La Cour Européenne des Droits de l'Homme vient d'épingler la Suisse sur le sujet de l'assistance au suicide. On va donc sans doute reparler du sujet. Qu'ont-ils critiqué? Pas l'autorisation de l'assistance au suicide. C'est important. Non, la Suisse est reprise sur le flou qui entoure quels cas sont, ou non, autorisés. Pour les personnes intéressées, l'arrêt est ici (version provisoire). Mais un petit rappel n'est sans doute pas de trop:
En Suisse, l'assistance au suicide est légale. C'est considéré comme un droit, mais un droit d'une sorte spécifique: un droit-liberté. C'est quoi? C'est un droit à ce qu'on vous laisse faire, dans les limites fixées par la loi. Par exemple, si vous avez un droit liberté à exprimer vos opinion, personne n'a le droit de vous censurer. En revanche, on n'a pas non plus de devoir de vous fournir les moyens de publier votre avis. Le mariage est un autre exemple: personne ne peut vous interdire de vous marier si certaines conditions sont remplies (être majeur, être célibataire...), mais personne n'a non plus de devoir de vous donner les moyens de vous marier. Si vous êtes célibataire et malheureux de votre état, il n'y a pas de service collectif où vous pourriez aller chercher un conjoint. Dans le cas de l'assistance au suicide, c'est semblable: toute personne a le droit d'en aider une autre à se suicider si certaines circonstances sont remplies, mais il n'y a jamais de devoir de le faire.
L'assistance au suicide, dans sa version suisse, est donc un accord entre particuliers, dont l'état se borne à fixer les limites. Quelles sont ces limites? C'est là que ça se complique, car en fait il y en a trois versions.
Dans la version selon la loi, il faut que la personne qui fournit l'assistance soit dénuée de
motifs égoïstes, que la personne qui se suicide...se suicide, et soit
capable de discernement. C'est tout. Pas besoin d'être médecin pour assister, pas besoin d'être malade pour demander et obtenir légalement l'assistance au suicide.
Dans la version selon les directives professionnelles des médecins, établies par l'Académie Suisse des Sciences Médicales et par la Fédération des Médecins Suisses, l'assistance au suicide par un médecin requiert en plus que:
"– La maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de la vie est proche.
– Des alternatives de traitements ont été proposées et, si souhaitées par le patient, mises
en oeuvre.
-– Le patient est capable de discernement. Son désir de mourir est mûrement réfléchi, il ne
résulte pas d’une pression extérieure et il est persistant. Cela doit avoir été vérifié par une
tierce personne, qui ne doit pas nécessairement être médecin."
Ce critère de la maladie terminale fait l'objet de controverses. La troisième version, celle qui est appliquée par les associations d'aide au suicide, ne se fonde pas sur la présence d'une maladie terminale, mais sur la présence d'une maladie incurable. Un critère très différent. Qui est également controversé. Et voilà nos trois versions sur la table.
Qu'a dit de tout ceci la Cour Européenne? Que le flou était contraire aux droits des personnes qui demandent l'assistance au suicide sans être atteints d'une maladie terminale. Le cas qui a donné lieu à cette décision est celui d'une femme de 82 ans qui se bat depuis 8 ans, sans succès, pour obtenir une assistance au suicide. La conclusion la plus importante de l'arrêt est la suivante (c'est moi qui ai traduit et cela n'a donc aucune valeur légale en français):
"La Cour considère que l'absence de règles légales claires a probablement un effet figeant sur les médecins qui auraient sans cela été d'accord de fournir l'ordonnance demandée à quelqu'un comme la plaignante."
"La Cour considère que l'incertitude quant à l'issue de sa demande dans une situation concernant un aspect particulièrement important de sa vie a dû occasionner pour la plaignante un degré considérable d'angoisse. La Cour conclut que la plaignante a dû se trouver dans un état d'angoisse et d'incertitude concernant l'étendue de son droit à mettre fin à sa vie, qui n'aurait pas existé s'il y avait eu des directives claires et approuvées par l'état définissant les circonstances dans lesquelles les médecins sont autorisés à fournir l'ordonnance demandée dans les cas où un individu est arrivé à une décision sérieuse, dans l'exercice de son libre arbitre, de mettre fin à sa vie, mais dans lesquels la mort n'est pas imminente en raison d'une maladie. La Cour reconnait qu'il peut y avoir des difficultés à trouver le consensus politique nécessaire sur des questions aussi controversées et dont les implications éthiques et morales sont profondes. Cela dit, ces difficultés sont inhérentes à tout processus démocractique et ne sauraient absoudre les autorités de leur devoir en la matière."
et finalement:
"(...) la Cour considère que c'est en premier lieu aux autorités nationales de promulguer des directives systématiques et claires sur si et dans quelles circonstances un individu dans la situation de la plaignante - c'est-à-dire quelqu'un qui ne souffre pas d'une maladie terminale - devrait avoir la possibilité d'acquérir une dose léthale d'un médicament lui permettant de mettre fin à sa vie. Par conséquent, la Cour décide de se limiter à la conclusion que l'absence de directives légales claires et systématiques porte atteinte au droit de la plaignante au respect de sa vie privée sous l'article 8 de la Convention, sans prendre d'aucune manière position sur le contenu substantiel de ces directives."
Un arrêt qui pourrait faire date, donc. Et qui ne traite pas de la question du droit - ou non - à l'assistance au suicide en l'absence de maladie terminale. Il ne remet pas non plus en question l'idée que l'assistance au suicide est un droit liberté, non exigible. Non. Il renvoie 'simplement' la Suisse vers sa copie, avec demande instante de la refaire, pour que la réponse soit claire. La question est difficile, oui. Mais on nous rappelle que nous sommes des adultes dans une démocratie adulte, et que nous devrions être capables de prendre une décision qui ne laisse pas des personnes comme cette (courageuse) dame dans la détresse.
Alors, vous, que mettriez-vous dans cette copie qu'on nous demande de refaire? Dans une situation de maladie chronique, sans état terminal, l'assistance au suicide devrait-elle être autorisée? Non autorisée? Et surtout, pour quelles raisons?
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3 commentaires:
Pas facile, n'est-ce pas? Vous êtes nombreux à lire mais pas de commentaires...vous en pensez quoi?
It seems to me, that given the sentiment behind the original law, the additional requirement of 'terminal illness' initially reads as somewhat arbitrary and more like a escape from seriously reconsidering the ethos of medicine. Moreover, if the goal of medicine is just as importantly to reduce and end suffering, as it is to prolong life, I think what we are currently lacking as a population is the courage to take that bold step and really consider revising the guidelines to include chronic illnesses that are often source of terrible suffering. The various worries about slippery slopes and loopholes can be addressed within the new regulations.-Agomoni
Ce qui est réjouissant dans cet arrêt, c’est de voir des juges se préoccuper de l’état psychologique de Mme Gross qui n’arrivait pas à obtenir son ordonnance….
Rendre la loi plus précise…on risque bien de n’avoir plus autant de liberté qu’aujourd’hui.
Ce qui compte, ce n’est pas tant la maladie, incurable ou terminale, mais la qualité de vie et de cela,,seule la personne elle-même peut en juger.
Si l’ASSM revoyait ses recommandations, bien des médecins hésiteraient moins. Quand un médecin ne peut pas guérir, plus soulager, ne devrait-il pas aider et même aider à mourir sans douleur si son patient lui en fait la demande ?
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