Et comme d'habitude, le texte et le lien:
Le secret comme protection pour tout le monde
On reparle du secret professionnel, et voilà que c'est à nouveau l'heure de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Je vous le met ci-dessous. Je vous encourage aussi à signer l'initiative de l'Association des Médecins de Genève, que vous trouverez ici.
Et comme d'habitude, le texte et le lien:
La loi sur le secret médical vis-à-vis des détenus, adoptée de justesse par le parlement genevois le 4 février dernier, est une lecture poignante. On y lit entre les lignes la difficulté, la vraie difficulté, à laquelle se sont heurtés nos législateurs. Pour éviter le risque de tragédies futures, ils ont voulu mettre la thérapie des détenus sur écoute, la rendre entièrement accessible à la sécurité. En même temps, ils ont compris que cette démarche était vouée à l’échec, que transformer les médecins en informateurs allait les empêcher de soigner les malades en prison. Que, paradoxe ultime, les mesures thérapeutiques ordonnées par les tribunaux pour les personnes jugées dangereuses perdraient ainsi leur efficacité. Ils ont tenté de mettre des protections, d’éviter la tension, de naviguer entre deux.
A première vue, le compromis peut même avoir l’air assez réussi. Il reflète certainement les pratiques de nos collègues qui travaillent en prison. Il y est prévu qu’en cas d’état de nécessité, les professionnels « informent sans délai » les autorités « de tout fait dont ils ont connaissance et qui serait de nature à faire craindre pour la sécurité de la personne détenue, celle de l’établissement, du personnel, des intervenants et des codétenus ou celle de la collectivité, pour autant que le danger soit imminent et impossible à détourner autrement d’une part, et que les intérêts sauvegardés par une telle information l’emportent sur l’intérêt au maintien du secret professionnel d’autre part ». Qui, devant de tels faits, n’avertirait pas les autorités ? Bien sûr que nos collègues le font. Mais pour voir le problème, il faut comme toujours s’imaginer une loi appliquée dans la réalité. En cas de litige, qui va juger si, effectivement, un fait était « de nature à faire craindre » ? Cela peut après tout recouvrir toutes sortes de choses. Une menace crédible en sera certainement une. Une menace moins crédible ? Pas si clair. Un geste esquissé ? Peut-être. Un regard ? Parfois. Après coup, il sera pourtant trop facile de reprocher à un médecin d’avoir considéré qu’un fait n’était pas pertinent. L’obligation d’informer, avec le risque de sanctions qu’elle comporte, transforme les médecins en fusible. Si nos confrères veulent se protéger contre des reproches futurs, ils n’auront pas d’autre choix que de raconter…plus ou moins tout.
C’est précisément ce que l’on voulait éviter. On avait dans le temps décrit le secret comme un obstacle à la protection de victimes futures, mais en fait il lui est indispensable. Lorsqu’ils ordonnent des mesures thérapeutiques, les tribunaux savent qu’elles sont nécessaires pour limiter la dangerosité future. En soumettant les médecins à une obligation d’informer, on aura sacrifié l’efficacité de la thérapie sans finalement apprendre davantage sur les détenus puisqu’ils cacheront désormais aux médecins ce qu’ils auraient auparavant caché aux autorités.
L’initiative de l’AMG met ici le doigt exactement là où ça fait mal. Prescrire des mesures thérapeutiques sans confidentialité revient à envoyer un chirurgien au bloc en lui interdisant le bistouri. L’initiative transforme donc l’obligation d’informer en droit d’informer, rendant ainsi ses outils à la médecine carcérale. Demander à tout médecin de répondre aux requêtes des autorités, c’est exiger une tâche hautement spécialisée sans formation préalable. L’initiative remplace cette requête par une demande d’expertise en bonne et due forme. Je vous le disais, la loi est une lecture poignante. « Vous avez la solution » semble nous dire le législateur « faites votre travail et protégez-nous contre tout risque futur». Les médecins répondent ici calmement que bien faire notre travail, assurer notre part de protection, exigera une loi légèrement différente. Un bel exemple de professionnalisme. Espérons que la population suivra.
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