte que je me sais incapable de commettre, ce qui après tout est vrai, mais plus fondamentalement que ça: on en vient parfois à considérer que cette personne serait en quelque sorte en dehors de la communauté des humains. C'est dangereux. C'est vouloir traiter certains accusés avec justice, et d'autres par la seule vengeance (une très bonne analyse de l'avocat Philippe Currat se trouve derrière ce lien). En plus c'est faux. Triplement faux. Parce que les criminels sont des humains, parce que les personnes atteintes de maladies mentales sont des humains, et parce que les criminels ne sont pas tous atteints de maladies mentales. Et bien sûr, la plupart des personnes atteintes de maladies mentales ne commettront jamais de crimes, violents ou autres. Sous le coup des émotions, chacun pourra comprendre que l'on fasse des raccourcis un peu rapides. Mais une fois ce temps initial passé, il est important de refaire, autant que possible, la part des choses. Ceux qui nous le rappellent font un travail crucial, et qui n'est pas tout simple.
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