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Quand nous parlons de justice


Je vous met comme d'habitude mon dernier billet dans le Bulletin des Médecins Suisses, avec le lien vers l'original.

Cette fois, j'ai vraiment senti le manque de place dans le format. L'idée est de continuer la petite série des pauses cafés de l'éthique, où j'avais déjà parlé de directives anticipées, et d'autonomie. Cette fois-ci, c'est la justice distributive. Un gros morceau, pas entièrement adapté au format d'une pause café. J'ai néanmoins tenté l'exercice. N'hésitez pas à commenter!

Et puis l'image: allez jeter un oeil en ligne, vous verrez qu'elle a toute une série de variantes dont certaines sont bien trouvées.

Voici le texte:

«Et la justice distributive, dans tout ça?» Lorsque cette question surgit en consultation d’éthique, les regards se font fuyants. La justice est une autre de ces valeurs importantes mais souvent difficiles. Comment faire? Je vais à nouveau vous faire une «pause-café de l’éthique», car ici aussi quelques éléments assez simples permettent déjà d’y voir plus clair. Vous êtes prêts? Alors on y va:

Premier élément, nous recherchons dans la médecine une égalité plus grande que dans la société en général. Nous tolérons objectivement une grande quantité d’inégalité dans nos sociétés, mais il est tout aussi clair que nous n’accepterions pas que certains soient soignés 200× mieux que d’autres. Cette différence est-elle le résultat d’une conscience de notre fragilité commune, ou du bien commun qu’est notre système de santé? Ici peu importe: plus d’égalité dans la santé qu’en dehors est une attente sociale claire. Pour les professionnels, cela veut dire que la porte du système de santé devrait être en quelque sorte étanche, ou aussi étanche que possible, à des facteurs comme 
le statut social ou les moyens financiers des patients. La justice dans la santé est une exigence pratique, et plutôt élevée.

Ensuite, la question de la justice est souvent posée quand, en fait, on doute du bien-fondé d’une intervention. Ce n’est alors pas le coût élevé, qu’il soit financier ou humain, qui nous fait hésiter: c’est l’idée que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il faut donc commencer par examiner si, effectivement, le bien pour le patient vaut le fardeau pour lui. Si ce n’est pas le cas, on n’est pas devant une question de justice, mais devant une question de limites raisonnables et d’acharnement thérapeutique.

Lorsque se pose effectivement une question de justice, il s’agit de soigner chacun selon ses besoins en termes de santé. Ensuite, plusieurs versions coexistent: s’agit-il de répondre à ces besoins de la manière la plus égale possible? De répondre en priorité aux plus nécessiteux? Ou de faire en priorité ce qui fera le plus de bien? Poussée à l’extrême, chacune de ces versions érode la possibilité des autres. Dans le doute, on peut les combiner en cherchant le chemin qui évite autant que possible l’injustice, sous ces trois formes. En médecine, nous connaissons cela: les médicaments doivent aussi parfois être combinés, et parfois cela implique d’en mo­difier la dose. Cela donnera un résultat imparfait, mais ce sera quand même un bon résultat: plutôt que parfaite, la justice dans la santé doit être suffisante.

Une composante essentielle de cette justice suffisante est la non-discrimination. On ne doit pas faire moins (ni plus) pour un patient en raison de caractéristiques ­personnelles sans lien avec ses besoins. Etre âgé, par exemple, peut changer nos besoins, mais cela ne change pas leur importance. Un autre aspect important ici est que la justice dans la médecine est distributive et non punitive: nous sommes parfois tentés de donner moins de priorité aux patients que nous voyons comme responsables de leur maladie, mais ce n’est pas notre rôle.

Appliquer la justice distributive en médecine, c’est donc ­tenir compte de plusieurs facettes et opérer une certaine résistance contre certains de nos a priori sociaux et personnels. La justice, même si cela se laisse expliquer en quelques points, c’est sans doute effectivement une des dimensions les plus délicates de l’éthique ­médicale. Pour éviter que cet exercice ne devienne trop subjectif, prendre une décision à plusieurs peut la rendre plus équitable. Certains éthiciens prônent même cet élément, la justice procédurale, comme une condition nécessaire de l’équité. En clinique, discuter en équipe plutôt que seul est un pas dans cette direction.

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Don d'organes: reparlons du consentement proposé

J'ai donné une conférence récemment sur le consentement au don d'organes. En Suisse, comme dans un certain nombre d'autres pays, on songe régulièrement à passer du système actuel du consentement explicite au système du consentement présumé. C'est une question dont je vous avais déjà parlé ici. Je vous avais déjà dit que je trouvais qu'une troisième option était ici là bonne: le consentement proposé. 

Voilà comment on pose habituellement la question:

Lorsqu'une personne décède, on ne peut actuellement prélever ses organes que si elle a pris le temps de faire une carte de donneur. Or, la plupart des personnes ne prennent pas le temps de faire cette carte, même si en fait elles seraient d'accord de donner leurs organes après leur mort. En fait, c'est entièrement compréhensible que nous préférions ne pas penser à notre propre mortalité. Mais ici le résultat est que nous ne prélevons pas des organes de personnes qui auraient en fait été d'accord, et le résultat de ça c'est que des patients meurent en liste d'attente, faute de transplantation.

Lorsque l'on pose la question comme ça, c'est entièrement normal de se dire que le consentement présumé semble être la solution. Dans ce système, on part du principe que la personne qui est décédée serait d'accord de donner ses organes sauf si elle a fait la démarche de s'y opposer. L'idée est donc que hop, un petit changement de loi, chacun reste libre de dire non, et on aura augmenté le nombre de transplantations et ainsi le nombre de vies sauvées.

En fait, quand on regarde ce qui est arrivé dans les pays qui ont fait ça, les chiffres sont très décevants. Ce n'est tout simplement pas vrai que passer du consentement explicite au consentement présumé augmente le nombre de greffes. Ou plutôt, ce n'est pas sûr. Il y a des pays où ça a été le cas, d'autres où non, il y a même des pays où ça a été suivi d'une chute du don d'organes.

Que se passe-t-il? En Suisse, on sait en fait pas mal de choses sur les circonstances du don d'organes. Et il y a un fait plutôt méconnu qui transforme la question:

Lorsqu'une personne décède, on ne peut actuellement prélever ses organes que si elle a pris le temps de faire une carte de donneur, ou si ses proches consentent au don à sa place. Or, la plupart des personnes ne prennent pas le temps de faire cette carte, même si en fait elles seraient d'accord de donner leurs organes après leur mort. En fait, c'est entièrement compréhensible que nous préférions ne pas penser à notre propre mortalité. Nous n'en parlons souvent même pas avec nos proches. Le résultat est que lors de notre mort, ils ignorent si nous étions ou non d'accord de donner nos organes. Dans le doute, beaucoup de proches préfèrent dire non.

En Suisse, seul environ 5% des prélèvements d'organes chez des personnes décédées ont lieu sur la base d'une carte de donneur. Tous les autres se fondent sur le consentement de membres de la famille du mort. Tous les autres, c'est à dire presque tous. On n'en prend que rarement la mesure. Ces proches endeuillés, comment leur reprocher de préférer, souvent, et dans le doute, dire non? Mais aussi, comment s'attendre à ce leur situation change si nous passions au consentement présumé? Peu de gens prennent aujourd'hui une carte. Peu de gens s'opposeraient si nous présumions le consentement. Soit. Mais cela signifie simplement que la plupart des familles resteraient, comme aujourd'hui, dans le doute. Et comme maintenant, dans le doute beaucoup préféreraient dire non.

La solution, c'est de rendre obligatoire ou en tout cas nettement plus insistante la demande que chacun se détermine. On pourrait mettre une case à cocher sur la carte d'identité, ou la carte d'assurance, ou le permis de conduire. On pourrait même ajouter une case "je préfère ne pas encore choisir", mais on rendrait une coche obligatoire pour donner la carte en question. Je me suis trouvée devant cette situation en Amérique, où c'était sur le permis de conduire. L'employée du service des automobiles n'avait rien de menaçant: me rappeler que des accidents arrivent était plutôt utile, et en fait elle avait juste besoin que je lui dise oui ou non pour pouvoir me donner mon permis. Une situation anodine, pas inquiétante pour un sou.

Passer à l'exigence que nous disions tous à l'avance ce que nous voulons, ce n'est en fait pas la mer à boire. Cela soulagerait nos proches dans des circonstances difficiles. Et cela sauverait des vies. C'est cela que nous devrions faire: plutôt que de passer du "oui" que la plupart ignorent, au "non" que la plupart ignoreront, nous devrions mettre le choix à portée facile de chacun et ensuite l'exiger. Pas exiger un grand face à face avec notre propre mort, non. Ce n'est vraiment pas de ça qu'il s'agit. Mais on nous demande tant de choix et tant de décisions de moindre importance dans notre vie... Exiger un face à face avec les deux options, oui ou non, devant une employée que nous devions venir voir de toute manière, franchement ça semblerait acceptable, non?

