Après mon dernier message, j'ai eu une discussion très intéressante avec un ami sur Facebook. Il exprimait, disons, sa surprise que l'on puisse défendre une action aussi "contraire à la dignité humaine" que le egg sharing. La raison pour laquelle il pensait que ce type de don d'ovocytes était contraire à la dignité humaine est que les ovules fécondés seraient des personnes que l'on ne peut pas ainsi donner ou - pire- vendre.
Cette personne est quelqu'un d'intelligent que j'apprécie beaucoup, mais c'est important de comprendre à quel point cette position est fausse. C'est important parce que c'est une erreur très répandue. C'est peut-être même en partie pour ce genre de raisons que le don d'ovocytes est interdit dans notre pays. Alors attention, me direz-vous, nous avons tous le droit d'avoir notre opinion n'est-ce pas? Oui, nous avons tous le droit d'avoir notre opinion. Mais nous ne pouvons pas avoir nos propres faits. Comme le disait un commentateur américain il y a quelques temps "nous vivons dans un pays qui garantit votre liberté d'exprimer ce que vous pensez, mais ce pays ne garantit pas que ce que vous dites est vrai". Pour comprendre l'histoire du don d'ovocytes, voilà ce qu'il faut avoir compris :
1) Les ovocytes peuvent être soit fécondés soit pas fécondés. La critique que formulait mon ami s'adressait au don d'ovocytes fécondés. Quand ils ne le sont pas, personne ne songerait à leur accorder les mêmes droits qu'à des personnes. Quand on parle de don d'ovocytes, on ne parle que d'ovocytes pas fécondés.
2) Lorsque les ovocytes sont fécondés, ils commencent par contenir deux noyaux des deux gamètes d'origines: celui de l'ovocyte lui-même et celui du spermatozoïde. La loi suisse autorise la congélation des ovocytes avant la fusion des noyaux. A ce stade, il n'y a pas eu de 'nouveau génome'. Pourquoi c'est important? Certains situent la survenue d'une personne avec des droits moraux au moment où ce nouveau génome existe. Là, on peut être d'accord ou pas d'accord. Mais pour savoir de quoi parlent ces personnes, ou si on est l'une d'elles, il faut savoir quand ce nouveau génome existe. Ce n'est pas lors de la fécondation de l'ovocyte, c'est en fait quelques temps après. Que cette fusion ait ou non eu lieu, cela dit, on a désormais un ovocyte fécondé: il n'est plus concerné par le don d'ovocytes.
C'est difficile de défendre l'idée qu'il y aurait un danger pour la 'dignité humaine' du simple fait de donner des ovocytes -pas fécondés- quand on a compris cela.
Est-ce que cela veut dire que les personnes inquiètes ont tort? Pas nécessairement. La possibilité du don d'ovocytes, si elle est mal encadrée, donne lieu à des risques d'exploitation des donneuses très réels. Mais ce ne sont pas les ovocytes eux-mêmes qui sont 'menacés'. Ce sont les femmes chez qui on les prélève, parfois dans des conditions qui ne respectent pas leurs droits à elles. Il y a donc bel et bien des dangers concrets pour la dignité de personnes qui sont clairement des personnes.
Mais justement: en autorisant la pratique du egg sharing, on autorise le partage par des femmes consentantes d'ovocytes qui ont été prélevés à l'origine pour elles et dont elles n'ont plus besoin. On parle de demander son consentement à une femme qui a eu recours à la PMA pour avoir elle-même un ou plusieurs enfants. Lorsqu'elle sait qu'elle ne voudra plus de nouvelles tentatives, s'il reste des ovocytes non fécondés, on lui donne la possibilité d'en faire don à un autre couple pour qu'ils puissent à leur tour tenter de mettre en route un enfant. Il n'y a pas de transaction financière, et il n'y a pas non plus de possibilité de procéder au prélèvement uniquement dans le but du don. En autorisant cette possibilité, on diminue le nombre de couples qui auront recours à un 'don' d'ovocytes contre de l'argent dans un pays étranger, donc potentiellement dans une situation où l'encadrement sera souvent insuffisant.
Alors, le risque pour la dignité humaine, là-dedans? Plutôt si on autorise? Plutôt si on interdit?
Procréation médicalement assistée: quelques clarifications
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Procréation médicalement assistée: quelques données
En bioéthique, il y a toujours deux versants à chaque question. Le plus visible est la discussion autour des valeurs. Mais il y a aussi toujours les faits. Des faits, après tout, on en suppose toujours dans notre raisonnement. Avec des justifications plus ou moins solides selon les cas. C'est donc en général une bonne idée de connaitre les faits le mieux possible, pour corriger nos suppositions quand elles sont fausses.
