Il est très touchant, ce cas français dans lequel la justice vient d'autoriser l'insémination artificielle chez une veuve récente. Vraiment très touchant. Pour commencer, quelle tragédie. Le mari de cette femme est mort alors qu'elle était enceinte. Un drame attendu, certes, car il souffrait d'un cancer. Mais un drame tout de même. Puis le destin s'acharne. Son enfant meurt à son tour in utero. Un enfant qu'ils avaient peut-être (l'histoire ne le dit pas) conçu en connaissance de cause, sachant que lui ne survivrait peut-être pas, les yeux ouverts sur les difficultés que cela pouvait impliquer. Il est plausible qu'ils s'y soient préparés.
Touchant, ce cas l'est aussi parce qu'il nous montre nos contradictions. La Suisse interdit elle aussi l'insémination artificielle après le décès du partenaire. Chez nous aussi, la raison en est bienveillante: nous voulons protéger le bien de l'enfant, le prémunir contre des circonstances de vie plus difficiles. Dit crument, nous ne voulons pas "faire un orphelin". En même temps, cette limite ne concerne que la procréation médicalement assistée. On autorise l'adoption par les personnes célibataires. Même faire un enfant sans l'aide de la médecine, dans des circonstances analogues où le père sera probablement (ou même certainement) mort à la naissance de l'enfant, ce n'est pas interdit. Au nom de quoi d'ailleurs l'interdirions-nous? Durant la plus longue partie de notre histoire, on a après tout constamment pris le risque de faire des orphelins du simple fait que les guerres étaient fréquentes et tueuses d'hommes, la grossesse et l'accouchement le premier facteur de mortalité des femmes. Ce cas nous montre à quel point nos scrupules augmentent dès que la médecine entre en jeu, alors que l'intérêt des enfants ne change pas fondamentalement.
Nous nous trouvons aussi questionnés sur ce que l'on a le droit d'interdire ou pas. Faire un enfant dans ces circonstances, il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles c'est peut-être une mauvaise idée. L'élever sans l'aide d'un autre parent est plus difficile. Le deuil récent n'est peut-être pas le meilleur moment pour une décision de cet ordre. Faire un enfant peu de temps après en avoir perdu un autre peut poser des difficultés. Peut-être que certaines de ces choses sont vraies dans le cas présent. Ou pas. Mais là n'est pas la question: ce qui serait un conseil bienveillant si cela venait d'une amie change complètement d'aspect lorsque cela vient de l'état. La question n'est pas ici "conseilleriez-vous cela à un proche" ni "le feriez-vous si c'était vous", la question est "a-t-on le droit de le rendre illégal". Une société qui interdirait tout ce qui pourrait être une erreur, il suffit de se l'imaginer trois secondes pour ne pas vouloir s'y rendre.
Touchant, ce cas l'est finalement par le verdict rendu. La cour a reconnu que ce cas était suffisamment exceptionnel pour autoriser une intervention qui ne l'aurait pas été sans cela. Ils ont donc autorisé l'exportation du sperme. Ils n'ont pas autorisé cela dit que l'insémination ait lieu sur le territoire français. Mais dès lors que l'exception était admise, au fond, pourquoi? Il n'y a rien là de techniquement difficile, rien qui nécessite une équipe qui serait expérimentée spécifiquement dans l'intervention pour les cas où le partenaire est décédé. Au contraire, il est possible que la proximité avec l'équipe qui aurait suivi cette femme jusque-là aurait représenté un accompagnement bienvenu. Cela aurait aussi pu représenter un signe plus tangible que son pays acceptait de traiter sa situation comme un cas vraiment particulier. Il est évidemment possible que ce pas ait été trop difficile à franchir. Il arrive que les tribunaux aussi aient leurs états d'âmes face à ces tragédies.
Un enfant pour nous survivre
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