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Le secret comme protection pour tout le monde

On reparle du secret professionnel, et voilà que c'est à nouveau l'heure de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Je vous le met ci-dessous. Je vous encourage aussi à signer l'initiative de l'Association des Médecins de Genève, que vous trouverez ici.

Et comme d'habitude, le texte et le lien:

La loi sur le secret médical vis-à-vis des détenus, adoptée de justesse par le parlement genevois le 4 février dernier, est une lecture poignante. On y lit entre les lignes la difficulté, la vraie difficulté, à laquelle se sont heurtés nos législateurs. Pour éviter le risque de tragédies futures, ils ont voulu mettre la thérapie des détenus sur écoute, la rendre entièrement accessible à la sécurité. En même temps, ils ont compris que cette démarche était vouée à l’échec, que transformer les médecins en informateurs allait les empêcher de soigner les malades en prison. Que, paradoxe ultime, les mesures thérapeutiques ordonnées par les tribunaux pour les personnes jugées dangereuses perdraient ainsi leur efficacité. Ils ont tenté de mettre des protections, d’éviter la tension, de naviguer entre deux.

A première vue, le compromis peut même avoir l’air assez réussi. Il reflète certainement les pratiques de nos collègues qui travaillent en prison. Il y est prévu qu’en cas d’état de nécessité, les professionnels « informent sans délai » les autorités « de tout fait dont ils ont connaissance et qui serait de nature à faire craindre pour la sécurité de la personne détenue, celle de l’établissement, du personnel, des intervenants et des codétenus ou celle de la collectivité, pour autant que le danger soit imminent et impossible à détourner autrement d’une part, et que les intérêts sauvegardés par une telle information l’emportent sur l’intérêt au maintien du secret professionnel d’autre part ». Qui, devant de tels faits, n’avertirait pas les autorités ? Bien sûr que nos collègues le font. Mais pour voir le problème, il faut comme toujours s’imaginer une loi appliquée dans la réalité. En cas de litige, qui va juger si, effectivement, un fait était « de nature à faire craindre » ? Cela peut après tout recouvrir toutes sortes de choses. Une menace crédible en sera certainement une. Une menace moins crédible ? Pas si clair. Un geste esquissé ? Peut-être. Un regard ? Parfois. Après coup, il sera pourtant trop facile de reprocher à un médecin d’avoir considéré qu’un fait n’était pas pertinent. L’obligation d’informer, avec le risque de sanctions qu’elle comporte, transforme les médecins en fusible. Si nos confrères veulent se protéger contre des reproches futurs, ils n’auront pas d’autre choix que de raconter…plus ou moins tout.

C’est précisément ce que l’on voulait éviter. On avait dans le temps décrit le secret comme un obstacle à la protection de victimes futures, mais en fait il lui est indispensable. Lorsqu’ils ordonnent des mesures thérapeutiques, les tribunaux savent qu’elles sont nécessaires pour limiter la dangerosité future. En soumettant les médecins à une obligation d’informer, on aura sacrifié l’efficacité de la thérapie sans finalement apprendre davantage sur les détenus puisqu’ils cacheront désormais aux médecins ce qu’ils auraient auparavant caché aux autorités.

L’initiative de l’AMG met ici le doigt exactement là où ça fait mal. Prescrire des mesures thérapeutiques sans confidentialité revient à envoyer un chirurgien au bloc en lui interdisant le bistouri. L’initiative transforme donc l’obligation d’informer en droit d’informer, rendant ainsi ses outils à la médecine carcérale. Demander à tout médecin de répondre aux requêtes des autorités, c’est exiger une tâche hautement spécialisée sans formation préalable. L’initiative remplace cette requête par une demande d’expertise en bonne et due forme. Je vous le disais, la loi est une lecture poignante. « Vous avez la solution » semble nous dire le législateur « faites votre travail et protégez-nous contre tout risque futur». Les médecins répondent ici calmement que bien faire notre travail, assurer notre part de protection, exigera une loi légèrement différente. Un bel exemple de professionnalisme. Espérons que la population suivra.

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Mes collègues: mesures de protection

Certains de mes collègues sont spécialisés dans l'interface entre la médecine et le droit. Parmi eux, Gérard Niveau, Thierry Wuarin, Marinette Ummel, et Sandra Burkhardt, viennent de publier un très utile article sur le "Signalement des patients adultes en situation de danger L’article 453 CC, une exception méconnue au secret professionnel." J'ai donné un séminaire avec Gérard hier et il m'a dit comme ça en donnant l'impression d'hésiter: 'Oui, cet article je pense que c'est le 453...'. Mes collègues sont parfois des cachotiers.

En tout cas voilà le résumé:
Le secret professionnel est au cœur de la tension qui peut exister entre le respect de l’autonomie du patient et la nécessité de lui apporter l’aide nécessaire en situation de vulnérabilité ou de danger. En sus des exceptions obligatoires et non obligatoires au secret médical, le nouveau droit de protection de l’adulte et de l’enfant, entré en vigueur le 1er janvier 2013, prévoit, à l’article 453 CC, que les personnes liées par le secret professionnel ou de fonction pourront signaler à l’autorité de protection la situation d’un patient qui mettrait en danger sa vie ou son intégrité corporelle, ou représenterait ce type de danger pour autrui. Cette disposition ne devra être utilisée qu’en dernier recours, lorsque la personne concernée ne consent pas à la transmission des informations nécessaires et que tout autre moyen d’aide aura été inopérant.

Allez le lire. Pour certains d'entre vous, ça va être une référence à garder sous la main pour mieux comprendre, et appliquer avec la parsimonie qui s'impose, cette nécessaire possibilité...

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Risquer sa vie sur la mer


La catastrophe humaine se poursuit en Méditerranée, et au milieu de tout cela il y a des questions qui semblent être plus difficiles à poser que d'autres. Un bel exemple dans la vidéo qui ouvre ce message. Hans Rösling y pose une question qui semble tenir de la pure provocation: pourquoi diantre les réfugiés ne prennent-ils pas l'avion?

Je sais, la question peut choquer. Au milieu des images de naufrage en mer on a tendance à oublier le moment de l'embarquement pour se focaliser, et c'est légitime, sur les efforts de sauvetage qui restent largement insuffisants. Se demander 'pourquoi prennent-ils ces bateaux si dangereux?' plutôt que de prendre l'avion semble presque revenir à se demander pourquoi diantre les révolutionnaires français ne mangeaient pas de la brioche. Au milieu des évidences sur les raisons pour lesquelles des citoyens de Syrie ou d'Erythrée voudraient fuir leurs pays, le premier en proie à une guerre civile sanglante et le second à une dictature comparée à la Corée du Nord, on peut avoir tendance à se dire que, bien sûr, nous aussi on prendrait peut-être ce genre de risque pour s'échapper. Et pourtant...parfois des questions qui ont l'air bizarres méritent d'être posées. Quand on les aborde par la méthode scientifique la réponse finit parfois par être salutaire. Même quand, comme ici, elle est nettement plus dérangeante que la question. Allez écouter, et s'il vous plait venez nous dire ce que vous pensez dans les commentaires.

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Journée des femmes: le premier des droits est la survie


La journée des femmes est à chaque fois l'occasion de retrouver comme de vieux amis des réactions un peu niaises (comme par exemple celles qui sont critiquées ici), mais aussi des rappels bienvenus (ici par exemple cinq femmes scientifiques dont je parie que vous ne les connaissiez pas toutes) et des encouragements à continuer de demander ce qui devrait aller de soi (comme par exemple un salaire égal pour un travail égal).

Mais bien sûr, l'ensemble de ce qui est discuté là, des commentaires sur les portes que l'on vous tient aux revendications salariales, partage un certain nombre de présupposés de base: en tant que femme vous avez le droit d'aller et venir dans l'espace publique, d'être éduquée, et de gagner votre vie. De manière encore plus fondamentale, vous avez le droit d'être en vie.

Ces droits qui ne sont plus en discussion, c'est parfois important de se rappeler qu'ils ne sont pas garantis à toutes. Même la simple survie ne l'est pas. La violence envers les femmes reste un problème planétaire. 38% des meurtres de femmes sont le fait de leur partenaire. D'autres sont prises pour cible en raison de leur sexe: un crime que certains tentent de rendre spécifique sous le terme de 'féminicide'. A l'échelle mondiale, ce serait des millions de femmes qui 'manquent' comme résultat cumulé du risque accru de ne pas venir au monde (des régions entières pratiquent l'avortement sélectif des foetus féminins) ou d'y mourir précocément si vous êtes de sexe féminin (un cumul de de manque d'accès aux conditions de la survie, de violences, et de risques liés à la grossesse). Alors bien sûr, tout cela est lié: la vie d'une femme sera mieux protégée si elle a accès à l'éducation et à un salaire, à des options de vie indépendante. Mais pour en arriver là il faut tout de même commencer par survivre.

