L'autorisation de l'assistance au suicide en Suisse est une des législations les plus libérales du monde en la matière. Trois conditions suffisent: la personne qui souhaite mourir doit réaliser elle-même le geste fatal, et doit être capable de discernement; la personne qui accepte de l'assister ne doit pas avoir de motifs égoïstes. Et c'est tout. La loi ne prévoit pas que la personne fournissant l'assistance soit un médecin, ni que la personne la demandant soit malade.
Cet accord, qui dit en substance que l'état ne se mêlera pas d'une décision prise entre particuliers, laisse en théorie une place très large à la liberté individuelle. A quel point? L'association d'aide au suicide Dignitas (non, je ne vous mettrai pas de lien ici) s'apprête à en tester l'étendue. 'Pour clarifier' la légalité de l'assistance au suicide d'une personne en bonne santé, son fondateur Ludwig Minelli s'apprête à assister un couple canadien dont seul le mari est malade. L'épouse, en bonne santé, veut accompagner son mari dans la mort.
On est touché, bien sûr, par la tristesse de cette situation. Mais au delà de l'aspect poignant, que faire? Est-ce si simple? Une poignée de main, l'accord mutuel, est-il suffisant pour autoriser l'assistance au suicide dans un tel cas? Il y aurait en fait là plusieurs problèmes.
Par ordre croissant:
-Vouloir clarifier une loi, qui plus est dans un but militant, cela constitue-t-il un motif égoïste? Ça ressemble à de la pinaillerie, mais si un tribunal suisse décidait que oui cela invaliderait du coup la démarche-même de 'tester les limites' et ainsi pas mal d'autres activités de Dignitas...On aimerait ajouter ici: 'nous verrons comment tranchera le tribunal', mais quelle décision de justice mérite qu'une personne meure pour la solliciter? Espérons ne pas en arriver là.
-Déclarer son intention de mourir avec son conjoint, est-ce un choix véritablement libre? Difficile question. Plus concrètement, si cette pratique était autorisée, en viendrait-on à douter de l'amour de ceux qui ne le choisiraient pas? La réponse n'est pas évidente, mais la question est hantée de l'histoire des bûchers funéraires où les veuves étaient brûlées, parfois pour éviter l'opprobre de l'avoir refusé...
-Dans quelle mesure quelques contactes avant un voyage 'en aller simple' suffisent-ils aux précautions et au souci requis par la gravité de l'assistance au suicide? Il s'agit là aussi d'une question mettant en jeu une part importante de l'activité de Dignitas.
Mais plus au fond des questions mobilisées ici, savoir s'il peut être admissible d'assister le suicide d'une personne en bonne santé questionne les raisons-mêmes pour lesquelles l'assistance au suicide est tolérée. De telles circonstances remettent en question la notion d'autonomie. Deux de ses composantes sont l'indépendance de pensée, et l'identification à soi (ou la conviction que l'on agit selon ce que nous percevons comme nos soucis les plus fondamentaux). Et qu'est-ce qu'être amoureux signifie, sinon que notre pensée n'est pas indépendante, mais que c'est cela même que nous considérons comme le plus fondamentalement notre? Difficile question, à laquelle une réponse n'est en fait pas nécessaire ici. Car l'acceptation de l'assistance au suicide là où elle est légale repose en général sur la co-existence de deux dimensions: un choix authentique, oui, mais aussi la présence d'une souffrance incurable. Quelque chose qui ressemble à une maladie est donc bel et bien requis, du moins par l'opinion. Le deuil peut-il être cela? Une maladie? Qui justifierait l'assistance au suicide? Ce serait là une médicalisation étonnante, vaste, et profondément paradoxale.
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4 commentaires:
OUI à l'aide au suicide, mais NON à l'euthanasie !
Au sujet de la différence entre l'euthanasie et l'aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu'il n'existe pas de différence entre les deux : dans un cas c'est le patient lui-même qui s'enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l'autre c'est le médecin qui la retire. Il faut d'abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l'on se situe sur le terrain de l'éthique, on peut raisonnablement soutenir qu'il n'existe pas de différence. Cependant, si l'on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l'euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l'emprisonnement à perpétuité) et l'aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d'emprisonnement). Dans le cas de l'aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l'aide au suicide constitue d'une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972, cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu'une complicité que s'il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n'est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l'aide au suicide est donc un non-sens.
