Un très bel article dans le Washington post de la semaine passée. Un sujet difficile, mais un très bel article. A lire tranquillement, quand il fait beau et qu'on a le temps de pondérer des choses tristes mais importantes. Son titre est 'Nos idées irréalistes de la mort, vue à travers les yeux d'un médecin'. L'image aussi est très belle, je vous la remets donc avec la source.
La vérité avec laquelle l'auteur de cet article décrit les choses est, en guise d'avertissement, parfois un peu brutale. C'est vrai. Et il parle de situations de maladie très avancée, et ses propos ne s'appliqueront pas dans tous les cas de maladie grave, ni dans tous les cas de maladies chez des personnes très atteintes ou très âgées. En plus certains passages, vous verrez, ne s'appliquent pas tels quels en
Suisse. Mais il touche souvent juste. Et ce sont des sujets trop peu abordés dans les media, et sur lesquels la clarté qu'on trouve ici est bienvenue. J'ai commencé par vouloir vous traduire un (long) extrait en vous donnant le lien, mais de fil en aiguille j'ai fini par quasiment tout traduire.
Si vous avez une expérience personnelle et que vous êtes
d'accord de la raconter en commentaire, elle sera évidemment très précieuse.
Voilà donc:
Je sais où va ce coup de fil. Je suis dans un couloir d'hôpital et un médecin des urgences me parle d'un patient âgé qui a besoin d'être hospitalisé. Ce patient est nouveau pour moi, mais son histoire est familière: il a plusieurs maladies chroniques - insuffisance cardiaque, des reins affaiblis, une anémie, une maladie de Parkinson, une démence débutante - toutes plus ou moins contrôlées par une poignée de médicaments. Il est tombé plus souvent, et son appétit diminue. Maintenant, une attaque cérébrale menace de faire tomber son château de cartes.
Avec le médecin des urgences, nous discutons brièvement de ce qui peut être fait. L'attaque a fait monter la tension artérielle du patient à un niveau astronomique, aggravant son état cardiaque et maintenant aussi celui de ses reins. L'attaque est suffisamment sérieuse pour que, avec la maladie de Parkinson en plus, il ne marche sans doute plus jamais. Chez un patient âgé avec un tissu de problèmes médicaux, les complications de toutes les interventions envisageables sont souvent importantes et les bénéfices pour lui faibles. C'est un échec-et-mat médical: toutes les stratégies se termines par une abdication.
Je me dirige vers les urgences. Si j'ai de la chance, la famille acceptera la nouvelle que, à une époque où nous sommes capables de séparer des jumeaux siamois et de réattacher des jambes coupées, les personnes continuent de s'user et de mourir de vieillesse. Si j'ai de la chance, la famille reconnaîtra que la personne qu'ils aiment s'approche de la fin de sa vie.
Mais je n'ai pas toujours cette chance. La famille pourrait me demander d'utiliser mes superpouvoirs de médecin pour pousser le corps fatigué de ce patient encore un peu plus loin sur la route, sans trop se demander si la souffrance ajoutée ainsi en vaut la peine. Pour beaucoup d'Américains, les progrès de la médecine moderne ont fait ressembler la mort à une option plus qu'à une obligation. Nous voulons que les personnes que nous aimons vive le plus longtemps possible, mais notre culture s'est mise à voir la mort comme un échec de la médecine plutôt que comme la conclusion naturelle de la vie.
Ces attentes irréalistes commencent souvent par une surestimation du pouvoir de la médecine pour prolonger la vie. C'est un malentendu encouragé par l'augmentation énorme de l'espérance de vie au cour du siècle dernier. En entendant que l'espérance de vie aux Etats-Unis était de 47 ans en 1900 et de 78 ans en 2007, on pourrait conclure qu'il n'y avait pas beaucoup de personnes âgées dans l'ancien temps, et que la médecine moderne a inventé le grand âge. Mais l'espérance de vie moyenne est faussée par la mortalité infantile, et les taux de mortalité infantile étaient élevés à l'époque. En 1900, environ 100 nouveau-nés mourraient pour 1000 naissances. En 2000, le taux était de 6.89.
La diminution la plus importante est venue dans la première moitié du siècle, de mesures de santé publique simples comme des améliorations de l'hygiène et de l'alimentation. Ce ne fut pas la chirurgie à coeur ouvert, les IRM, ou la médecine sophistiquée. (...) Malgré toute sa complexité technologique et ses coûts importants, la médecine moderne pourrait être en train de compliquer la fin de vie plus qu'elle ne prolonge ou améliore la vie.
(...) Un autre facteur dans notre déni de la mort est plus en lien avec les changements démographiques que médicaux. L'exode massif de notre pays hors des campagnes et de l'existence agricole vers un mode de vie plus urbain signifie que nous avons aseptiquement laissé la mort et le monde naturel derrière nous. A la fin du 19e siècle, 80% des américains vivaient dans les campagnes. En 2010, 80% vivent dans des villes.