La branche canadienne de Médecins Sans Frontières nous rappelle un des chapitres importants de ce dossier avec une série de récits sur la mortalité liée à l'accouchement dans les conditions qui prévalent encore trop souvent là où les caméras ne vont pas. Au total, ce serait 800 femmes qui meurent chaque jour faute d'avoir eu accès à une aide compétente pendant leur grossesse ou durant un accouchement. Si je vous demandais ce que vous alliez faire pour la journée de la femme, donner de l'argent à Médecins Sans Frontières n'est peut-être pas la première chose qui vous viendrait à l'esprit. Pourtant c'est peut-être parmi les choses les plus utiles. Pendant que vous y êtes, prenez un badge avec leur logo et faites un gentil (j'ai dit gentil) sourire à votre collègue quand vous lui tiendrez la porte...

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Le prix des médicaments

Combien doit coûter un médicament? La RTS a commenté le bras de fer qui oppose l'Office fédéral de la santé publique, l'entreprise Roche, et les assureurs. L'enjeu? Le prix du Perjeta, un médicament contre certains cancers du sein. Considéré comme trop cher, il a été retiré de la liste des spécialités remboursées par l'assurance maladie de base en Suisse.

Ce genre de situation risque bien de se reproduire. C'est en fait un symptôme d'une situation qui, pour le moment, semble durer. D'une part, les fabricants de médicament sont des entreprises à but lucratif. Ils ont donc intérêt à augmenter leurs profits. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cela ne signifie pas nécessairement demander le prix le plus élevé possible. Cela signifie plutôt demander le prix le plus élevé qui pourra être payé. Après tout, si c'est tellement cher que personne n'achète, ce n'est pas dans leur intérêt non plus. Le prix qui donnera le plus de profit, donc. Alors comme un brevet donne droit à un monopole, le fabricant est libre de demander un prix sans aucun rapport avec l'effort ou l'investissement qui a conduit au développement du médicament. Dans certains cas, cela s'est vu.  Mais techniquement c'est effectivement leur droit. Et dans certains cas, il semble que le prix du médicament ait été tout bonnement calculé sur la base de la capacité à payer de tel ou tel marché. Un médicament très simple remplace un traitement lourd et compliqué? C'est donc qu'il peut coûter le même prix, car preuve est faite que ce prix est abordable. Après tout nous l'avions payé auparavant pour la variante lourde.

D'autre part, les coûts de la santé augmentant toujours, les systèmes de santé ont intérêt à négocier les prix et à ne pas trop se laisser faire. D'autant plus que, si les prix n'ont pas de rapport avec l'effort consenti, il y a une marge considérable pour obtenir un rabais sans pour autant annuler l'intérêt du commerçant à commercer. Négocier le prix, forcément, implique que l'on puisse refuser une contre-partie s'il est trop élevé. D'où le retrait du médicament de la liste.

Une fois le médicament retiré, évidemment, les assureurs auront en fait du mal à ne pas rembourser un médicament dont l'effet semble clair. Et voici le bras de fer, à trois, complété.

Au milieu de tout cela, quel est le juste prix d'un médicament? Voilà un enjeu qui ne disparaîtra pas de sitôt. Le juste prix est-il celui qui permet un profit une fois les frais consentis pris en compte? Est-il celui qui reflète l'effort et le travail fourni? Ou le risque encouru? Est-il celui que justifie l'effet du médicament sur la santé humaine? Ou bien la valeur ajoutée du médicament par rapport aux produits déjà sur le marché? Ou encore est-il tout bonnement le maximum que nous pouvons nous permettre de payer? Va-t-on accepter de payer n'importe quel prix dès lors qu'il s'agit de notre santé? Si la réponse est oui, il n'y aurait en pratique pas de limites à ce qui pourrait devenir un véritable racket. Si la réponse est non, qui va fixer la limite et surtout comment va-t-on la faire respecter? L'industrie est-elle le seul pilote dans l'avion ou bien y a-t-il un partenaire réel dans cette négociation?

Si cette situation est intéressante, c'est justement parce qu'elle soulève cette question. L'OFSP se comporte ici comme un partenaire dans la négociation. La question est: jusqu'où en a-t-elle les moyens?

C'est ce que l'on va voir. Car en attendant les patients sont pris entre deux feux. La conséquence, peut-être temporaire mais bel et bien directe, est que les patientes concernées ne savent plus si leur traitement sera remboursé ou non. Certaines payeront de leur poche. D'autres, plus précaires, ne pourront pas prendre un tel risque. Et voilà qu'égaux devant la maladie, nous ne le serons pas face à la survie. Les patients en ôtage, et la solidarité aussi. L'industrie teste ici peut-être notre volonté. Et oui, on va voir...

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Analyses génétiques et calcul des risques

La radio nous en informe ce matin: des caisses maladies lancent une demande pour obtenir les données génétiques des personnes qui souhaitent contracter auprès d'elles une assurance complémentaire.  La nouvelle aurait été relayée par la NZZ am Sonntag, mais là je n'arrive pas à trouver le lien donc je renonce: soyez gentils et mettez-nous le lien si vous le trouvez.

C'est une question intéressante, au fond. On sent bien qu'il y a un problème, mais où est-il exactement? Dans le danger pour le secret médical? Pas vraiment: c'est le patient qui révèle son information et il en a toujours le droit. L'assureur n'a pas le droit d'exiger cette information, certes, mais comme il n'a pas non plus l'obligation d'accepter qui que ce soit dans l'assurance complémentaire il aura beau jeu d'échanger l'accès à l'assurance contre l'accès aux données. La raison avancée semblerait même relativement raisonnable: si un client potentiel connaît son patrimoine génétique, et qu'il le cache à l'assureur, alors il y aura entre eux une asymétrie d'information et c'est problématique.

Alors où est le problème? D'abord peut-être, on aimerait que cette symétrie d'information aie la même importance quand l'asymétrie va dans l'autre sens. Mais plus fondamentalement, il s'agit ici de donner aux assureurs les moyens de mieux préciser le risque d'une personne. Et ici, si on est gêné, cela mérite un commentaire. Car cerner et chiffrer le risque est en quelque sorte le métier des assureurs. C'est leur compétence, leur savoir-faire, leur raison d'être. Dans la plupart des formes d'assurances, ils s'en servent pour stratifier le risque. Si vous avez une voiture chère à réparer, tout le monde trouve parfaitement normal que vous payez plus cher votre assurance pour cette voiture.

Mais c'est là que le bât peut commencer de blesser. Car dans l'assurance maladie, on ne trouve pas normal de payer plus cher son assurance si on a un corps plus cher à soigner. La solidarité joue, nous devons tous avoir accès aux mêmes soins sur la base de notre prise en charge collective du risque pour notre santé. Notre fragilité biologique commune, notre soutien à l'idée que notre futur doit rester ouvert, tout cela concorde à nous faire prendre en charge collectivement, et solidairement, les soins de santé.


Mais minute, direz-vous... Çà, c'est la logique de l'assurance de base! Dans l'assurance complémentaire, justement, les caisses ont parfaitement le droit de préciser et de stratifier les risques. L'assurance complémentaire, justement, n'est pas censée donner accès à des soins nécessaires et qui ne seraient pas accessibles dans l'assurance de base. Aucun problème, donc. C'est juste un jour de travail comme les autres, circulez il n'y a rien à voir!
Pourquoi, dès lors, sommes-nous inquiets? C'est peut-être parce qu'une nouvelle comme celle-là nous rappelle que ce n'est que dans l'assurance de base que nous avons tous accès aux mêmes prestations. Elle nous rappelle aussi qu'être exclu de l'assurance complémentaire est une loterie. Il est parfaitement possible d'avoir les moyens de s'assurer au meilleur niveau, et puis ooops....plus possible parce que l'an dernier j'ai envoyé par curiosité cet échantillon à une succursale de google qui m'a informé sur mes risques génétiques.

Du coup, c'est peut-être justement là qu'est l'aspect le plus intéressant de cette nouvelle. A chaque fois qu'on nous rappelle que l'assurance complémentaire peut devenir hors de portée, on nous rappelle aussi que notre futur dépendra un jour de la solidité de l'assurance de base. On nous rappelle aussi que nous sommes, finalement, dans le même bateau sur ce chapitre. Quels que soient nos moyens financiers.

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La Cour suprême américaine, la contraception, et la foi des autres


La Cour suprême américaine a rendu cette semaine une décision très attendue, très controversée, et très intéressante.

