Le titre, c'était une question sur RTS découverte. Une bonne question! Nous nous sommes mis à deux. Mon collègue Bernard Baertschi a répondu ici. Et moi ici. Voici ma réponse:
La réponse à cette question dépend beaucoup de ce que l’on veut dire par "au service de nos besoins".
Si l’on comprend ce terme de la manière la plus littérale possible, et que l’on observe ce dont nous avons besoin, alors on se rend très vite compte que nous ne pourrions pas survivre sans les plantes et les autres animaux. Sans les autres organismes vivants, pas d’oxygène ni de nourriture d’aucune sorte. Nous dépendons d’eux pour notre survie. Un grand nombre d’entre eux sont donc, très concrètement, en train de répondre à nos besoins en permanence. Dans ce sens, oui, ils sont au service de nos besoins.
Mais c’est peut-être une autre question qui vous intéresse, en fait. "Les animaux et les plantes sont-ils au service de nos besoins?", cela peut aussi vouloir dire "Pouvons-nous utiliser les animaux et les plantes comme bon nous semble?". Sur cette question, les avis divergent nettement davantage.
Les animaux et les plantes sont-ils au service de nos besoins?
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Une histoire dans laquelle vivre
C'était le moment de mon billet dans le Bulletin des Médecins Suisses. Comme d'habitude, voici le texte. Le lien est ici.
Et comment se débrouillait-il à la maison ? Silence. Après deux mois d’hospitalisation et trois transferts, on avait oublié cette question. Nous racontons en permanence nos patients à nos collègues. Nous racontons leurs maladies, nos raisonnements, nos traitements, leurs réactions. Nous racontons beaucoup plus rarement qui ils sont et il arrive qu’on ne le sache plus. Cette scène est tirée de ces consultations d’éthique où personne n’est là pour raconter l’histoire d’un malade et où l’on ne sait plus comment le soigner au mieux, parce qu’on ne sait plus qui il est.
Ce lien entre le récit et l’identité est loin d’être anodin. Nous nous racontons, très littéralement, notre vie. Ces récits nous constituent. La philosophe Hilde Lindemann va plus loin. Notre identité personnelle serait constituée de la pratique constante par laquelle nous tenons dans notre conscience, les uns pour les autres, des parts de notre histoire. Notre identité est narrative : nous nous la racontons plutôt que de la comprendre. Nos proches, eux aussi, se racontent qui nous sommes : ils maintiennent ainsi une part de notre identité dans un processus qui commence avant la naissance et se poursuit après la mort. Nous vivons dans nos histoires, et c’est comme vivre dans un chantier perpétuel où chacun met en permanence la main à l’ouvrage.
Être SDF de ce domicile-là est une souffrance toute particulière. La maladie peut nous en priver, en faisant parfois complètement dérailler le récit. Cela peut faire partie de notre travail d’aider les personnes malades à retrouver une histoire dans laquelle vivre.(2) Lorsque nous disons que ça n’a plus de sens cela veut souvent dire qu’il n’est plus possible de trouver une histoire dans laquelle il soit possible d’habiter.
Alors que la maladie fragilise nos récits, il arrive malheureusement que le système de santé n’aide pas. Dans les services d’urgences, nous ôtons aux personnes les signes extérieurs de leur identité pour les mettre en « uniforme de patients ». Lorsqu’elles nous racontent leur biographie, nous nous hâtons d’en venir à leurs symptômes. Lorsqu’elles se confient à nous, nous transmettons avec un soin moléculaire et presque affectueux tous les détails cliniques, mais souvent rien d’autre. Pourquoi tant de patients vivent-ils la maladie comme dépersonnalisante, alors que tant de professionnels sont bienveillants, éduqués, formés à la relation ? En nous succédant devant eux et en gardant notre attention sur autre chose que leur histoire, nous ne contribuons pas à maintenir leur identité et parfois nous allons jusqu’à l’endommager.
