Affichage des articles dont le libellé est Grande Bretagne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Grande Bretagne. Afficher tous les articles

Vrais et faux enjeux du transfert mitochondrial

Je vous avais déjà parlé du transfert de mitochondries en fin d'année dernière. Cette technique consiste à remplacer le noyau d'un ovule par le noyau d'un autre ovule, ou le noyau d'un embryon de une cellule par celui d'un autre, comme illustré dans l'image, pour éviter la transmission d'une maladie transmise par les mitochondries. Comme les mitochondries contiennent de l'ADN, la presse s'est emparée avec enthousiasme de l'image d'un 'enfant à trois parents'. C'est un brin sensationnaliste, ce terme. Si on réfléchit un peu, en fait ça ne correspond pas du tout à la réalité.

Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a aucun enjeu éthique là derrière, bien sûr. J'ai participé ce matin à un débat à la radio sur la question, que vous pouvez écouter ici. Plusieurs enjeux y sont parcourus: la question des risques de la technique, d'éventuelles dérives eugéniques, la rareté des cas et la prise en charge des maladies rares, l'éventualité que cette technique ne serve à l'avenir à permettre des grossesses chez des femmes dont la fertilité diminue avec l'âge, et les enjeux liés au don d'ovocytes.

Un chapitre insuffisamment examiné, celui du don d'ovocytes. Il est interdit en Suisse et du coup il fait l'objet d'un tourisme de la reproduction. Ce tourisme soulève des enjeux lourds car dans un certains nombre de pays la vente d'ovocytes est pratiquée. Dans les pays pauvres, cela donne lieu à des situations d'exploitation réelles. Dans les pays riches, cela donne lieu à des négociations parfois houleuses et...racistes.

Et puis encore: nous avions décidé de ne pas procéder à des manipulations génétiques germinales, qui seraient transmises à la génération future. Avons-nous ici franchi cette limite? Certains, c'est clair, pensent que oui. Des députés Européens ont fustigé la Grande Bretagne, qui a accepté le transfert mitochondrial, en avançant qu'elle aurait 'commencé une course vers le bas en ce qui concerne la dignité humaine'. Mais en même temps, c'est une forme bien particulière de manipulation génétique. On ne touche pas au génome du noyau. On ne touche pas non plus au génome des mitochondries. On met en fait en présence un noyau d'une part et des mitochondries d'autre part, qui n'ont pas été combinées par la reproduction 'naturelle' mais qui auraient pu. Et tout cela sans toucher ni à l'ADN lui-même, ni aux caractéristiques personnelles de l'enfant futur. Avouez que ce n'est pas si évident qu'il s'agisse de manipulation génétique du tout, en fait.

Bref, toute une série d'enjeux dont chacun aurait pu faire l'objet d'une émission à lui tout seul. Si vous avez le temps d'aller écouter, revenez nous dire ce que vous en pensez...

[+/-] Lire le message entier...

Des enfants de "trois parents"?

Être l'enfant de quelqu'un, être le parent de quelqu'un, habituellement cela veut en fait dire trois choses en même temps:

Le premier sens qui a tendance à nous venir à l'esprit est ce qu'on pourrait appeler la filiation génétique. Nos enfants sont génétiquement apparentés à nous. Nous leur transmettons nos caractéristiques et celles-ci sont en grande partie héréditaires. C'est dans ce sens là que l'on peut vouloir connaître son 'vrai père', par exemple, lorsqu'un enfant est né après une relation extra-conjugale ou un don de sperme.

Le deuxième sens est celui que l'on pourrait appeler la filiation gestationnelle. La mère de l'enfant dans ce sens va le porter, le nourrir dans son corps pendant son développement. Le père va vivre la grossesse autrement qu'elle, forcément, mais ce sera pour lui aussi une des manières d'être le père de son enfant.

Le troisième sens est la filiation sociale ou éducative. Les parents subviennent aux besoins de l'enfant et à son éducation. Ils sont responsables de son bien-être et des conditions de son développement. Ils lui enseignent des choses, lui inculquent des manières d'aborder la vie, des valeurs. Ils forment une famille. Lorsque les parents ont des biens, les enfants en héritent à leur mort.