En deux mot, le décor. La réforme de la santé d'Obama a rendu obligatoire l'assurance maladie. Aux Etats-Unis, les personnes employées sont assurées par leur employeur. Les employeurs ont donc aussi des obligations. Celles-ci sont cela dit assez limitées. S'ils employent plus de 50 personnes, alors ils doivent leur proposer une affiliation à une caisse maladie. S'ils ne le font pas, ils pourraient devoir payer une amende dans certaines conditions.

Les assurances aussi ont des obligations. Dans la règle, elles doivent couvrir au moins les 'interventions de santé essentielles', définies dans la loi. La couverture inclut certains contraceptifs oraux.

Voilà pour le décor. Maintenant, l'action.

Deux entreprises, dirigées par des personnes qui mettent en avant leur foi chrétienne, ont contesté l'obligation de proposer à leurs employées l'affiliation à une caisse maladie qui rembourserait la contraception. Plus précisément, ils ont contesté le remboursement de pilules spécifiques en avançant qu'ils les jugeaient 'abortives'.

A la surface, c'est une demande que l'on peut comprendre mais qui ne devrait pas tenir la route. Premièrement, les pilules en question n'interrompent pas une grossesse en court et ne sont donc pas abortives. Mais surtout, il s'agit de la demande par une entreprise de voir reconnaître sa liberté religieuse (c'est quoi exactement?) et d'y voir inclure un droit d'imposer ses croyances à ses employés.

Et puis voilà: la Cour suprême leur à donné raison.

Bien sûr, cela provoque un tollé. Les commentaires fusent de part et d'autre. Quelques exemples ici, ici, ici, et ici. Si vous en voyez d'autres qui vous plaisent, indiquez-les dans les commentaires. Pour les personnes intéressées (et motivées) la décision complète est ici.

Cette décision était serrée: 5 contre 4. La Cour suprême américaine est composée de juges nommés par les présidents en exercice lors de chaque succession, et il n'y a pas de règles de représentativité politique. La Cour actuelle est en majorité conservatrice et républicaine, et cela se reflète dans la répartition des juges s'étant prononcés pour et contre la décision. Je vous ai mis leurs portraits en ouverture de ce billet pour illustrer que c'est aussi un peu les garçons contre les filles: toutes les femmes qui siègent à la Cour se sont prononcées contre la décision. Alors oui, ces femmes ont par ailleurs toutes été nommées par des présidents démocrates. Mais il est quand même frappant que ces décisions limitant l'accès des femmes aux choix reproductifs soient si, mais alors si, souvent prises par des messieurs.

Très intéressante, oui, cette décision. La majorité a argumenté en avançant que sa portée était limitée parce qu'elle ne s'appliquait qu'aux entreprises qui sont la propriété de cinq personnes au maximum.  Mais cela revient quand même à reconnaître que ces entreprises, qui sont des institutions, des corporations, peuvent avoir quelque chose comme une liberté religieuse. Un peu étrange, tout de même. Les entreprises à but lucratif auraient-elles, théologiquement, une âme? La liberté religieuse est un droit fondamental des personnes physiques, et la voilà assez clairement étendue à des personnes morales.


Les juges ont aussi argumenté que les assurées en question avaient bel et bien droit à la contraception. Ce n'est donc pas un argument 'à la Suisse' qui reposerait sur le fait que la couverture d'assurance ne doit pas couvrir la contraception en général. La Cour a néanmoins estimé qu'exiger que cela passe par l'assurance de leur employeur n'était pas justifié parce que l'état pouvaient leur fournir une alternative en prévoyant des programmes spécifiques. Ca aussi, c'est étrange au premier abord. Cela revient à considérer que la liberté religieuse peut inclure le droit de refuser à quelqu'un d'autre quelque chose que ma religion interdit, alors même qu'on lui reconnait le droit à cette chose. Cela revient aussi à donner à chacun une sorte de droit de sortir des règles collectives là où cela l'arrange. Comme je vous le disais dans un billet précédent, dans une collectivité les cyclistes paient aussi les autoroutes et les personnes sans enfant les subsides des crèches...

Mais peut-être y a-t-il ici quelque chose de fondamentalement différent entre la perception américaine de l'assurance et la perception européenne de la collectivité solidaire. Car après tout les entreprises en question n'ont demandé à être exemptées de la couverture des contraceptifs que pour leurs employées. Il semble bien qu'elles n'aient jamais demandé que l'assurance à laquelle elles souscrivaient ne rembourse généralement pas les contraceptifs. Dans ces conditions il semble difficile de leur garantir que leur argent, mutualisé, n'aurait jamais servi à payer de contraception. Une d'entre elles a d'ailleurs aussi investi de l'argent dans des entreprises qui développent et commercialisent des pilules contraceptives et abortives. Il semble donc que le souci principal ait été 'pas de ça chez nous'.

Oui, c'est très différent de notre conception d'une assurance basée dans la solidarité. Mais tout de même: donner le droit à un employeur de prendre des décisions qui touchent comme ça à la vie privée de ses employés, ce n'est pas banal.







Mais reprenons: quelque chose de fondamentaement différent disions-nous. Et oui, au fond de cette décision il y a sans doute quelque chose de difficile à comprendre vu d'Europe: l'insistance que le droit de ne pas avoir d'assurance est important et doit être protégé. Le fond de cette histoire, ce n'est probablement pas une question religieuse mais la résistance au système de santé à couverture universelle.
 

Alors maintenant, que va-t-il se passer? Mystère. En théorie, il devient désormais possible pour un grand nombre d'entreprises américaines de limiter la couverture d'assurance de leurs employés sur des bases religieuses. Parmi les arguments de la minorité, le risque que désormais ce droit soit utilisé un peu tous azimuts: les scientologues pourraient ainsi ne plus couvrir les anti-dépresseurs, les témoins de jéhovah les transfusions, les juifs et les musulmans les produits porcins, qui incluent des anésthésiants, des valves cardiaques, et toute une série de médicaments enduits de gélatine.

Mais surtout, il semble que ce soit un pas de plus vers la reconnaissance de droits personnels aux entreprises. Et ces droits incluent désormais dans une certaine mesure celui d'imposer les effets de leurs croyances religieuses. C'est d'autant plus navrant dans un pays qui fut, il y a fort longtemps, pionnier dans la protection du droit de chacun à ne pas subir de religion obligatoire. Mais c'était il y a fort longtemps, il est vrai...

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Cas à commenter: dépistage systématique par mammographies

Un avis d'experts relance la controverse autour de la mammographie de dépistage. J'ai assez envie de vous en faire un cas à commenter, car je sais qu'il y a parmi les lecteurs réguliers de ce blog plusieurs personnes qui connaissent plutôt bien ce genre de sujet.

Mais avant de vous passer la parole, un petit résumé et quelques clarifications. Le Swiss Medical Board a publié en début de semaine une recommandation contre le dépistage systématique du cancer du sein précoce par la mammographie. Oui, oui, je sais, ça ressemble à une attaque contre la santé des femmes (en pleine campagne de défense de l'accès à l'interruption de grossesse ça tombe mal), à un recul sur la prévention (alors qu'en Suisse on peut faire mieux sur ce chapitre), bref à une très très mauvaise idée. Mais ce qu'ils recommandent n'est pas de ne plus faire de mammographie. Encore moins de ne plus les rembourser. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour ou contre la mammographie elle-même. Non, ce qu'ils ont recommandé était de ne plus faire de programmes systématiques, avec courrier aux ménages et invitation à venir dans un centre de dépistage sur le seul critère du sexe féminin et de l'âge.

Leur raisonnement? Il y a des avantages à ces programmes, mais aussi des inconvénients parfois sérieux pour les personnes visées. C'est là-dessus que se focalise le rapport. Etant donné la possibilité réelle de dépister plus précocément d'une part, mais aussi le risque de voir quelque chose qui en fait n'est pas grave et de faire subir pour rien un traitement lourd, comment peser? La réponse des experts: en demandant aux femmes elles-mêmes, lorsqu'elles viennent en consultation, pour leur permettre de décider si elles trouvent que le jeu en vaut la chandelle. Et leur conclusion: on ne doit pas simplement les convoquer pour des mammographies, on doit leur en expliquer les avantages et les risques lorsqu'elles se présentent chez leur médecin. On ne doit donc pas, disent-ils, encourager les campagnes de dépistage systématique.

Ce qui est inconfortable, c'est qu'en Suisse en tout cas il semble que les campagnes de dépistage systématique soient surtout une spécialité romande. Elles ne sont certainement pas la seule différence entre les régions linguistiques dans la prise en charge du cancer du sein, mais toutes les différences prises ensemble donnent une mortalité plus faible de cette maladie en Suisse romande. Quel rôle joue spécifiquement le dépistage systématique dans cet effet? Ce n'est pas entièrement clair et sans doute serait-il utile de le clarifier.