Cela tombe donc particulièrement bien que l'Office Fédéral de la Statistique nous livre des données sur la pratique de la procréation médicalement assistée si rapidement après la nouvelle prise de position de la Commission Nationale d'Ethique. Voici leur résumé:
"En 2012, 6321 couples ont suivi un traitement de procréation médicalement assistée contre 6343 l'année précédente. 10'821 cycles de traitements ont été initiés, soit légèrement plus qu'en 2011. Le traitement a abouti à une grossesse chez plus d'un tiers des femmes traitées et a permis la naissance d'environ 2000 enfants. Près d'un accouchement sur cinq comptait plusieurs enfants. L'infertilité masculine reste l'indication la plus fréquente."
Si l'on creuse les chiffres (ils sont disponibles ici), que trouve-t-on?
Les données concernent des femmes. C'est un peu provocateur, de présenter la chose comme ça. Après tout, un traitement de la stérilité concerne habituellement un couple. Le fait que les données soient présentées par 'femmes traitées', cependant, est révélateur. Les fardeaux physiques de la PMA sont surtout (pas seulement mais surtout) féminins. On en a en général conscience. Une conséquence directe est cependant que les limites de la PMA limiteront surtout (pas seulement mais surtout) les choix des femmes. C'est intéressant de s'en rappeler lors des discussions publiques sur ces technologies.
En même temps, l'indication la plus fréquente est la stérilité masculine. La PMA, ce n'est donc pas pour autant une 'affaire de femmes' exclusivement.
Le traitement aboutit à une grossesse dans environ 35% des cas, et environ 75% des grossesses aboutissent à une naissance. C'est à la fois beaucoup et peu, ça. Faire un enfant sans assistance médicale, après tout, cela abouti à une grossesse dans environ un tiers des cas pour un mois à la période la plus fertile et environ 20% de ces grossesses n'arrivent pas au bout. Pour un certain nombre, la femme ne se rendra en fait même pas compte qu'elle était enceinte. Pour de nombreuses personnes, cela dit, 35% c'est sans doute nettement moins que ce qu'elles se seraient imaginé. Ce chiffre signifie que la majorité des personnes ayant recours à la PMA devront renoncer sans avoir eu d'enfant.
Ce chiffre signifie aussi cela dit qu'environ 2000 enfants naissent chaque année en Suisse par PMA. Cela représente donc environ 2.5% des naissances. C'est beaucoup. En même temps, nous sommes aussi très loin d'un scénario où ce serait devenu le modèle dominant.
Chaque année, on collecte environ 7000 ovocytes de plus par rapport à ceux qui sont mis en fécondation. Ce chiffre est intéressant. En Suisse, la Constitution stipule à l'article 119 que "ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules humains pouvant être immédiatement implantés" et la Loi sur la Procréation Médicalement Assistée précise à l'article 17 que "Ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules imprégnés nécessaire pour induire une grossesse durant un cycle de la femme; ce nombre ne peut être supérieur à trois." et à l'article 4 que "Le don d'ovules et d'embryons ainsi que la maternité de substitution sont interdits."
Qu'est-ce que cela veut dire? Si on prélève chez une femme ayant recours à la stimulation pour une PMA plus d'ovocytes que ce qui est nécessaire pour son cycle, que peut-on en faire? On peut les congeler pour un cycle ultérieur de cette femme. On peut les imprégner et les congeler sans les laisser arriver au stade d'embryon, à nouveau pour un cycle ultérieur de cette femme. Ou on peut les détruire. On ne peut en aucun cas les donner à un autre couple. Qui protège-t-on ainsi? Mystère. Le prélèvement d'ovocytes explicitement en vue d'un don est une pratique qui comporte des risques éthiques importants, mais ici la situation est très différente. Si on autorisait le don d'ovocytes surnuméraires, le egg sharing, combien d'ovocytes seraient disponible pour le don? Les statistiques présentées ici ne permettent pas de le savoir. Sur ces 7000 ovocytes, un certain nombre est certainement éliminé en raison de problèmes techniques ou de mauvaise viabilité cellulaire. Un certain nombre pourrait être utilisé plus tard par la même femme. Et ces chiffres ne sont pas connus. Si vous lisez cela et que vous faites de la PMA, peut-être pouvez-vous nous mettre un commentaire? Un certain nombre d'ovocytes serait cependant plausiblement disponible pour le egg sharing, si cette pratique était autorisée.