Dans la plupart des cas, ces formes de filiation co-existent car les mêmes deux parents sont les parents de l'enfant selon les trois à la fois. Dès qu'elles ne co-existent plus, surgissent des inconforts parfois profonds et parfois des tensions entre les intérêts et les demandes de plusieurs parents.
Nous sommes donc capables de faire des distinctions, et des arbitrages entre différents types de filiation. Mais cela ne nous vient pas immédiatement ni parfois facilement. Les parents adoptifs, qui sont donc parents dans le sens social et éducatif mais ni dans le sens génétique ni dans le sens gestationnel, rapportent cette difficulté. Une famille, excédée par les remarques blessantes sur (et parfois à) leurs filles, en a mis en ligne une série qui fait grincer des dents. Ces réactions peuvent évidemment être très blessantes. Mais le fait qu'elle viennent souvent spontanément montre les difficultés que nous avons dès que l'une ou l'autre des formes de filiation est remise en question, dès qu'elles ne sont pas toutes les trois réunies clairement en deux personnes.

C'est sur cet arrière plan qu'il faut comprendre les intenses discussions sur ce que l'on a appelé les "enfants de trois parents". A la base, il y a une technologie de la reproduction qui consiste à remplacer les mitochondries, une des composantes de nos cellules, lorsqu'elles sont porteuses d'une maladie qui pourrait être grave chez l'enfant à naître. Les mitochondries, ce sont un peu les usines à énergie de nos cellules. Quand elles ne fonctionnent pas bien, le corps n'arrive pas à fonctionner. Nous les héritons toutes de notre mère car les spermatozoïdes doivent être aussi rapides que possible et ne peuvent pas s'en encombrer. Chaque année, quelques enfants naissent atteints de 'maladies mitochondriales' dont les plus sévères ne permettent pas de survivre jusqu'à l'âge adulte. Et voilà qu'une technique existe désormais et permet de remplacer, chez l'embryon d'une cellule, les mitochondries par celles d'une donneuse. Le hic? Les mitochondries contiennent de l'ADN. Bon, pas beaucoup: 0.1% de nos gènes s'y trouvent. Mais cela signifie quand même que, lors du transfert mitochondrial, on obtient un enfant qui est génétiquement apparenté à trois personnes. 

Cette technique, le Royaume Uni vient de l'autoriser dans des conditions très strictes. L'une d'entre elles est que la donneuse de mitochondries ne sera pas considérée comme un parent de l'enfant. C'est sage. D'abord parce que la quantité de matériel génétique est minuscule. Ensuite, parce que partager les mêmes mitochondries que quelqu'un d'autre est d'une banalité complète. Tous les membres de votre familles qui descendent d'une même femme par les femmes ont les mêmes que vous: tous les enfants de votre mère, de vos soeurs, les enfants de vos tantes maternelles, et ainsi de suite. Finalement, parce que cette minuscule part de filiation génétique est une part minuscule d'une seule filiation sur les trois. Si c'était suffisant pour être parent, ça, alors il faudrait aussi que chaque personne qui pose la main sur le ventre d'une femme enceinte et s'émerveille soit considéré comme un parent, que chaque personne qui participe de près ou de loin à l'éducation d'un enfant le soit aussi.

La discussion qui a précédé cette décision a été houleuse et les questions de filiation ne sont bien sûr pas les seules ici. Mais c'est peut-être malgré tout un des résultats les plus intéressants. Certaines technologies nous montrent comme dans un miroir certains aspects de nos vies. Que veut dire être parents? Cela nous vient habituellement, naturellement pourrait-on dire, comme un paquet tout ficelé. En examinant ce cas on déballe le paquet: ce que l'on y trouve est plus intéressant que ce que l'on aurait peut-être pensé...

[+/-] Lire le message entier...

Fin de vie à l'anglaise...