Autre élément inconfortable: le rapport relève à juste titre que les informations fournies lors des campagnes de dépistage sont surtout positives, et qu'elles présentent parfois les chiffres sous un jour trop favorable à la pratique du dépistage. Mais les patientes initialement ne font que se rendre dans un centre de dépistage. La véracité de leur compréhension se jouera sur l'entretien qui s'y déroulera. En fait, les laisser choisir en connaissance de cause est parfaitement compatible avec la pratique du dépistage systématique.

Restent les coûts. Effectivement, améliorer l'information sur place suppose plus de personnel, plus de temps, finalement plus d'argent. Le jeu en vaudrait-il la chandelle sous cet angle-là? Ce point n'est pas examiné dans le rapport. La question du rapport coût-bénéfice, en revanche, l'est. Elle est même plutôt bien examinée puisque la comparaison est faite avec d'autres interventions pouvant améliorer, ici, la santé des femmes. Pas de problème de justice distributive entre les sexes a priori, donc. Mais pas de conclusion non plus. Le rapport demande si "les ressources consacrées audépistage systématique par mammographie nepourraient être utilisées de façon plus efficace et sauver ainsi plus de femmes. D’autres moyensde prévention, qui revêtent une importance toute particulière dans ce débat, vis-à-vis du cancerdu sein, relèvent du comportement personnel:on citeral’absence de surpoids, le renoncement àla prise d’hormones pendant la ménopause et l’absence de consommation excessive de denréesd’agrément comme l’alcool et le tabac." C'est une difficulté que l'on va certainement recroiser ces prochaines années, ça. Lorsqu'un moyen de prévention coûte quelque chose, il sera toujours meilleur marché de demander aux individus de se comporter de manière plus saine. La question qui se pose ici, vous devez apprendre à vous la poser à chaque fois: demander aux individus de se mieux comporter, est-ce que ça marche dans le cas de figure considéré ? La dernière fois que vous avez demandé, simplement demandé, à quelqu'un de perdre du poids ou d'arrêter de fumer, par exemple, que s'est-il passé?

Au sommaire, un rapport qui a beaucoup de bons points. Certaines critiques ont tiré à côté, d'autres ont été plus justes. Mais ce rapport a aussi des défauts, et ces défauts sont intéressants. Certains sont des problèmes que nous allons certainement recroiser.

Et vous, alors, qu'en pensez-vous?

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Mes étudiants: Avorter peu, et en sécurité (3)

Il n'y a pas que mes collègues qui sont bien: mes étudiants aussi! L'un d'entre eux m'a posé récemment une série de questions qui méritent un public plus large. Comme vous allez voir, il n'est pas d'accord avec moi. Je tiens donc à préciser que je suis heureuse et fière quand mes étudiants posent de bonnes questions, et que cela vaut parfois encore plus quand ils ne sont pas d'accord avec ce que j'ai dit. Nos débats publiques sont fait de désaccords, et un de nos buts dans l'enseignement est de former des participants intelligents, quelles que soient ensuite leurs positions.

Maintenant, ses questions. La première est en lien avec le fait de payer pour d'autres alors qu'on n'est pas d'accord avec eux. Je vous en avais déjà parlé.

Sa question: "Vous présentez le remboursement de l'avortement comme une responsabilité collective, un acte nécessaire pour le bien de la société. Pourtant certaines personnes considèrent cet acte comme un meurtre. Pensez vous juste que certaines personnes soit obligé de cotiser pour ce qu'ils considèrent comme un crime?"

Il a tout à fait raison que certaines personnes considèrent l'avortement comme un meurtre. Et si l'on pense cela, alors il est évident qu'il ne faut pas le faciliter. Et il peut sembler que le rembourser, c'est le faciliter. Il est cela dit tout aussi évident que si l'on pense que l'avortement est un meurtre, alors il ne faut pas non plus l'autoriser. En d'autres termes si c'est cela que l'on pense alors cette initiative n'est pas la bonne réponse. Premièrement, elle continue de cautionner l'interruption de grossesse en ne la criminalisant pas. Deuxièmement, toujours de ce point de vue, elle met en effet les 'coupables' face à une certaine responsabilité puisqu'il y a de l'argent à payer, mais de manière complètement inégale. Les sommes en question sont très faciles pour les unes, et impossible pour les autres. En plus...où sont passés les hommes? Au-dessus des lois, pour le coup. De celle-ci, en tout cas. Une bien étrange punition, qui ne frapperait que les plus défavorisées.

A nouveau, donc, il y a ici une question qui dépasse largement l'interruption de grossesse. Il s'agit, sur le principe, d'une question d'égalité devant le droit. Ni plus ni moins.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles même les représentants des églises ne soutiennent pas cette initiative pour sortir l'interruption de grossesse de la prise en charge collective. La conférence des évèques de Suisse n'a pas pris position sur ce texte, et aurait 'mis en doute la pertinence du texte soumis au peuple'. Vous trouverez également ici, ici, ici et ici une série de commentaires contre l'intiative d'un point de vue très explicitement catholique.

La fédération des Églises protestantes de Suisse, elle, s'est clairement prononcée contre l'initiative.

Ces positions sont touchantes à plus d'un titre. D'abord, elles ont dû donner lieu à de vraies difficultés. Penser que l'avortement est un crime et ne pas vouloir soutenir une initiative qui l'excluerait du remboursement n'est pas anodin. Mais du coup ces positions font preuve d'une grande honnêteté. On voit bien que, pour les églises, il serait difficile de défendre une position qui voudrait que l'avortement soit interdit, mais alors seulement pour les plus faibles et les plus humbles d'entre nous...

Un autre point crucial est que finalement tout le monde semble d'accord qu'il est important de voir diminuer le nombre d'avortements. Malgré une expression trop fréquente, donc, personne n'est réellement pour l'avortement. Les personnes décrites ainsi sont habituellement pour l'accès à un avortement dans des conditions de sécurité. Ces personnes sont aussi pour le droit des femmes à la sécurité et à la propriété de leur propre corps. Mais personne ne pousserait des cris de joie à voir le nombre d'avortements augmenter. Si tout le monde est d'accord sur ce point, cela dit, alors la question devient: qu'est-ce qui marche? Et il semble qu'en Suisse, notre système actuel marche en fait plutôt bien. Tranquillement, tenacement, les interruptions de grossesse tendent à diminuer. Si cette évolution se fait au prix d'un remboursement solidaire, alors c'est peut-être que c'est cela qui marche. Et cela, toutes les personnes qui se réjouissent de cette diminution devraient pouvoir le soutenir...solidairement. 

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Mes collègues: avorter peu, et en sécurité (2)

Ils sont décidément bien, mes collègues. Cette fois, c'est un interview à la radio par le théologien Denis Müller. Il y dit plusieurs choses importantes. Une d'entre elles est que dérembourser l'avortement défavoriserait...les femmes défavorisées.

C'est une réalité très concrète. Interrompre une grossesse coûte, d'après les estimations disponibles, entre 500.- et 3000.-. Une somme qu'un grand nombre de personnes peuvent se permettre si elles l'estiment vraiment important. Ces personnes pourraient être tentées de penser que, du coup, ce n'est pas si grave si l'assurance ne payait plus. Mais il se trouve que l'Office fédérale de la statistique a posé récemment à la population suisse une question qui concerne justement cela. "Si vous deviez faire face à une dépense inattendue" nous a-t-on demandé (j'étais parmi les foyers questionnés) "pourriez-vous le faire?" et il était précisé, car on ne peut pas vraiment répondre sans cette précision, qu'il s'agissait d'une dépense de deux à trois mille francs. A peu près le coût, donc, d'une interruption de grossesse. Les résultats? 17% de la population a répondu que non. Parmi ces personnes, 18% des femmes et 16% des hommes. Pas une grande différence peut-être, mais elle est bel et bien là. Parmi les personnes n'ayant complété que la scolarité obligatoire, ce chiffre monte à 30%, parmi les personnes au chômage à 51%.  Les personnes vivant seules de moins de 65 ans (au-dessus, les grossesses sont rares): 23%. Les familles monoparentales: 48%. Les couples avec enfants font mieux, mais ce n'est pas rose non plus: entre 15 et 20% ne peuvent pas faire face à une dépense inattendue de ce montant, cela varie selon le nombre d'enfants. Les personnes qui ont répondu non sont aussi plus nombreuses en Suisse romande (26%) et en Suisse italienne (25%) qu'en Suisse allémanique (13%). Impressionnant, comme au travers de cet indicateur on voit se dessiner les fragilités de notre société.

Que déduire de ces chiffres? D'abord, que Denis Müller a raison: dérembourser l'avortement défavoriserait les femmes défavorisées. Elle sont finalement une part substantielle de la population, mais le fait qu'elles soient néanmoins minoritaires les fragilise également ici face au vote à la majorité qui est la règle du scrutin populaire.