Bien sûr, ces chiffres restent très techniques. Il y aurait aussi évidemment tout un paysage d'informations sur l'expérience des couples ayant recours à la PMA, pour différentes raisons, à différents stades de vie, et selon qu'ils parviennent finalement à avoir un (ou des) enfant(s) ou non.
Mais c'est déjà un bon début, non? Qu'en pensez-vous?
Cela tombe donc particulièrement bien que l'Office Fédéral de la Statistique nous livre des données sur la pratique de la procréation médicalement assistée si rapidement après la nouvelle prise de position de la Commission Nationale d'Ethique. Voici leur résumé:
"En 2012, 6321 couples ont suivi un traitement de procréation médicalement assistée contre 6343 l'année précédente. 10'821 cycles de traitements ont été initiés, soit légèrement plus qu'en 2011. Le traitement a abouti à une grossesse chez plus d'un tiers des femmes traitées et a permis la naissance d'environ 2000 enfants. Près d'un accouchement sur cinq comptait plusieurs enfants. L'infertilité masculine reste l'indication la plus fréquente."
Si l'on creuse les chiffres (ils sont disponibles ici), que trouve-t-on?
Les données concernent des femmes. C'est un peu provocateur, de présenter la chose comme ça. Après tout, un traitement de la stérilité concerne habituellement un couple. Le fait que les données soient présentées par 'femmes traitées', cependant, est révélateur. Les fardeaux physiques de la PMA sont surtout (pas seulement mais surtout) féminins. On en a en général conscience. Une conséquence directe est cependant que les limites de la PMA limiteront surtout (pas seulement mais surtout) les choix des femmes. C'est intéressant de s'en rappeler lors des discussions publiques sur ces technologies.
En même temps, l'indication la plus fréquente est la stérilité masculine. La PMA, ce n'est donc pas pour autant une 'affaire de femmes' exclusivement.
Le traitement aboutit à une grossesse dans environ 35% des cas, et environ 75% des grossesses aboutissent à une naissance. C'est à la fois beaucoup et peu, ça. Faire un enfant sans assistance médicale, après tout, cela abouti à une grossesse dans environ un tiers des cas pour un mois à la période la plus fertile et environ 20% de ces grossesses n'arrivent pas au bout. Pour un certain nombre, la femme ne se rendra en fait même pas compte qu'elle était enceinte. Pour de nombreuses personnes, cela dit, 35% c'est sans doute nettement moins que ce qu'elles se seraient imaginé. Ce chiffre signifie que la majorité des personnes ayant recours à la PMA devront renoncer sans avoir eu d'enfant.
Ce chiffre signifie aussi cela dit qu'environ 2000 enfants naissent chaque année en Suisse par PMA. Cela représente donc environ 2.5% des naissances. C'est beaucoup. En même temps, nous sommes aussi très loin d'un scénario où ce serait devenu le modèle dominant.
Chaque année, on collecte environ 7000 ovocytes de plus par rapport à ceux qui sont mis en fécondation. Ce chiffre est intéressant. En Suisse, la Constitution stipule à l'article 119 que "ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules humains pouvant être immédiatement implantés" et la Loi sur la Procréation Médicalement Assistée précise à l'article 17 que "Ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules imprégnés nécessaire pour induire une grossesse durant un cycle de la femme; ce nombre ne peut être supérieur à trois." et à l'article 4 que "Le don d'ovules et d'embryons ainsi que la maternité de substitution sont interdits."
Qu'est-ce que cela veut dire? Si on prélève chez une femme ayant recours à la stimulation pour une PMA plus d'ovocytes que ce qui est nécessaire pour son cycle, que peut-on en faire? On peut les congeler pour un cycle ultérieur de cette femme. On peut les imprégner et les congeler sans les laisser arriver au stade d'embryon, à nouveau pour un cycle ultérieur de cette femme. Ou on peut les détruire. On ne peut en aucun cas les donner à un autre couple. Qui protège-t-on ainsi? Mystère. Le prélèvement d'ovocytes explicitement en vue d'un don est une pratique qui comporte des risques éthiques importants, mais ici la situation est très différente. Si on autorisait le don d'ovocytes surnuméraires, le egg sharing, combien d'ovocytes seraient disponible pour le don? Les statistiques présentées ici ne permettent pas de le savoir. Sur ces 7000 ovocytes, un certain nombre est certainement éliminé en raison de problèmes techniques ou de mauvaise viabilité cellulaire. Un certain nombre pourrait être utilisé plus tard par la même femme. Et ces chiffres ne sont pas connus. Si vous lisez cela et que vous faites de la PMA, peut-être pouvez-vous nous mettre un commentaire? Un certain nombre d'ovocytes serait cependant plausiblement disponible pour le egg sharing, si cette pratique était autorisée.