En revanche, l'euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l'un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l'interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d'autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d'ailleurs aboli la peine de mort en 1976 ! Si l'euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l'esprit, conclure que l'euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d'un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d'abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d'exprimer leur volonté) et les risques d'érosion de l'ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l'euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l'euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l'encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :
« Il existe, tout d'abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier,
et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C'est là l'argument dit du doigt dans l'engrenage qui, pour être connu, n'en est pas moins réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le consentement à l'euthanasie ne soit pas vraiment un acte parfaitement libre et volontaire »
Eric Folot
Bienvenue!
Si vous lisez ce blog un peu plus avant, vous verrez que nous sommes d'accord sur plusieurs points. Pas sur tout, mais c'est cela qui rend les discussions intéressantes. J'espère que nous aurons l'occasion d'en rediscuter.
Cela dit, rapidement un point: même s'il existe bien sûr d'autres arguments contre la légalisation de l'euthanasie, l'argument de la 'pente glissante' que vous évoquez en fin de commentaire est en fait nettement plus problématique qu'il ne le paraît. Il est vrai, toutes sortes de personnes et de commissions -officielles ou non- l'évoquent. Vous citez ainsi la Commission de réforme du droit au Canada. Mais cet argument est empirique, non vérifié, et le fait que des personnes respectables évoquent cet argument ne le rend pas pour autant vrai. A l'heure actuelle, il n'y a qu'un pays (la Belgique) qui ait des données sur la pratique de l'euthanasie avant et après sa légalisation. Ces données ne sont pas encore publiées, mais je les bloguerai dès que j'en aurai connaissance. Voilà ce que l'on sait pour le moment:
1) On a évoqué les mêmes craintes lorsqu'il s'agissait de donner aux patients le droit de refuser des mesures de maintien en vie, de dire non à l'acharnement thérapeutique. On craignait aussi que des personnes ne soit ainsi à l'avenir 'achevées' à coup de retrait de ventilation mécanique. Ce n'a pas été le cas.
2) L'euthanasie est pratiquée, qu'elle soit légale ou non. Et lorsqu'elle n'est pas légale, il est raisonnable de supposer qu'elle est plus souvent cachée au patient par crainte de poursuites. Ce n'est pas certain, car une fois de plus nous n'avons pas de données comparatives avant-après, mais c'est au moins aussi raisonnable que d'autres suppositions. Et si c'est vrai que l'euthanasie est plus souvent cachée lorsqu'elle est illégale, ce n'est bien sûr pas une bonne manière de garantir que le consentement soit 'un acte parfaitement libre et volontaire'. Si le seul argument contre l'euthanasie était qu'il est important de prévenir l'euthanasie involontaire, alors il faudrait peut-être bien que l'euthanasie volontaire (consentie par le patient) soit légale...
Mais ce n'est bien sûr pas le seul argument. Le débat ne sera donc pas clos une fois les données belges disponibles. Nous aurons donc certainement l'occasion d'en rediscuter.
Pour plus d’informations, je vous invite à lire mon mémoire de maîtrise en droit de la santé (Université de Sherbrooke et Université Montpellier 1) intitulé : « Étude comparative France-Québec sur les décisions de fin de vie : le droit sous le regard de l’éthique » (2010) que vous pouvez télécharger à l’adresse suivante : https://public.me.com/ericfolot/fr/
Eric Folot
Je vous remercie de signaler ce travail que je me réjouis de lire à l'occasion. Sur la base du résumé, le système que vous prônez semble proche du système suisse.
Et, connaissez-vous ceci?
Extrait des conclusions:
"En conclusion, le groupe de travail propose à la commission des affaires sociales :
- de demander au Garde des Sceaux d'adresser une directive aux parquets les invitant à discerner les cas où une assistance à la mort aura été apportée pour le seul motif de répondre au désir répété de la personne et à les classer sans suite en application de l'article 122-2 du code pénal ;
- de demander au président de l'observatoire de la fin de vie d'engager des études sur les pratiques entourant la fin de vie selon la méthodologie élaborée par le professeur Luc Deliens, et, à défaut, de confier à ce dernier le soin de les conduire pour le Sénat."
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