Ensuite, il a encore raison lorsqu'il parle ici de solidarité. Garder l'interruption volontaire de grossesse dans les prestations de la LAMal, c'est accepter de protéger, collectivement, ces femmes défavorisées contre les risques liés aux avortements clandestins, non médicalisés, dangereux. Il y a là des risques véritables, vérifiés historiquement et encore aujourd'hui dans les pays où l'avortement en sécurité n'est pas accessible. Ces risques, il est juste que nous payons collectivement pour les écarter. Il est juste que nous payons tous: les hommes aussi, ainsi que les femmes qui pourraient au besoin se payer une interruption de grossesse elles-mêmes, ou qui choisiraient personnellement de ne pas y avoir recours. 


Cette prise en charge collective est juste, comme l'est toute une série d'autres prises en charges collectives pour des choses que nous n'utilisons pas tous, et qui parfois ne font pas consensus non plus. Les personnes sans voiture co-financent les autoroutes, les personnes sans enfants les subsides des crèches. Les membres convaincus du Groupe pour une Suisse sans armée co-financent comme tout le monde l'armée, les cyclistes militants participent au financement du réseau routier.  Il est juste qu'il en soit ainsi: nous sommes une collectivité. Il y a ici un enjeu politique dont l'importance dépasse largement la seule interruption de grossesse.

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Noël: plus intelligente générosité?

Certains d'entre vous sont dans une dernière ligne droite frénétique d'achats de Noël. Alors je profite pour vous souffler en douce, comme si vous aviez le temps, que parmi les cadeaux que nous recevons pendant les fêtes, peu sont en fait des choses auxquelles nous attachons du prix.

En tout cas, pas des choses auxquelles nous attachons du prix. Nous attachons du prix au fait de les recevoir, bien sûr, et surtout à ce qu'elles disent sur les liens qui nous unissent à d'autres. C'est la valeur affective, liée à la personne qui vous l'a offerte et au geste qu'elle a fait pour vous: tout cela ne nécessite pas à strictement parler d'être véhiculé par une chose qu'elle aurait achetée pour vous l'offrir. La même valeur s'attacherait à une sortie au restaurant, à une promenade en montagne, à une friandise cuisinée de ses mains expertes (ou même pas si expertes que ça). Mais il semble que si vous êtes représentatif, et honnête comme ça entre quatre zyeux, alors à la question "parmi vos cadeaux de Noël, quelles sont les choses auxquelles vous attachez vraiment de la valeur?" votre réponse se situera entre 'pas tous' et 'très peu'. Voir 'aucun'. Nous nous faisons très souvent des cadeaux pour le geste plus que pour l'objet.

Quel lien avec l'éthique?  C'est qu'à lier au geste un objet, on génère des conséquences humaines qui ne sont pas toujours visibles.

Des conséquences écologiques. Après 6 mois, seulement 1% des choses que nous achetons sont encore utilisées. Les matières premières qui ont servi à les fabriquer, en revanche, sont souvent perdues. Et la pollution qu'elles auront générée subsiste.

Des conséquences humaines, aussi. Nos appareils technologiques sont très friands de minéraux rares, et comme du coup ceux-ci rapportent très bien ils font l'objet de guerres sanglantes. Le tantale, le zinc, le tungsten, sont tous nécessaires pour nos téléphones et tablettes: une bonne part des mines sont aux mains des seigneurs de la guerre  de la République démocratique du Congo.

Finalement, il y a des conséquences plus difficiles à voir encore. L'argent que nous dépensons à nous donner les uns aux autres des cadeaux inutiles dont la fabrication est délétère, nous pourrions faire tellement mieux avec.

Alors plutôt que de courir après l'idée de la dernière minute pour acheter une chose à quelqu'un que vous aimez, voici quelques idées de gestes à lui offrir.

A la dernière minute, trop tard sans doute pour un poème ou un gateau (quoique cette recette de truffes à l'air fameuse et fichtrement rapide). Mais il vous reste les alternatives immatérielles. Vous pouvez leur offrir, par exemple, un bon pour faire un prêt sur Kiva, le site de micro-crédit entre particuliers. Un don à Because I'm a girl qui finance l'éducation des filles là où elle ne va pas de soi. Ou à une des organisations testées comme les plus efficaces pour sauver des vies là où c'est vivre qui ne va pas de soi. Vous pouvez financer en leur nom un rat entrainé pour détecter les mines antipersonnelles, ou la tuberculose. Ou aider en leur nom quelqu'un à se libérer de ses dettes via le site de Strike Debt, qui rachète pour une bouchée de pain les dettes de personnes qui ne s'en sortent juste plus, pour ensuite les pardonner purement et simplement. Vous pouvez leur offrir une inscription à la Déclaration de Berne, qui tente de rendre plus justes les règles du jeu sur le plan international.

Le bonus? Tout ça peut se faire en ligne. Rapidement, et sans affronter de foules.

Du coup, vous aurez peut-être même encore le temps de faire les truffe...

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Avorter peu, et en sécurité (1, sans doute...)

Hier, nous avons reçu sur papier journal du matériel de campagne de l'initiative pour le déremboursement de l'interruption de grossesse. Vous aussi, peut-être. Chez nous, une de mes filles a voulu le mettre à la poubelle aussi sec, mais je l'ai sorti pour qu'on puisse passer en revue les arguments en famille. Il y a beaucoup à dire. Assez pour plusieurs messages sur ce blog. Et peut-être que vous aurez aussi des commentaires. Mais, pour commencer, l'image.

Elle semble à première vue idyllique, cette image. Une jeune maman et son bébé, qui sourit comme sourient les bébés plus tout à fait nouveau nés, et juste avant Noël en plus. En dessous, un texte qui cible l'émotion: "Je ne veux tout de même pas cofinancer des avortements!"

Madame, je suis heureuse pour vous. Je trouve comme tout le monde votre image touchante. Voir une maman et son bébé heureux ensemble me rend heureuse moi aussi. Mais, cela étant dit, votre égoïsme me sidère.
Peut-être l'ignorez-vous, mais les complications d'une interruption de grossesse mal conduite incluent la stérilité, et peuvent aller jusqu'au décès. Le document auquel vous êtes associée voudrait faire de l'Autriche un exemple rassurant du contraire. Mais l'Autriche compte parmi les pays qui préfèrent ne pas tenir de statistiques de ce genre de choses. Il est facile, ensuite, de dire qu'on n'a rien observé. C'est aussi un pays où l'accès à l'interruption de grossesse est régulièrement remis en cause et qui pourtant a un des taux d'avortement les plus élevés d'Europe et nettement plus élevé que la Suisse. Les complications d'interruptions de grossesse mal conduites sont actuellement rares en Europe, mais elles existent encore là où l'avortement sûr n'est pas facilement accessible. L'Afrique du Sud a diminué de 90% les problèmes de santé liés l'avortement en le rendant légal, et le rendre légal c'est aussi le rendre plus accessible. 

Peut-être l'ignorez-vous Madame, mais devoir payer une intervention, quelle qu'elle soit, peut aussi la rendre inaccessible. Dans le seul canton où l'on ait osé faire cette étude, on a constaté que près de 30% des Suisses dont les salaires sont dans la tranche inférieure ont renoncé récemment à des soins médicaux car ils ne pouvaient pas se permettre leur part des coûts.

Madame, peut-être l'ignorez-vous encore, mais 48% des femmes qui interrompent une grossesse en Suisse ont déjà des enfants. Un nombre qui n'est pas dans les statistiques souhaiteront en avoir par la suite. En voulant limiter l'accès à l'interruption de grossesse médicale, correctement conduite, vous voulez refuser à ces femmes une part de la possibilité de vivre le bonheur que vous clamez dans tous nos ménages. Vous voulez refuser à leurs enfants une part de la sécurité de garder leur mère.

Alors oui, Madame, vous devriez vouloir co-financer des avortements. Ils rendent possible pour d'autres femmes ce que vous vivez: une relation heureuse et désirée avec un enfant. 


Mais peut-être, Madame, méritez-vous en fait que je sois plus douce avec vous: car après tout peut-être ignorez-vous aussi que votre image a été utilisée ainsi. Nous vivons après tout l'âge virtuel, et peut-être n'êtes-vous que l'image en ligne qui a été trouvée belle par les personnes qui font cette campagne...

Ces personnes, il faut espérer qu'elles seront minorisées le 9 février. Nous avons après tout voté il y a relativement peu de temps le régime des délais, et la Suisse fait figure d'exemple sur le plan des interruptions de grossesse: elles sont plutôt rares, et se font dans de bonnes conditions. Beaucoup de gens finalement savent ce que je viens de rappeler ici. La position qu'on vous prête a heureusement peu de chances d'être majoritaire.

