Ils sont décidément bien, mes collègues. Cette fois, c'est un interview à la radio par le théologien Denis Müller. Il y dit plusieurs choses importantes. Une d'entre elles est que dérembourser l'avortement défavoriserait...les femmes défavorisées.
C'est une réalité très concrète. Interrompre une grossesse coûte, d'après les estimations disponibles, entre 500.- et 3000.-. Une somme qu'un grand nombre de personnes peuvent se permettre si elles l'estiment vraiment important. Ces personnes pourraient être tentées de penser que, du coup, ce n'est pas si grave si l'assurance ne payait plus. Mais il se trouve que l'Office fédérale de la statistique a posé récemment à la population suisse une question qui concerne justement cela. "Si vous deviez faire face à une dépense inattendue" nous a-t-on demandé (j'étais parmi les foyers questionnés) "pourriez-vous le faire?" et il était précisé, car on ne peut pas vraiment répondre sans cette précision, qu'il s'agissait d'une dépense de deux à trois mille francs. A peu près le coût, donc, d'une interruption de grossesse. Les résultats? 17% de la population a répondu que non. Parmi ces personnes, 18% des femmes et 16% des hommes. Pas une grande différence peut-être, mais elle est bel et bien là. Parmi les personnes n'ayant complété que la scolarité obligatoire, ce chiffre monte à 30%, parmi les personnes au chômage à 51%. Les personnes vivant seules de moins de 65 ans (au-dessus, les grossesses sont rares): 23%. Les familles monoparentales: 48%. Les couples avec enfants font mieux, mais ce n'est pas rose non plus: entre 15 et 20% ne peuvent pas faire face à une dépense inattendue de ce montant, cela varie selon le nombre d'enfants. Les personnes qui ont répondu non sont aussi plus nombreuses en Suisse romande (26%) et en Suisse italienne (25%) qu'en Suisse allémanique (13%). Impressionnant, comme au travers de cet indicateur on voit se dessiner les fragilités de notre société.
Que déduire de ces chiffres? D'abord, que Denis Müller a raison: dérembourser l'avortement défavoriserait les femmes défavorisées. Elle sont finalement une part substantielle de la population, mais le fait qu'elles soient néanmoins minoritaires les fragilise également ici face au vote à la majorité qui est la règle du scrutin populaire.
Ensuite, il a encore raison lorsqu'il parle ici de solidarité. Garder l'interruption volontaire de grossesse dans les prestations de la LAMal, c'est accepter de protéger, collectivement, ces femmes défavorisées contre les risques liés aux avortements clandestins, non médicalisés, dangereux. Il y a là des risques véritables, vérifiés historiquement et encore aujourd'hui dans les pays où l'avortement en sécurité n'est pas accessible. Ces risques, il est juste que nous payons collectivement pour les écarter. Il est juste que nous payons tous: les hommes aussi, ainsi que les femmes qui pourraient au besoin se payer une interruption de grossesse elles-mêmes, ou qui choisiraient personnellement de ne pas y avoir recours.
Cette prise en charge collective est juste, comme l'est toute une série d'autres prises en charges collectives pour des choses que nous n'utilisons pas tous, et qui parfois ne font pas consensus non plus. Les personnes sans voiture co-financent les autoroutes, les personnes sans enfants les subsides des crèches. Les membres convaincus du Groupe pour une Suisse sans armée co-financent comme tout le monde l'armée, les cyclistes militants participent au financement du réseau routier. Il est juste qu'il en soit ainsi: nous sommes une collectivité. Il y a ici un enjeu politique dont l'importance dépasse largement la seule interruption de grossesse.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
1 commentaire:
Merci Samia de ce beau commentaire développé, je te rejoins complètement de même que ce qu'ai dit Alex Mauron sur facebook
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez vous identifier au moyen des options proposées, ou laisser un commentaire anonyme. Évidemment, dans ce cas vous pouvez quand même nous dire qui vous êtes.