Billet d'invité: Diagnostic préimplantatoire

Le diagnostic préimplantatoire est un sujet qui revient régulièrement. Je vous en avais déjà parlé par exemple ici, ici, et ici. Et vous savez aussi qu'un changement de loi est discuté ces temps dans notre pays. Sur ce dossier, qui semblait tout programmé pour réaffirmer le status quo, voilà qu'un changement pourrait se profiler. Un grand merci à Alex Mauron de nous faire un billet d'invité:

Le diagnostic préimplantatoire (PID): voilà un serpent de mer bioéthique d’une rare longévité dans notre pays. Ce blog s’est fait plusieurs fois l’écho des controverses concernant cette technique de diagnostic génétique précoce qui porte sur des embryons obtenus par fécondation in vitro. On sait que le DPI est interdit en Suisse, mais qu’il y a depuis pas mal d’années un consensus majoritaire dans les milieux médicaux et politiques pour l’autoriser sous conditions. En juin dernier, le Conseil fédéral avait proposé de lever l’interdiction et formulé un projet de règlementation très restrictif. Ce qui faisait problème, c’est principalement la limitation portant sur le nombre maximum d’embryons qu’il serait permis d’obtenir et de tester, ce nombre étant fixé à huit par cycle. C’était rendre tout la procédure très difficile, voire éthiquement discutable, au vu de la qualité dégradée du service ainsi proposé. C’était somme toute une façon habile de botter en touche et de cesser d’interdire le DPI sans l’autoriser vraiment.

Or une Commission parlementaire vient de jeter un pavé dans la mare. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des États propose une réglementation du DPI plus ouverte sur deux points cruciaux. Le premier est justement l’abolition de la limite portant sur le nombre d’embryons. Le second est l’autorisation du dépistage d’aneuploïdie des embryons par le moyen du DPI. Pour la première fois, une proposition réaliste de légalisation du DPI est sur la table et il faut saluer le courage politique de le Commission, qui ne lui vaudra pas que des amis. Le second point, à savoir la question du dépistage d’aneuploïdie, n’est pas moins importante mais moins souvent évoquée. Le DPI « classique », celui qui a alimenté les discussions depuis vingt ans, vise le diagnostic d’une anomalie de tel ou tel gène particulier, associée à une maladie dite « mendélienne » d’ores et déjà présente dans la famille et que le couple souhaite éviter à sa progéniture. Ce DPI-ci s’adresse à un nombre restreint de couples, précisément parce qu’il présuppose une histoire clinique bien particulière. Le dépistage d’aneuploïdie, lorsqu’il sera réellement au point, visera une toute autre finalité. En effet, il cherche à identifier les embryons atteints de défauts chromosomiques majeurs, généralement incompatibles avec le développement de l’embryon au-delà des premiers stades. Or on estime que ces défauts fréquents contribuent à abaisser le taux de succès de la fécondation in vitro. Ce dépistage n’est donc pas un diagnostic génétique au sens strict mais plutôt une étape intermédiaire de la fécondation in vitro, destinée à améliorer les chances d’obtenir un embryon viable et une grossesse menée à terme. Il pourrait donc un jour faire partie intégrante d’un protocole normal de fécondation in vitro, pertinent pour une bonne partie des couples en traitement pour infertilité. Le champ d’application potentiel de ce DPI « nouvelle manière » est donc bien plus grand et les problèmes d’éthique soulevés en partie différents. On ne sait pas à ce stade laquelle des technologies en lice - principalement issues des progrès de la génomique - s’imposera en définitive pour le dépistage d’aneuploïdie, mais on peut parier que cette technique figurera en bonne place des méthodes de traitement de l’infertilité dans un proche avenir.

La majestueuse lenteur avec laquelle la politique suisse digère la question du DPI a fait que cette technique aura eu le temps de changer assez radicalement de nature. La leçon à en tirer ? Le traitement des questions bioéthiques, ce n’est pas le dessin d’académie. On ne peut pas demander aux technologies controversées de prendre la pose indéfiniment, jusqu’à ce que philosophes, éthiciens, scientifiques, politiciens et leaders d’opinion aient concocté un compromis acceptable. Il nous faut une bioéthique qui fonctionne en temps réel.

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