Peut-être que ce qu'il faudrait rappeler à ces personnes, finalement, c'est qu'elles devraient se rassurer. Rembourser l'avortement ne l'augmente pas. Les pays qui rendent l'interruption de grossesse accessible n'en ont pas davantage. En fait c'est plutôt même le contraire: ils en ont moins. Non: rembourser l'avortement c'est une sécurité. C'est une mesure de prévention de ses complications lorsqu'il est mal fait. Cette sécurité est de toute manière accessible à ceux qui en ont les moyens. Garder l'interruption de grossesse dans l'assurance de base, c'est s'assurer que cette sécurité ne dépendent pas de nos moyens financiers.

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Don d'organe: quel consentement?

En Suisse, le Conseil des Etats à rejeté le passage au consentement présumé pour le don d'organes. Une mesure dont je vous avais déjà parlé et que le Conseil National avait accepté il y a quelques temps. Un dossier dont on reparlera certainement, donc. Du côté des services de transplantation, on a clamé que les droits des personnes en liste d'attente n'étaient pas respectés. Et comment faire, en effet? Car il est clair qu'il n'y a pas de droit à être transplanté. En même temps, il y a en revanche un droit à obtenir les soins dont on a besoin, a fortiori s'ils sont nécessaires à notre survie. En même temps toujours, ce droit ne s'étend pas à obtenir d'autrui un organe, qui lui appartient même après sa mort. Mais que cela signifie-t-il que mes organes m'appartiennent, lorsque je ne peux plus rien en faire, car après tout je suis déjà morte? La question de remplacer ou non le consentement explicite par le consentement présumé navigue entre ces difficiles questions.

Dans cette controverse, quelques points méritent d'être précisés. D'abord, il n'est pas exacte que le consentement présumé serait carrément 'non éthique'. Un commentaire récent dans le forum du Bulletin des médecins suisses a raison sur ce point. Sous le consentement présumé, nous garderions le droit d'être ou de ne pas être donneur d'organes, car nous garderions le droit de nous opposer. Nos proches garderaient eux aussi le droit de s'opposer à notre place, ce qui constituerait une protection pour les personnes qui n'auraient pas voulu faire la démarche du refus de leur vivant.

En fait, le problème principal du consentement présumé n'est pas une atteinte à l'éthique, qui est évitable, mais l'inefficacité. Changer le mode de consentement ne change pas la capacité du système à identifier les personnes décédées qui pourraient devenir donneuses d'organes. Cela ne permet pas non plus de lever le doute sur la volonté de la personne décédée, et c'est souvent ce doute qui motive le refus de ses proches. Quel que soit le mode de consentement choisi, donc, il faut aussi d'autres mesures si l'on souhaite faciliter le don d'organes. Les pays qui, comme l'Espagne, ont fortement augmenté le don d'organes le doivent probablement à d'autres mesures, comme la coordination, et la formation du personnel soignant à aborder la question de la transplantation.

Ce qui permettrait de lever le doute serait en revanche de demander à chacun de se prononcer. Lorsque je vivais aux Etats-Unis, on m'a demandé de faire figurer cette information sur mon permis de conduire. Non seulement ce n'était pas choquant, mais c'était en même temps une démarche de prévention routière. En Suisse, on pourrait imaginer de faire de même avec la carte d'assurés, par exemple. Dans le temps, j'avais appelé ça le consentement proposé. Je vous en avais déjà parlé ici, et j'en ai reparlé dans le journal de Swisstransplant. Cela soulagerait le fardeau des proches en clarifiant la volonté de la personne décédée, cela faciliterait l'expression de notre volonté et du coup sans doute aussi le don d'organes, cela ne porterait pas atteinte à notre liberté puisque l'on demeurerait libre de donner la réponse que l'on voudrait. Qui sait, peut-être qu'un jour on essayera...

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Mes collègues: moins, parfois c'est mieux

Parfois, il arrive même que mes collègues soient d'accord avec moi. Alors je ne vais pas me priver de vous le dire! Ici, c'est Bertrand Kiefer qui s'exprime dans Le Temps. Comme d'habitude, un extrait et le lien.

(...)la médecine doit apprendre à faire du «moins» son objectif. D’abord parce que l’actuel «toujours plus» coûte cher et menace à la fois la répartition équitable des soins et le remboursement d’innovations efficaces. Mais aussi à cause des nuisances que les tests et traitements inutiles infligent aux patients. S’impose donc, de manière croissante, une exigence éthique d’avancer vers l’inaction intelligente et l’économie juste des moyens. Plusieurs initiatives montrent que les médecins l’ont compris. Ainsi, depuis quelques mois, les articles médicaux consacrés au «Too much medicine» se multiplient. Dans la même veine, un mouvement international s’organise autour du thème «Less is more». Ou encore, l’American Board of Internal Medicine mène une vaste campagne intitulée «Choosing Wisely», campagne reprise par la Société suisse de médecine interne.

Ce n’est pas gagné.(...)


Peut-être, en effet, une idée dont l'heure arrive...

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Avastin: et maintenant, quoi?

Un cas fascinant, l'histoire de l'Avastin et du Lucentis. Un mot de résumé d'abord. A l'origine, deux médicaments chimiquement très proches. L'un (le Lucentis) est dérivé de l'autre (l'Avastin). L'Avastin est un anticancéreux, qui se trouve également être actif contre la dégénérescence maculaire de la rétine (DMLA, car cette Dégénérescence Maculaire est aussi Liée à l'Age). On s'en rend compte autour de 2005. Le fabricant, Roche, développe alors le Lucentis, une molécule très proche et également active contre la  DMLA. En Europe, Roche s'allie à Novartis et lui confie la vente du Lucentis. Cette molécule arrive sur le marché. Détail: elle coûte 40 à 50 fois plus cher que l'Avastin.

On en parle. En 2008, une patiente dont le médecin lui avait administré l'Avastin contre une DMLA se voit refuser le remboursement, au motif que cette indication n'est pas enregistrée en Suisse. Le vice-directeur d'Assura tape alors sur la table: "La firme Roche parvient à élaborer gratuitement et franco une substance bon marché qui est efficace pour traiter une grave maladie des yeux. Au lieu d'en faire directement bénéficier les patients, elle modifie quelque chose à la substance pour pouvoir lui donner un nouveau nom, et ensuite, elle lui fixe un prix quarante fois plus élevé. Pour que cette pratique ne se remarque pas, elle en donne la licence à une firme concurrente pour la commercialisation. C'est un scandale."   Le prix du Lucentis fait l'objet de négociations et baisse. Il n'est à présent 'plus que' de 10x celui de l'Avastin en Suisse. Mais sur le problème subsiste.

Et maintenant? La Cour de justice européenne a décidé d'autoriser l'Avastin contre la DMLA. En Suisse, cependant, on ne pense pas suivre. Trois arguments sont sur la table:

1) L'Avastin n'est pas disponible dans une préparation adaptée pour le traitement de la DMLA, et doit être reconditionné pour cette indication. C'est cela dit une manipulation que les pharmaciens doivent être en mesure de faire, dans certaines conditions en tout cas. On peut donc s'imaginer décrire ces conditions et ces exigences. Pour surmonter cet obstacle il n'est point besoin de convaincre le fabricant de faire la modification.

2) Au départ c'est le Lucentis, et non l'Avastin, qui a fait l'objet des études cliniques pour la sécurité et l'efficacité dans la DMLA. Ce n'est pas surprenant, car tant que ce sont les fabricants qui font ces études il n'y a pas de raison de s'attendre à ce qu'ils financent des études qui seraient contraires à leurs intérêts. Pour ça, il y a le financement public de la recherche. C'est donc les National Institutes of Health américains qui ont fait l'étude d'équivalence de l'Avastin et du Lucentis. Les résultats sont bons: les deux molécules sont effectivement équivalentes. Cet argument devrait donc désormais tomber.

3) Le Lucentis est enregistré sur le marché suisse contre la DMLA, l'Avastin non. Normalement, ce sont les fabricants qui déposent ces demandes. Comme pour les études cliniques, cela dit, il n'y a pas de raisons de s'attendre à ce qu'ils le fassent contre leur propre intérêt. Pour que quelqu'un le fasse, il faudrait un dépôt de demande par une institution dont le mandat ne serait pas le profit du fabricant, mais quelque chose qui ressemble davantage au bien commun: l'intérêt des patients et des assurés de notre système de santé.

Classiquement, c'est pour ce genre de chose que nous nous dotons d'institutions publiques. Mais en Suisse on peut aussi imaginer que les assureurs le fassent. Ou une association de patients. Les uns et les autres manquent certainement d'habitude, cela dit, et pourraient avoir des difficultés à rassembler les documents nécessaires. Alors, qui cela va-t-il être? Avastin, donc: et maintenant quoi? Cette histoire est une très belle loupe posée sur nos institutions...