Cette erreur est profonde et elle est souvent due à une méconnaissance. Considérer nos patients comme des personnes à part entière est une évidence. Il est moins évident que ce besoin puisse inclure celui de recevoir une aide active pour tenir en main sa biographie, face à la menace identitaire que peut constituer la maladie. C’est un chapitre où les progrès individuels sont là, mais où la complexité croissante des structures de la santé dresse aussi des obstacles plus grands que par le passé. Nous faisons mieux qu’avant, mais nous devrons faire mieux encore.
Et comment se débrouillait-il à la maison ? Silence. Après deux mois d’hospitalisation et trois transferts, on avait oublié cette question. Nous racontons en permanence nos patients à nos collègues. Nous racontons leurs maladies, nos raisonnements, nos traitements, leurs réactions. Nous racontons beaucoup plus rarement qui ils sont et il arrive qu’on ne le sache plus. Cette scène est tirée de ces consultations d’éthique où personne n’est là pour raconter l’histoire d’un malade et où l’on ne sait plus comment le soigner au mieux, parce qu’on ne sait plus qui il est.
Ce lien entre le récit et l’identité est loin d’être anodin. Nous nous racontons, très littéralement, notre vie. Ces récits nous constituent. La philosophe Hilde Lindemann va plus loin. Notre identité personnelle serait constituée de la pratique constante par laquelle nous tenons dans notre conscience, les uns pour les autres, des parts de notre histoire. Notre identité est narrative : nous nous la racontons plutôt que de la comprendre. Nos proches, eux aussi, se racontent qui nous sommes : ils maintiennent ainsi une part de notre identité dans un processus qui commence avant la naissance et se poursuit après la mort. Nous vivons dans nos histoires, et c’est comme vivre dans un chantier perpétuel où chacun met en permanence la main à l’ouvrage.
Être SDF de ce domicile-là est une souffrance toute particulière. La maladie peut nous en priver, en faisant parfois complètement dérailler le récit. Cela peut faire partie de notre travail d’aider les personnes malades à retrouver une histoire dans laquelle vivre.(2) Lorsque nous disons que ça n’a plus de sens cela veut souvent dire qu’il n’est plus possible de trouver une histoire dans laquelle il soit possible d’habiter.
Alors que la maladie fragilise nos récits, il arrive malheureusement que le système de santé n’aide pas. Dans les services d’urgences, nous ôtons aux personnes les signes extérieurs de leur identité pour les mettre en « uniforme de patients ». Lorsqu’elles nous racontent leur biographie, nous nous hâtons d’en venir à leurs symptômes. Lorsqu’elles se confient à nous, nous transmettons avec un soin moléculaire et presque affectueux tous les détails cliniques, mais souvent rien d’autre. Pourquoi tant de patients vivent-ils la maladie comme dépersonnalisante, alors que tant de professionnels sont bienveillants, éduqués, formés à la relation ? En nous succédant devant eux et en gardant notre attention sur autre chose que leur histoire, nous ne contribuons pas à maintenir leur identité et parfois nous allons jusqu’à l’endommager.
Cette erreur est profonde et elle est souvent due à une méconnaissance. Considérer nos patients comme des personnes à part entière est une évidence. Il est moins évident que ce besoin puisse inclure celui de recevoir une aide active pour tenir en main sa biographie, face à la menace identitaire que peut constituer la maladie. C’est un chapitre où les progrès individuels sont là, mais où la complexité croissante des structures de la santé dresse aussi des obstacles plus grands que par le passé. Nous faisons mieux qu’avant, mais nous devrons faire mieux encore.
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Listes noires sur liste noire
Cela devait arriver un jour.
Oui, nous sommes un pays riche. Mais nous sommes aussi un pays où l'on meurt faute de moyens. De moyens individuels du moins. Et cela vient d'arriver à nouveau.