Cette fois, c'est la Grande Bretagne qui débat de la légalisation de l'assistance au suicide. La Cour suprême a conclu le mois dernier que la justice avait le droit de déclarer l'interdiction du suicide assisté incompatible avec les droits humains, et une motion a été mise devant le parlement et débattue par la chambre des Lords la semaine passée. Un groupe de médecins s'est prononcé en faveur de cette motion, suite de quoi l'Association des Médecins Britanniques a réaffirmé son opposition. Même les églises sont divisées. Alors qu'elles se sont traditionnellement opposées à l'assistance au suicide, voilà que des revirements apparaissent. Un ancien évêque de Canterbury s'est prononcé en faveur de la motion, en contrastant "les vieilles certitudes philosophiques" à "la réalité de la souffrance inutile". Même Desmond Tutu s'est prononcé, déclarant qu'il "révérait le caractère sacré de la vie, mais pas à n'importe quel prix"

Il est intéressant à suivre, ce débat. Et par certains côtés il nous parle bien sûr aussi de nous. La législation proposée devant les instances britanniques autoriserait l'assistance au suicide, mais pas l'euthanasie: la personne qui veut mourir devrait pratiquer elle-même le geste ultime. Cette personne devrait être capable de discernement: l'autorisation ne concernerait donc pas les suicides pathologiques, les compulsions suicidaires causées par la maladie mentale. La personne devrait aussi être en état de maladie terminale, définie comme une maladie incurable dont on attend "raisonnablement" qu'elle soit mortelle dans les six mois. Un professionnel de la santé devrait être présent lors du suicide assisté, mais cela n'aurait pas besoin d'être un médecin. Un médecin devrait en revanche certifier que les conditions légales sont requises, et prescrire la substance létale.

Une propositions avec des points communs et des divergences par rapport à notre situation Suisse, donc. Premièrement évidemment, l'autorisation de l'assistance au suicide sans autorisation de l'euthanasie active. Les Britanniques exigeraient cependant la participation de professionnels de la santé, contrairement à nous. Comme nous pourtant, ils distingueraient la prescription létale de l'assistance à proprement parler, et n'exigeraient pas qu'un médecin pratique l'assistance le jour même. Ils exigeraient comme condition un état de maladie terminale. En Suisse, l'Académie Suisse des Sciences Médicales fait de même, mais ni la législation ni la pratique des associations ne l'exigent. C'est un des points de débat dans notre pays



La situation en Suisse influence évidemment le débat britannique. Actuellement, l'interdiction de l'assistance au suicide en Grande Bretagne pousse chaque année un certain nombre de personnes en fin de vie à prendre 'un aller-simple pour Dignitas'. Ils viennent en Suisse pour y mourir. Les proches qui les accompagnent n'ont souvent pas de garantie légale d'échapper aux poursuites. Même si aucun cas de sanction contre des individus n'a été répertorié dans ces cas, la crainte de devenir complice en étant là, en tenant la main d'une personne aimée, en acceptant sa tête sur son épaule, n'est jamais bien éloignée. Changer la loi anglaise signifierait, entre autres, permettre à ces personnes de mourir chez elles et écarter de leurs proches la peur du tribunal lors de leurs derniers instants.

Un autre point commun est cependant le côté très honnête et humain du débat. Quelques citations extraites des Lords:

"Ceux qui soignent des personnes vulnérables ne connaissent que trop bien ces moments de désespoir noir qui amènent ces paroles: 'je serais mieux mort, tu pourrais vivre ta vie'". 

"Si nous aimons vraiment notre prochain comme nous-même, comment lui refuser la mort que nous voudrions nous-mêmes, si nous étions dans les mêmes circonstances?" 


"Nous savons tous les mêmes choses, regardons les mêmes enjeux, nous avons tous fait face à des situations semblables lors de la mort de membres de notre famille et de nos amis, et nous sommes arrivés à des conclusions différentes sur ce que signifie la compassion." 
  
En fait c'est exactement cela. Une question profondément partagée, à laquelle nous ne donnons pas tous la même réponse. Face à une question aussi généralement humaine, comment ne pas vouloir une législation qui soit la même pour tous? Face à des réponses aussi différentes, au nom de quoi interdire quoi ? Un débat honnête, oui, et une histoire à suivre.

[+/-] Lire le message entier...