Pour la plupart d'entre nous qui vivent avec des trottoirs et des éclairages publiques, la mort est devenue un événement rarement vu et étranger. (...) Les poulets que la plupart des personnes mangent viennent dans un emballage plastique et pas au bout d'une hache. Les fermiers que je soigne ne sont pas plus pressés de mourir que mes patients citadins, mais quand la mort vient ils la connaissent. Ils l'ont vue, sentie, eue sous leurs ongles. Une vache qui meurt n'est pas la même chose qu'une personne qui s'approche de la mort, mais vivre à la campagne renforce notre compréhension que tout ce qui vit mourra un jour.
L'urbanisation de masse n'a pas été la seule chose qui nous a aliéné du cercle de la vie. La prospérité croissante nous a permis d'isoler le vieillissement. Avant les EMS, les centres de vie assistée, et les soins à domiciles, les grands-parents, leurs enfants, et leurs petits-enfants vivaient souvent sous le même toit et les difficultés de tous étaient visibles à l'oeil nu. En 1850, 70% des personnes âgées blanches vivaient avec leurs enfants. (...) Aujourd'hui, c'est seulement 16%. Séquestrer nos personnes âgées empêche la plupart d'entre nous de savoir ce que c'est que de vieillir.
Cette distance physique et émotionnelle devient évidente lorsque nous devons prendre les décisions qui accompagnent la fin de la vie. La souffrance est comme un feu: ceux qui sont assis le plus près sentent mieux la chaleur; une image d'un feu ne donne pas chaud. C'est pour cela que c'est typiquement le fils ou la fille qui a été physiquement le plus proche de la douleur d'un parent âgé qui est plus prêt(e) à lâcher prise. Parfois, un membre de la famille éloigné va 'venir par avion la semaine prochaine pour s'occuper de tout ça.' C'est généralement la personne qui connait le moins bien la santé et les difficultés de son parent; elle aura des problèmes à vouloir amener son cheval blanc comme bagage de cabine. Cette personne pense sans doute qu'elle agit par compassion, mais une grande partie de ce qui l'a conduite dans l'avion est la culpabilité et le regret de vivre loin et de ne rien avoir porté les charges qui viennent avec les soins à un parent âgé.
Avec des attentes irréalistes sur notre capacité à prolonger la vie, avec la mort comme événement inconnu et 'contre-nature' , et sans un sens réaliste, tactile, de combien un patient âgé est en train de souffrir, il est facile pour les patients et leurs familles de demander toujours plus d'examens, plus de médicaments, plus d'interventions.
Nous nous sentons souvent mieux lorsque nous faisons quelque chose que lorsque nous ne faisons rien. L'inaction nourrit l'impression d'être démunis, et coupable, que ressentent déjà souvent les proches lorsqu'ils se demandent "Pourquoi ne puis-je pas faire plus pour cette personne que j'aime tant?"
Vouloir tenter toutes les formes de traitement médical pour soulager ce sentiment de culpabilité est aussi une forme d'assurance-vie émotionnelle. Lorsque leur proche mourra, les membres de sa famille pourront se dire que "nous avons fait tout ce que nous avons pu pour Maman". Dans mon expérience, c'est un besoin plus important que l'admission tout aussi valable (et parfois plus honnête) que "nous avons vraiment fait traverser l'enfer à Papa ces quelques derniers mois".
Il vient un stade de la vie où un traitement médical agressif peut se transformer en torture légalement admise. Quand un cas de ce type survient, les infirmières, les médecins, les thérapeutes sont en crise de conscience et se sentent immoraux. Nous nous sommes engagés à soulager la souffrance, pas à la causer. Une infirmière à la retraite m'a un jour écrit: "Je suis heureuse de ne plus avoir à faire de mal à des personnes âgées."
Lorsque des familles parlent de laisser une personne aimée mourir 'naturellement', elles veulent souvent dire 'dans son sommeil' - pas d'une maladie curable comme une attaque, un cancer, ou une infection. Choisir de laisser mourir une personne qu'on aime en ne traitant pas une maladie ressemble à une sorte de complicité; à l'inverse, choisir un traitement qui le poussera vers plus de souffrance nous donne l'impression de prendre soin de lui. Bien sûr, il est facile de comprendre les souhaits de ces proches. Mais ils ne se rendent pas compte que très peu de personnes âgées ont la chance de mourir dans leur sommeil. Presque tous, nous mourrons de quelque chose.
Des amis proches ont pris leur père, qui combattait une démence, pour vivre avec eux pour ses dernières splendide et difficiles années. Là, il l'ont aimé complètement à mesure que la maladie d'Alzheimer prenait son sombre tribut. Ils ne regardaient pas la carte postale d'un feu; ils se sont fait brûler les sourcils par la chaleur. Quand une pneumonie est finalement venue le prendre, ils étaient prêts à le laisser partir.
Nos idées irréalistes de la mort...
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