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L'initiative...pour les familles plutôt riches

L'initiative des familles, proposée prochainement dans nos urnes par l'UDC, a l'air toute simple en surface. Le texte intégral tiendrait presqu'en deux lignes:

"Art. 129, al. 4 (nouveau)
4 Les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants doivent bénéficier d'une déduction fiscale au moins égale à celle accordée aux parents qui confient la garde de leurs enfants à des tiers."

Elle semble avoir de bonnes chances de passer, cette initiative. C'est peut-être parce que les personnes qui répondent aux sondage sont pour le moment encore mal informées. Mais cela pourrait aussi être un signe de quelque chose de plus inquiétant. Pourquoi? Deux mots d'explications.

D'abord, il faut comprendre que si elle passe cette initiative va surtout profiter à des familles plus aisées. Normal: c'est une déduction fiscale. Si vous gagnez plus, vous payez plus d'impôts, donc en général une déduction vous économisera davantage. Une partie du soutien à l'initiative pourrait venir de l'idée qu'on va enfin faire quelque chose pour soulager un peu des familles dans le besoin. Sauf que...ce n'est du tout de ça qu'il s'agit ici. Si vous avez vraiment des difficultés à boucler vos fins de mois, vous économiserez peu. Peut-être même rien du tout, si vous êtes exonéré de l'impôt fédéral. Et en tout cas vous économiserez nettement moins que des gens plus riches que vous.

De toute manière, cette initiative ne vous concerne sans doute même pas. Car pour pouvoir être concerné il faut avoir le luxe (oui c'est souvent un luxe) de pouvoir vivre sur moins de deux salaires. Avec des enfants, il faut un revenu plus élevé que le minimum.

On ne vient donc pas en aide aux petites gens, ici, malgré le discours de surface. Mais plutôt aux classes moyennes à élevées. Il y a un joli graphique très clair derrière ce lien. Cette initiative est un cadeau fiscal à des personnes plutôt aisées.

Alors oui, on a bien sûr aussi remarqué que ça donnait en plus un incitatif pour renvoyer les mères à la maison. Ce sera souvent vrai. D'autant plus que contrairement aux arguments des initiants, une famille qui garde elle-même ses enfants disposerait d'un revenu disponible plus élevé que celle qui ferait appel à une aide extérieure. Ca, oui c'est un problème. Mais bien plus que de la guerre des sexes, ce texte relève de la lutte des classes. Et c'est en fait là qu'il pourrait être véritablement inquiétant. Car en période de précarité, réelle ou ressentie, ce n'est pas seulement les femmes qu'on risque de vouloir renvoyer aux fourneaux. C'est la solidarité sociale qu'on peut avoir tendance à renvoyer au placard. On oublie malheureusement alors qu'elle est le moyen le plus efficace que l'on ait trouvé pour nous protéger, justement, de la précarité.

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Pas plus, mieux...

C'est de nouveau la saison de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. D'abord, un extrait et le lien:

"Cherchez des exemples d’innovation et vous trouverez beaucoup d’exemples de comment faire plus. Face à un problème, on ajoute : un autre médicament, une autre intervention, un autre test. Hors de la médecine un autre logiciel, une autre option à sa voiture, un autre formulaire à remplir, une autre fonction dans l’organigramme… Ajouter à ce qui existe déjà est notre manière d’améliorer la plupart des situations.

Souvent (suffisamment pour nous convaincre) ça marche. Mais combien pourrions-nous faire en remplaçant le but d’en faire plus par celui de faire mieux ? Hors de la médecine, cette logique gagne du terrain. La fumée des foyers domestiques est un risque majeur pour la santé des pays pauvres ? Amy Smith, une chercheuse du MIT, a développé des briquettes combustibles quasi sans fumée, que l’on peut fabriquer à la maison avec ses propres déchets agricoles, sans déboiser, et vendre pour arrondir ses fins de mois. L’EPFL a lancé l’an dernier le programme Essential tech pour développer des technologies utilisables là où les besoins sont les plus grands et les ressources les plus rares. Des paramètres dignes des meilleurs ingénieurs. Et celui ou celle qui inventera l’échographie portative à énergie solaire trouvera certainement des applications partout dans le monde.

Cette idée que la simplification puisse être un défi intellectuel plutôt qu’un renoncement, une orientation de recherche plutôt qu’une «simple» affaire de bon sens, fait évidemment aussi son chemin en médecine."

Ensuite, une précision: cette logique de remplacer plus par mieux, de remplacer la 'simple' croissance par de l'intelligence, elle s'appliquerait sans doute tout autour de vous à tout ce qui, finalement, progresse ou avance. Comme l'indique cette jolie petite vidéo, en théorie ça pourrait presque être simple. Cela voudrait dire arrêter de se demander comme les enfants 'on arrive quand?' pour commencer à se demander (comme les adultes) 'on va où?'. Mais en pratique évidemment, que de choses à changer pour y parvenir...

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Et si on démocratisait les OGM? (4)

Voilà, c'est le dernier chapitre de ma partie du débat paru dans Moins! sur les organismes génétiquement modifiés. Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, puis la deuxième, puis la troisième, voici maintenant la dernière.

A point nommé pour vous en parler, on a rediscuté la semaine passée du riz doré. A point nommé car il s'agissait de savoir si l'ONG Greenpeace, qui s'oppose tous azimut aux OGM, allait ou non nuancer sa position. Car d'une part la science a fait beaucoup de progrès en matière de modifications génétique et permet désormais une technologie nettement plus précise et mieux contrôlée. D'autre part, c'est de plus en plus clairement démontré que le riz doré, un riz biologiquement enrichi en beta carotène, le précurseur de la vitamine A, pourrait sauver des millions de personnes par années de la mort ou de la cécité. Faucher les champs où on le teste, vu comme ça cela paraît carrément indécent.

Cette discussion illustre très bien la question qui fermait le débat paru dans Moins!: car il s'agissait justement d'examiner les conditions dans lesquelles une position sur les OGM devrait, ou non, changer. La question posée était la suivante: Dans le domaine des plantes génétiquement modifiées, les positions sont généralement très tranchées entre les défenseurs et les détracteurs. Chaque camp cite les études qui lui conviennent, études qui semblent souvent totalement contradictoires. Comment expliquer cette polarisation radicale ainsi que l'instrumentalisation de la science, qui n'en sort pas grandie?

"Les êtres humains croient plus facilement ce qui conforte leurs convictions. La démarche scientifique existe justement pour dépasser cette tendance. C’est une démarche extraordinairement exigeante d’examen critique des observations. Si vous faites partie d’un "camp" et que rien ne peut vous faire changer d'avis, alors ce que vous faites n’est pas de la science. Les opposants écologistes aux OGM sont ici dans une situation inconfortable, et certains s’en rendent d’ailleurs compte: la même démarche scientifique conclut que la modification génétique des plantes peut être sûre, et aussi que le réchauffement climatique d'origine humaine est réel. Alors ensuite, soit cette démarche est fiable, soit elle ne l’est pas! En s’opposant aux climato-sceptiques, certains ont dû réexaminer des arguments qu’ils avaient eux-mêmes utilisés en s’opposant radicalement aux OGM: en comprenant mieux comment la science se fait, y compris dans ce domaine, ils ont changé d’avis sur le génie génétique. Là, la science en sort grandie, et eux aussi."

La démarche scientifique, si on l'enseigne suffisamment pour que tous puissent comprendre comment elle marche, c'est un magnifique outil de démocratisation des connaissances. Vous ne savez pas si une observation est crédible ou pas? On vous explique comment on l'a faite, chacun peut la lire et la commenter, et vous pouvez ainsi comprendre par vous-même. Bien sûr, c'est difficile. Exigeant, plutôt. Ca mérite un effort de part et d'autre. Pour expliquer plus clairement, et aussi pour mieux comprendre. Il faut apprendre à faire le tri entre l'information réelle et toute une série de dénismes. Malgré tout cela la démarche scientifique laisse à chacun le choix: si je veux apprendre comment ça marche le génie génétique, comment on sait si les OGM sont sûrs, je peux le faire.

Je vous en parlais au sujet du PNR 59. Le Fonds National Suisse a récemment mis en ligne une trentaine d'études financées par des deniers publics en dans notre pays sur cinq ans ainsi qu'une revue internationale de la littérature disponible. Les résultats ont été résumés pour que tout un chacun puisse y avoir accès, et sont bien sûr également disponibles en français. Vous trouverez tout ça ici. 

Alors maintenant, des organisations comme Greenpeace sont prises dans la contradiction. La science: fiable ou pas fiable? La lutte: contre le réchauffement climatique ou contre les OGM? Dans des paysages comme celui qui ouvre ce billet, va-t-on planter des récoltes résistantes à la sécheresse ou 'planter' du désert? Pour qui souhaite un minimum de cohérence, il va falloir choisir...

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