Éditer le génome des embryons?
Sur la question des embryons humains génétiquement modifiés par des chercheurs chinois, il y a forcément un peu plus à dire que le temps qu'on vous donne aux nouvelles. Du coup (je soupçonne ici que ce n'est pas seulement moi) on sort un brin frustré. Voici donc quelques commentaires en plusde la video et quelques explications.
La première chose qu'il faut savoir, c'est que la technique utilisée commence par couper dans le génome avant d'y insérer un gène corrigé. Elle été inventée par deux femmes pour une application chez les bactéries, mais en fait la technique peut en théorie être utilisée dans n'importe quelle cellule.
Et là, des chercheurs de l'Université Sun Yat-sen University à Guangzhou ont pratiqué une expérience pour voir ce que cela donnerait sur des embryons humains.
La deuxième chose à savoir, c'est que cela n'a pas très bien marché. Certains embryons n'ont pas survécus, d'autres n'étaient pas modifiés, ceux qui l'étaient n'avaient souvent pas la modification attendue. Si cette expérience a montré quelque chose, donc, c'est d'abord à quel point la technique est immature.
La troisième chose qu'il faut savoir, c'est que cela fait un certain temps que la manipulation génétique des embryons humains est considérée comme quelque chose qu'il ne faut absolument pas faire. Pourquoi? Parce que si l'on procède à une manipulation génétique sur un embryon humain et que tout ne se passe pas exactement comme prévu, alors le risque est énorme. Si cet embryon est implanté, se développe et arrive jusqu'au terme d'une grossesse, bref devient une personne comme vous et moi, alors cette personne devra subir toute sa vie d'éventuels effets secondaires. Ce fardeau risque en plus d'être ensuite transmis aux générations futures.
Le résultat, c'est qu'un certain nombre de pays ont tout bonnement interdit la manipulation génétique germinale : celle qui touche aux cellules reproductives. En Suisse, l'article 119 de la Constitution fédérale stipule entre autres que "toute forme de clonage et toute intervention dans le patrimoine génétique de gamètes et d'embryons humains sont interdites".
Ici cependant, non seulement ces embryons n'ont pas été implantés mais ils n'auraient pas pu se développer jusqu'à terme. Les risques n'auraient donc existé ni pour une personne future ni pour les générations futures.
La quatrième chose à savoir, c'est que sur la base des craintes soulevées par la manipulation génétique des embryons humains, la communauté scientifique est en plein appel au moratoire. Des éditoriaux parus coup sur coup dans Nature et Science ont appelé à la prudence, et à ce que la communauté scientifique s'abstienne pour le moment de certaines applications de cette technologie. Et c'est bien le hic: c'est au milieu de ces appels et avant qu'une décision n'ait été prise que cette expérience a été publiée.
La réaction ne s'est pas faite attendre (par exemple ici, ici, ici) En attendant cependant, il semble que d'autres groupes soient prêts à emboîter le pas et à chercher à améliorer la technique. La communauté scientifique, qui s'est déjà imposé des moratoires dans le passé, va-t-elle être en mesure de définir et d'implémenter une limite dans ce cas? Cela ne sera peut-être pas suffisant, mais ce serait déjà pas mal. Car c'est finalement un test, que ce cas. Sur les dernières décennies, la communauté scientifique s'est beaucoup décentralisée. Va-t-elle néanmoins être capable de décider d'un moratoire et d'en définir les paramètres? Le Dr Baltimore, un des auteurs d'appels au moratoire, dit compter pour cela sur l'autorité morale des États-Unis. Sans doute voit-on cela d'un autre œil en Chine. Mais alors comment faire, dans un monde devenu si multilatéral? Ce n'est pas seulement un enjeu éthique qui se joue là. C'est un cas d'espèce où l'on sent bouger les rapports de pouvoir du monde.
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