Comme d'habitude quand je fais un billet dans la Revue Médicale Suisse, je vous met le texte avec le lien ici.
Ils font une drôle de tête, les étudiants en médecine. Et si eux ne
comprennent pas, comment feront les autres ? Je viens de leur raconter,
dans un séminaire sur la mort cérébrale, que la première européenne pour la transplantation cardiaque après arrêt circulatoire vient d’être réalisée en Angleterre.
«Si c’est l’arrêt cardiaque qui a causé la mort, comment ça se fait
qu’on puisse ensuite le greffer à quelqu’un d’autre ?». La question
démarre en fait une étape avant. Quand sait-on que nous sommes
réellement morts ? Hier, les «croque-morts» croquaient littéralement les
cadavres au pied, aujourd’hui on est mort lorsque meurt notre cerveau.
Plus exactement, c’est notre tronc cérébral qui meurt et avec lui la
capacité intégrative sur les fonctions vitales. L’organisme cesse de
fonctionner comme un tout. Nos cellules et certains organes ont beau
demeurer quelques temps fonctionnels, nos parties ont commencé leurs
chemins séparés vers d’autres existences.
Comprendre la mort
cérébrale n’est pas une évidence. Sous ventilation mécanique, un mort
semble presque dormir. Une fois qu’on a compris que la mort est bien là,
cependant, on comprend facilement que ses organes encore fonctionnels
pourraient poursuivre leur chemin non pas vers la terre mais vers un
autre corps dont les fonctions intégratives seraient, elles, intactes.
Mais
si c’est le cœur qui a cessé de battre, alors, comment le greffer
ensuite ? S’il est suffisamment intact, comment peut-on dire que la mort
était irréversible ? Sauf que, lorsque c’est le cœur qui s’arrête en
premier, le cerveau le suit au bout d’un maximum de dix minutes. La mort
de la personne est donc toujours cérébrale et c’est elle qui est
irréversible ; il y a simplement plusieurs manières d’y arriver.
«Mais
alors comment se fait-il que le cœur s’arrête et ne reparte pas, s’il
est encore fonctionnel ?» Le don d’organes après arrêt circulatoire peut
exister lorsque les tentatives de réanimation ont échoué. Mais il peut
aussi exister lorsqu’on a arrêté ces tentatives pour ne pas conduire un
patient dans l’acharnement thérapeutique. Aurait-on pu faire repartir
son cœur après l’arrêt cardiaque ? Parfois, oui, et si on l’avait fait
dans les minutes qui suivent le patient ne serait pas mort. Aurait-on
aidé le patient par ce moyen ? Justement, non. Comment sait-on que la
décision de ne pas réanimer n’a pas été influencée par le don d’organes ? Et vous, si vous aviez devant vous une personne gravement malade et que vous pouviez sauver, vous la sacrifieriez? Et pour un inconnu? Bien sûr que non. Non seulement il est impensable pour une équipe médicale de 'lâcher' un malade parce qu'il serait donneur, mais en plus on met leur indépendance sous protection supplémentaire en les ségréguant des équipes qui soignent les receveurs. Les équipes s’occupant du receveur et du donneur sont différentes et
cette indépendance est protégée en Suisse par la loi. Mais la
possibilité du don d’organes repose effectivement sur cette confiance.
Le trouble des étudiants est compréhensible. Le don d’organes après
arrêt cardiaque soulève une série de difficultés éthiques dont la
résolution n’est pas évidente. L'Académie Suisse des Sciences Médicales en a traité, et le Conseil d'éthique clinique des Hôpitaux Universitaires de Genève aussi, en 2011 et en 2014. A ce prix, pourquoi va-t-on de l’avant ? C’est que de ne pas le
faire pose aussi problème. En apprenant à renoncer à l’acharnement
thérapeutique, on apprend à s’arrêter avant la mort cérébrale et du coup
on en réduit la fréquence. On le voit : les pays qui s’acharnent
davantage sont également ceux où le taux de dons d’organes est le plus
élevé. Un résultat doux-amer, tant pour les receveurs qui attendent plus
longtemps que pour les donneurs potentiels qui souvent souhaitent
l’être en cas de décès et là ne le peuvent plus. Cette situation, le don
après arrêt circulatoire pourrait la résoudre, mais seulement si nous
sommes aussi en mesure de résoudre les difficultés qu’il soulève à son
tour. Un vrai défi, que ces étudiants devront peut-être continuer de
relever.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez vous identifier au moyen des options proposées, ou laisser un commentaire anonyme. Évidemment, dans ce cas vous pouvez quand même nous dire qui vous êtes.