Bien sûr, ces chiffres restent très techniques. Il y aurait aussi évidemment tout un paysage d'informations sur l'expérience des couples ayant recours à la PMA, pour différentes raisons, à différents stades de vie, et selon qu'ils parviennent finalement à avoir un (ou des) enfant(s) ou non.
Mais c'est déjà un bon début, non? Qu'en pensez-vous?
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Secret médical et dangerosité
On reparle de secret médical autour de l'évaluation de la dangerosité des détenus. A Genève, l'affaire du meurtre d'Adeline a fortement secoué les esprits. C'est parfaitement compréhensible. Mais c'est précisément parce que les enjeux soulevés ici sont tellement importants que l'on doit garder les idées claires. Même si la presse n'est pas toujours le reflet exact de débats complexes, les commentaires d'aujourd'hui méritent que l'on se penche sur deux choses. L'une c'est le secret médical, l'autre c'est la dangerosité.
A quoi sert le secret médical? D'habitude on est tellement d'accord que c'est une valeur importante qu'on oublie de se poser cette question. Le secret médical est déjà inclus dans le serment d'Hippocrates, présent donc aux racines de la médecine qui était pourtant pratiquée alors dans un monde passablement différent du notre. A quoi, donc, sert le secret médical? Il sert à protéger la sphère privée, notre contrôle sur ce qui transparait sur nous. Ce n'est pas tout. Il sert à permettre la confiance entre une personne malade, qui doit se confier à un médecin, et son thérapeute. Sans lui, trop d'informations seraient inaccessibles. On ne dit certaines choses aux médecins que parce que le secret est promis, et de manière crédible. Le secret médical sert du coup aussi à permettre dans certains cas que la consultation ait lieu. Pour certains problèmes, sans secret médical, on ne consulterait simplement pas. Il sert donc à protéger la collectivité, et non pas seulement l'individu. Il la protège même deux fois. En permettant l'exercice de la médecine (rien que ça!) et en permettant le contrôle des maladies contagieuses et le traitement plus généralement des maladies stigmatisées.
L'importance du secret professionnel (l'article 321 du code pénal, dans lequel il est inscrit, concerne les médecins mais pas seulement) est reconnue. Elle a cela dit aussi des limites. Comme son importance est reconnue, ses limites sont clairement encadrées. On a par exemple le droit, devant un danger grave et imminent pour une personne identifiée, d'alerter les personnes susceptibles d'écarter ce danger. Si vous êtes psychiatre et qu'un de vos patients claque la porte de votre cabinet en menaçant de tuer sa femme, et que vous le croyez, vous avez bien sûr le droit d'appeler la police et l'épouse en question.
Alors maintenant, la dangerosité: on l'aura compris, la question n'est pas de savoir si l'on pourrait 'supprimer' le secret médical pour 'protéger la société' en permettant l'évaluation de la dangerosité. Le secret professionnel sert entre autres à protéger la collectivité, qui encourerait des risques si on le supprimait. Il a déjà des exceptions, dans des cas strictement encadrés. La question est donc de savoir si l'évaluation de la dangerosité nécessite un élargissement des exceptions existantes, et si elle le justifierait. La question centrale est donc en fait: qui doit avoir accès à quelles informations pour permettre une évaluation aussi fondée que possible de la dangerosité d'un détenu.
Mais que voilà une question difficile. Elle est d'autant plus difficile qu'une évaluation exacte et sans possibilité d'erreur n'est pas possible. Dans la suite d'une histoire comme celle du meurtre d'Adeline, on aimerait en plus tellement pouvoir garantir la sécurité. Mais au fond que voudrait dire 'garantir'? Quelque part, il va falloir admettre qu'un certain risque, bas, d'accord, même très bas, toujours d'accord, mais non nul, est acceptable. Si on ne l'admet pas, si on souhaite enfermer toutes les personnes comportant le moindre danger pour autrui, alors on transformera la planète en prison.