Un patient assuré, ou censé être assuré, dans le canton des Grisons, avait été inscrit sur la liste des mauvais payeurs. Les fameuses "listes noires". Primes impayées, dettes: il s'en trouvait réduit à la couverture des soins "urgents" par son assurance maladie. On ne retire pas tous les soins. L'accès à l'aide d'urgence demeure garanti. Sans doute cela semble-t-il permettre d'éviter de laisser des personnes sans aide essentielle. Sauf que cela ne suffit pas. Dans le cas de ce patient, lorsqu'un SIDA se déclare, il se voit refuser le traitement de cette maladie, aujourd'hui pourtant parfaitement contrôlable. Pas assez urgent lui dit-on. Lorsque son cas devient suffisamment aigu pour "mériter" d'être pris en charge, il est trop tard. Il décédera.
Si l'on se demande ce qui est rageant dans cette histoire, il y a plusieurs couches.
Mourir d'une maladie traitable dans un pays riche, bien sûr cela choque à juste titre. Ce n'est en plus pas seulement l'assurance du patient qui lui a refusé l'accès aux soins, c'est l'ensemble du système de santé. En théorie du moins, d'autres auraient pu lui fournir les médicaments.
Il y a bien sûr aussi la mise en priorité de la santé financière sur l'existence humaine. Un problème récurrent, celui-là. Chaque fois que cela arrive, c'est la même contradiction entre les convictions que nous proclamons et les actes que nous posons.
Pour aggraver encore la chose, tout cela se fait au nom d'une pratique, celle de la mise en liste noire, qui est critiquée non seulement sur sous l'angle éthique mais même sous l'angle économique. Il semblerait que mettre en liste noire les mauvais payeurs de primes ne permette même pas d'économiser d'argent.
En d'autres termes, tout ça pour ça. Espérons que cette histoire fera au moins revoir la pratique des listes noires. Dans les Grisons, la fin du système est désormais annoncée. Ailleurs ce n'est cependant pas sûr du tout. Un dossier à suivre, donc.
Oui, nous sommes un pays riche. Mais nous sommes aussi un pays où l'on meurt faute de moyens. De moyens individuels du moins. Et cela vient d'arriver à nouveau.
Un patient assuré, ou censé être assuré, dans le canton des Grisons, avait été inscrit sur la liste des mauvais payeurs. Les fameuses "listes noires". Primes impayées, dettes: il s'en trouvait réduit à la couverture des soins "urgents" par son assurance maladie. On ne retire pas tous les soins. L'accès à l'aide d'urgence demeure garanti. Sans doute cela semble-t-il permettre d'éviter de laisser des personnes sans aide essentielle. Sauf que cela ne suffit pas. Dans le cas de ce patient, lorsqu'un SIDA se déclare, il se voit refuser le traitement de cette maladie, aujourd'hui pourtant parfaitement contrôlable. Pas assez urgent lui dit-on. Lorsque son cas devient suffisamment aigu pour "mériter" d'être pris en charge, il est trop tard. Il décédera.
Si l'on se demande ce qui est rageant dans cette histoire, il y a plusieurs couches.
Mourir d'une maladie traitable dans un pays riche, bien sûr cela choque à juste titre. Ce n'est en plus pas seulement l'assurance du patient qui lui a refusé l'accès aux soins, c'est l'ensemble du système de santé. En théorie du moins, d'autres auraient pu lui fournir les médicaments.
Il y a bien sûr aussi la mise en priorité de la santé financière sur l'existence humaine. Un problème récurrent, celui-là. Chaque fois que cela arrive, c'est la même contradiction entre les convictions que nous proclamons et les actes que nous posons.
Pour aggraver encore la chose, tout cela se fait au nom d'une pratique, celle de la mise en liste noire, qui est critiquée non seulement sur sous l'angle éthique mais même sous l'angle économique. Il semblerait que mettre en liste noire les mauvais payeurs de primes ne permette même pas d'économiser d'argent.
En d'autres termes, tout ça pour ça. Espérons que cette histoire fera au moins revoir la pratique des listes noires. Dans les Grisons, la fin du système est désormais annoncée. Ailleurs ce n'est cependant pas sûr du tout. Un dossier à suivre, donc.
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