Que des médecins, même de nombreux médecins, soient réticents ou carrément opposés à l'avortement, cela ne doit pas surprendre. Voilà un sujet qui divise toutes les sociétés, et il n'y a pas de raison que les médecins soient le seul groupe unanime sur la question. Oui, on attend de nos médecins qu'ils soient de vraies personnes avec des valeurs personnelles et que ces valeurs leur importent. Sur les enjeux où des valeurs entre en tension et nous divisent, il faut s'attendre à en trouver de part et d'autre de la question.
En même temps, il y a quand même un problème. Pour un médecin, avoir des valeurs personnelles est un droit et une nécessité, oui. En revanche, les imposer à ses patient(e)s ne l'est pas. Vouloir que nos patients se comportent comme s'ils étaient d'accord avec nous, c'est leur nier ce même droit que l'on revendique: celui d'avoir des valeurs personnelles dans une situation difficile. C'est même grave: c'est un abus de pouvoir. Et à ce titre c'est contraire aux exigences de la déontologie professionnelle.
Ce jeu d'équilibre entre nos valeurs personnelles et ce que l'on a le droit d'importer dans la consultation médicale, cela fait partie de ce que nous nous efforçons d'enseigner à nos étudiants en médecine. Oui, soyez des personnes vivantes avec des valeurs personnelles, scrutez-les, voyez-les évoluer au court de votre vie, reconnaissez qu'elles sont vitales et précieuses. En même temps, attention. Vous serez tentés de faire respecter ces valeurs, si importantes pour vous, par vos patients. Vous pouvez, jusqu'à un certain point seulement, essayer de les convaincre. Ensuite, vous devez exercer la retenue: reconnaissez que vos patients sont comme vous et que vous ne pouvez pas leur imposer votre point de vue. Ils sont à votre merci et cela augmente votre responsabilité envers eux. Vous ne pouvez pas en profiter.
Comprendre qu'il n'y a là aucune contradiction n'est pas facile, mais c'est possible. C'est ce que Véronique Fournier appelle, dans son beau livre sur la fin de vie, "le choix de l'accompagnement comme posture éthique". Pour ceux qui ne peuvent pas s'engager dans cette voie, il reste la possibilité de l'objection de conscience. Ce droit d'objecter au nom de sa conscience, cependant, comporte aussi des limites. C'est un droit à se retirer d'une situation. En aucun cas un droit à barrer la route à l'autre. C'est à la personne qui objecte d'assumer l'exigence de sa propre conscience et non aux patients. On doit référer ailleurs dans un délai 'raisonnable', qui ne fait pas payer au patient le prix de notre décision. Quand on ne le peut pas, on n'a pas le droit d'objecter.
Voilà des distinctions importantes et il semble que, pour les appliquer, il reste du chemin à faire...
2 commentaires:
L'objection de conscience elle-même a aussi des limites, sans doute, qui sont celles du droit des patient-es; il y a des régions entières d'Italie ou de Pologne, par exemple, où l'avortement est rendu impossible par une "objection de conscience" massive des médecins. Pas simple d'équilibrer les droits !
Exactement. C'est la raison d'être de l'obligation de pouvoir référer ailleurs dans un délai raisonnable. Si l'autre option n'existe pas, on ne peut plus objecter. C'est un droit à se retirer, qui trouve sa limite dans le droit du patient à accéder aux soins.
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