Que faire alors dans les cas de détenus atteints de pathologies psychiatriques? Confier l'évaluation de la dangerosité au psychiatre? Au juge? Sur quelles bases? Dans quels cas? La réponse est loin d'être simple.
C'est peut-être aussi l'occasion de se rappeler qu'un bonne réponse n'a pas besoin d'être un simple oui ou non. En médecine carcérale, lorsqu'un détenu est contagieux les soignants avertissent les gardiens des précautions à prendre sans leur révéler le diagnostic. Les gardiens, quant à eux, avertissent les soignants des mesures de sécurité nécessaires avec les détenus dangereux sans leur révéler leurs antécédents criminels. Si les rôles des uns et des autres sont clairs, protéger sans tout dire en fait c'est possible...
A quoi sert le secret médical? D'habitude on est tellement d'accord que c'est une valeur importante qu'on oublie de se poser cette question. Le secret médical est déjà inclus dans le serment d'Hippocrates, présent donc aux racines de la médecine qui était pourtant pratiquée alors dans un monde passablement différent du notre. A quoi, donc, sert le secret médical? Il sert à protéger la sphère privée, notre contrôle sur ce qui transparait sur nous. Ce n'est pas tout. Il sert à permettre la confiance entre une personne malade, qui doit se confier à un médecin, et son thérapeute. Sans lui, trop d'informations seraient inaccessibles. On ne dit certaines choses aux médecins que parce que le secret est promis, et de manière crédible. Le secret médical sert du coup aussi à permettre dans certains cas que la consultation ait lieu. Pour certains problèmes, sans secret médical, on ne consulterait simplement pas. Il sert donc à protéger la collectivité, et non pas seulement l'individu. Il la protège même deux fois. En permettant l'exercice de la médecine (rien que ça!) et en permettant le contrôle des maladies contagieuses et le traitement plus généralement des maladies stigmatisées.
L'importance du secret professionnel (l'article 321 du code pénal, dans lequel il est inscrit, concerne les médecins mais pas seulement) est reconnue. Elle a cela dit aussi des limites. Comme son importance est reconnue, ses limites sont clairement encadrées. On a par exemple le droit, devant un danger grave et imminent pour une personne identifiée, d'alerter les personnes susceptibles d'écarter ce danger. Si vous êtes psychiatre et qu'un de vos patients claque la porte de votre cabinet en menaçant de tuer sa femme, et que vous le croyez, vous avez bien sûr le droit d'appeler la police et l'épouse en question.
Alors maintenant, la dangerosité: on l'aura compris, la question n'est pas de savoir si l'on pourrait 'supprimer' le secret médical pour 'protéger la société' en permettant l'évaluation de la dangerosité. Le secret professionnel sert entre autres à protéger la collectivité, qui encourerait des risques si on le supprimait. Il a déjà des exceptions, dans des cas strictement encadrés. La question est donc de savoir si l'évaluation de la dangerosité nécessite un élargissement des exceptions existantes, et si elle le justifierait. La question centrale est donc en fait: qui doit avoir accès à quelles informations pour permettre une évaluation aussi fondée que possible de la dangerosité d'un détenu.
Mais que voilà une question difficile. Elle est d'autant plus difficile qu'une évaluation exacte et sans possibilité d'erreur n'est pas possible. Dans la suite d'une histoire comme celle du meurtre d'Adeline, on aimerait en plus tellement pouvoir garantir la sécurité. Mais au fond que voudrait dire 'garantir'? Quelque part, il va falloir admettre qu'un certain risque, bas, d'accord, même très bas, toujours d'accord, mais non nul, est acceptable. Si on ne l'admet pas, si on souhaite enfermer toutes les personnes comportant le moindre danger pour autrui, alors on transformera la planète en prison.
Que faire alors dans les cas de détenus atteints de pathologies psychiatriques? Confier l'évaluation de la dangerosité au psychiatre? Au juge? Sur quelles bases? Dans quels cas? La réponse est loin d'être simple.
C'est peut-être aussi l'occasion de se rappeler qu'un bonne réponse n'a pas besoin d'être un simple oui ou non. En médecine carcérale, lorsqu'un détenu est contagieux les soignants avertissent les gardiens des précautions à prendre sans leur révéler le diagnostic. Les gardiens, quant à eux, avertissent les soignants des mesures de sécurité nécessaires avec les détenus dangereux sans leur révéler leurs antécédents criminels. Si les rôles des uns et des autres sont clairs, protéger sans tout dire en fait c'est possible...
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