Il n'y a pas que mes collègues qui sont bien: mes étudiants aussi! L'un d'entre eux m'a posé récemment une série de questions qui méritent un public plus large. Comme vous allez voir, il n'est pas d'accord avec moi. Je tiens donc à préciser que je suis heureuse et fière quand mes étudiants posent de bonnes questions, et que cela vaut parfois encore plus quand ils ne sont pas d'accord avec ce que j'ai dit. Nos débats publiques sont fait de désaccords, et un de nos buts dans l'enseignement est de former des participants intelligents, quelles que soient ensuite leurs positions.
Maintenant, ses questions. La première est en lien avec le fait de payer pour d'autres alors qu'on n'est pas d'accord avec eux. Je vous en avais déjà parlé.
Sa question: "Vous présentez le remboursement de l'avortement
comme une responsabilité collective, un acte nécessaire pour le bien de
la société. Pourtant certaines personnes considèrent cet acte comme un
meurtre. Pensez vous juste que certaines personnes soit obligé de cotiser pour ce qu'ils considèrent comme un crime?"
Il a tout à fait raison que certaines
personnes considèrent l'avortement comme un meurtre. Et si l'on pense cela, alors il est évident
qu'il ne faut pas le faciliter. Et il peut sembler que le rembourser, c'est le faciliter. Il est cela dit tout aussi évident que si l'on pense que l'avortement est un meurtre, alors il ne faut pas non plus l'autoriser. En d'autres termes si c'est cela
que l'on pense alors cette initiative n'est pas la bonne réponse.
Premièrement, elle continue de cautionner l'interruption de grossesse en
ne la criminalisant pas. Deuxièmement, toujours de ce point de vue,
elle met en effet les 'coupables' face à une certaine responsabilité puisqu'il y a de l'argent à payer, mais de manière complètement
inégale. Les sommes en question sont très faciles pour les unes,
et impossible pour les autres. En plus...où sont passés les hommes? Au-dessus des lois, pour le coup. De celle-ci, en tout cas. Une bien étrange punition, qui ne frapperait que les plus défavorisées.
A nouveau, donc, il y a ici une question qui dépasse largement l'interruption de grossesse. Il s'agit, sur le principe, d'une question d'égalité devant le droit. Ni plus ni moins.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles même les représentants des églises ne soutiennent pas cette initiative pour sortir l'interruption de grossesse de la prise en charge collective. La conférence des évèques de Suisse n'a pas pris position sur ce texte, et aurait 'mis en doute la pertinence du texte soumis au peuple'. Vous trouverez également ici, ici, ici et ici une série de commentaires contre l'intiative d'un point de vue très explicitement catholique.
La fédération des Églises protestantes de Suisse, elle, s'est clairement prononcée contre l'initiative.
Ces positions sont touchantes à plus d'un titre. D'abord, elles ont dû donner lieu à de vraies difficultés. Penser que l'avortement est un crime et ne pas vouloir soutenir une initiative qui l'excluerait du remboursement n'est pas anodin. Mais du coup ces positions font preuve d'une grande honnêteté. On voit bien que, pour les églises, il serait difficile de défendre une position qui voudrait que l'avortement soit interdit, mais alors seulement pour les plus faibles et les plus humbles d'entre nous...
Un autre point crucial est que finalement tout le monde semble d'accord qu'il est important de voir diminuer le nombre d'avortements. Malgré une expression trop fréquente, donc, personne n'est réellement pour l'avortement. Les personnes décrites ainsi sont habituellement pour l'accès à un avortement dans des conditions de sécurité. Ces personnes sont aussi pour le droit des femmes à la sécurité et à la propriété de leur propre corps. Mais personne ne pousserait des cris de joie à voir le nombre d'avortements augmenter. Si tout le monde est d'accord sur ce point, cela dit, alors la question devient: qu'est-ce qui marche? Et il semble qu'en Suisse, notre système actuel marche en fait plutôt bien. Tranquillement, tenacement, les interruptions de grossesse tendent à diminuer. Si cette évolution se fait au prix d'un remboursement solidaire, alors c'est peut-être que c'est cela qui marche. Et cela, toutes les personnes qui se réjouissent de cette diminution devraient pouvoir le soutenir...solidairement.
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