Les craintes de mes amis Africains

La semaine passée, on a assisté à un échange à la télévision française. Il s'agissait de savoir si le vaccin Bacille Calmette-Guérin, ou BCG, pouvait ou non protéger contre le COVID-19, et de comment faire des études pour le savoir. Apparemment un peu à chaud, un des interlocuteurs a mentionnée que oui, peut-être qu'il faudrait faire des études en Afrique, puisque dans les pays confinés une telle étude prendrait beaucoup plus de temps. L'autre a abondé dans son sens. La vidéo est ici.

J'ai reçu pas mal de messages inquiets après ça. Des amis de plusieurs pays d'Afrique qui me demandaient "Mais alors, nous sommes tous des cobayes?". Voici donc en quelques points ce que j'ai répondu. J'espère que cela servira aussi d'avertissement: en répondant à ces questions, nous devons vraiment penser le public de manière nettement plus large que ce n'est le cas dans cette vidéo.

Premièrement, des études cliniques ont lieu dans le monde entier et dans le monde entier il y a des règles sur comment elles doivent se dérouler. On ne peut pas recruter des personnes dans une étude clinique sans avoir leur consentement, et le feu vert d'une (et souvent plusieurs) commissions d'éthique clinique. Quand une étude est réalisée par des chercheurs dans un pays avec des participants dans un autre pays, des commissions d'éthique doivent donner leur feu vert dans les deux pays. En plus, les journaux ne vont pas publier une étude si les règles n'ont pas été respectées.

Donc, oui, on peut être recruté dans une étude en Afrique, en France, en Suisse, mais les règles sont les mêmes partout et on ne peut pas être recrutés à son insu et à l'insu des autorités de surveillance.

Ensuite, le BCG n'est pas un vaccin expérimental. Il est très utilisé pour protéger contre la tuberculose. En Suisse, la plupart des personnes l'ont eu. J'en fais partie. Une étude pour savoir s'il protège contre le COVID-19 ou non serait une étude à faible risque, et dont les participants tireraient même un bénéfice. Ce vaccin est efficace pour nous protéger contre la tuberculose. Il protège partiellement aussi contre la lèpre. S'il protégeait contre le COVID-19, ce serait une excellente nouvelle. Les personnes vaccinées seraient protégées dans ce cas, partiellement mais néanmoins protégées, contre trois maladies à la fois.

Vos craintes n'ont pas lieu d'être pour cette fois. Mais finalement je dois tout de même dire que je les comprends. Il y a une histoire longue et sombre d'abus dans la recherche clinique et de nombreux cas ont concerné vos concitoyens. Certains de ces cas sont récents. Pour certains d'entre vous, ces cas sont suffisamment récents pour que vous vous les rappeliez. Vous avez donc toutes les raisons de partir du principe que des propos comme ceux de la vidéo viennent de personnes qui ne tiennent pas compte de vos intérêts. Parfois, c'est même vrai.

Mais pour vous rassurer je peux vous dire ceci: ces personnes n'ont pas le droit de décider seules quelles études elles vont faire, elles n'ont pas le droit de les faire sans surveillance, et elles le savent. A la télévision, il arrive cependant qu'elles oublient de le préciser.



2 commentaires:

Samia a dit…

J'ai reçu un commentaire par email, que l'auteure m'a autorisée à mettre ici:

Bonjour,
C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu votre post sur le test de vaccin en Afrique.
Il y a des éléments vrais mais des détails capitaux oubliés, certes les vaccins ne peuvent être testés sans l'accord de l'administration mais vous ne précisez pas que les personnes signataires des autorisations sont vénales et ne privilégient pas l'intérêt général.
En France en particulier pour citer ce que je connais, les laboratoires recherchent des testeurs en moyennant une contrepartie, ce qui est un contrat de gré à gré, d'autant plus que nous bénéficions d'un système de santé très avantageux et qu'en cas de danger la prise en charge sera rapide et effective.
En Afrique, lors de l'administration des vaccins les concernés la plupart de temps ne savent même pas ce qu'ils reçoivent, pire ils signent des documents qu'ils ne comprennent pas et puis en cas de danger ils sont livrés à eux mêmes car le système de santé est défaillant.
Voilà pour ma part les raisons pour lesquelles les tests de vaccins en Afrique ont une mauvaise côte.
Il y a un problème de responsabilité sociétale.

Samia a dit…

Il y a beaucoup de choses à dire sur ce commentaire. Premièrement, oui, les laboratoires paient les personnes qui dirigent les études de vaccins. C'est quelque part normal que ce travail, comme toutes les autres formes de travail, mérite salaire. Il est généralement réalisé par des collaborateurs qui sont engagés pour cela, et qui ma foi doivent manger eux aussi. Ce qui est important est que les résultats ne soient pas influencés par ce paiement. C'est une des raisons pour lesquelles il y a aussi toute une série de règles concernant les conflits d'intérêts, et c'est pour cela que les commissions d'éthique sont tatillonnes quand elles examinent, et souvent corrigent, les contrats.

Ensuite, oui la solidité des institutions en Afrique est inégale. D'un pays à l'autre, d'une région à l'autre, cela peut beaucoup changer. La corruption ça existe, et je ne mettrais pas ma main à couper que cela ne concerne jamais les autorisations pour des essais cliniques. Mais il y a aussi des commissions d'éthique intègres et remarquables en Afrique. J'en connais quelques unes directement. C'est un chapitre sur lequel il y a beaucoup de progrès. Il reste du chemin à faire? Certes. C'est une des raisons pour lesquelles il reste important que les études internationales soient vérifiées dans le pays du chercheur et aussi dans le pays des participants. Ce n'est pas la seule raison, mais c'est une d'entre elles.

Et puis oui, il y a des cas encore aujourd'hui où le consentement est insuffisant dans des essais cliniques. J'en ai dénoncé un récemment, et cet exemple montre bien que même avec de bonnes intentions on peut faire des erreurs. C'est donc un enjeu auquel il faut être très attentifs. Mais que ce problème existe parfois ne veut pas du tout dire que c'est toujours le cas. Et une personne qui reçoit un document qu'elle ne comprend pas peut ne pas le signer.

Finalement, oui, il y a un problème de responsabilité sociale. Quand une personne participe à un essai clinique et qu'elle subit un dommage, le sponsor de l'étude doit s'assurer qu'elle est soignée. Jusque là, c'est vérifié. Quand une personne participe à une étude et qu'elle attrape une autre maladie, qui n'est pas un résultat direct de l'étude, alors elle est toute seule. C'est un vrai problème. Un problème que nous devrions tous tenter d'améliorer.

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