L'assistance au suicide revient dans les media avec les changements de statut d'EXIT. Désormais, l'association allémanique veut s'engager politiquement pour rendre possible l'assistance au suicide sur demande d'une personne âgée sans un avis médical certifiant qu'elle souffre d'une maladie. La branche romande avait en fait précédé la branche allémanique il y a quelques mois, en modifiant ses conditions qui admettent désormais (corrigez-moi si je me trompe ici) que l'assistance au suicide soit possible chez les personnes atteintes de "polypathologies invalidantes liées à l'âge".
C'est une question importante et difficile qui s'ouvre ici. Je suis intervenue à la RSR hier matin, mais comme souvent on songe après-coup à des choses plus importantes qu'il aurait fallu dire.
Tout d'abord, il faut en fait comprendre que ce sont des choses assez différentes qui se jouent des deux côtés de la Sarine. EXIT Suisse allémanique prévoit d'étendre ses activités militantes, EXIT Suisse romande a étendu ses indications pour considérer l'assistance au suicide comme acceptable. Sa pratique, donc. EXIT Suisse allémanique veut étendre la discussion à la possibilité pour une personne non malade, mais souffrant 'des infirmités de l'âge', ou qui considérerait que sa biographie s'achève, d'obtenir une assistance au suicide. On est dans le cas de figure de la 'fatigue de vivre'. EXIT Suisse romande continue de demander la présence de pathologies, même s'il ne sera plus nécessaire qu'une d'entre elles soit seule en cause dans la souffrance qui motive la demande de mourir. On est dans le cas de figure de la 'fatigue de souffrir'.
Mais c'est vrai qu'il y a un point commun: on repousse les limites de l'assistance au suicide. Pas les limites légales, car tout ce qui est proposé ici est légal en Suisse. Les limites de la pratique, cependant, bougent ici de manière nette. Et c'est ici qu'est l'enjeu le plus important. Pour mieux le comprendre, un petit exercice d'imagination. Commencez par songer à une personne atteinte d'une maladie terminale, qui souffre d'un mal physique: tous s'accordent à dire que si c'est cela qui motive la demande d'assistance au suicide, alors il faut d'abord songer à des alternatives pouvant rendre la vie plus supportable. Ici, c'est la médecine et souvent plus spécifiquement les soins palliatifs qui sont conviés. On se dit que devant la souffrance due à une maladie, la médecine doit disposer d'alternatives à offrir aux personnes atteintes. Et la médecine offre effectivement des alternatives, qui effectivement sont acceptables pour un grand nombre de personnes et souvent vont faire disparaitre la demande d'aide pour mourir. Elles ne marchent pas toujours, elles ne sont pas acceptables pour tout le monde, mais cela ne les empêche pas d'être des alternatives sérieuses, efficaces, et préférées par un grand nombre de personnes. Il est heureux qu'elles existent, et nous devons continuer d'en encourager le développement. Dans ces cas de maladie, la réponse à la souffrance est ainsi en quelques sortes déléguée à la médecine.
Maintenant, imaginez une autre personne, chez laquelle la souffrance n'est pas due une seule maladie identifiable. Imaginez une personne très âgée, qui perd progressivement la vue et l'ouïe et dont les atteintes articulaires limitent de plus en plus sa capacité à sortir de chez elle. Elle est de plus en plus solitaire. Les enfants adultes, ça déménage si loin ces temps. Leur père est mort il y a des années. Ses amis, elle en a perdu un nombre impressionnant ces derniers années, comme cela arrive de plus en plus souvent quand on atteint son âge. Les autres sont souvent comme elle: limités, il leur est difficile de venir la voir ou même de lui parler au téléphone. Elle demande une assistance au suicide car, prises toutes ensemble, ses souffrances lui paraissent insupportables. D'autres dans sa situation n'y songent pas, ou se font une raison, mais elle, non, elle ne veut pas.
Que va-t-on faire? Accepter? La renvoyer? Chercher des alternatives? Mais ici, les souffrances dont il s'agit, qui va être en mesure de tenter d'y pallier autrement? Certainement pas la médecine à elle seule. Ici, donc, point de possibilité de déléguer ça. Mais alors qui? Ou plutôt: qui sinon nous tous? Face à l'élargissement des critères d'EXIT, certains s'indignent et évoquent le risque que des personnes âgées se sentent 'poussées vers la sortie' par le sentiment d'inutilité qui parfois les envahit. Il y a une part importante de vrai là dedans: les personnes qui vivent une situation comme celle que je vous décris ici se sentent souvent véritablement inutiles, détachés de tout lien, et peuvent vouloir mourir pour cette raison. Oui, on comprend qu'ici on s'indigne. Mais on s'indigne contre quoi, exactement? Evidemment, si ce que nous pouvons faire de mieux pour nos aînés lorsque leur fonctionnement devient très limité est de les laisser sans amis, sans famille, et sans rien qui leur semble suffisant pour se lever le matin, alors il y a véritablement un problème. Mais le problème est-il alors vraiment de les autoriser à choisir la mort? Le problème n'est-il pas plutôt de ne pas leur avoir offert d'alternatives acceptables? Peut-on vraiment leur dire les yeux dans les yeux que pour leur protection on les condamne soit à poursuivre cette existence dont ils ne veulent plus, soit à trouver les moyens de se suicider tout seul, une fois de plus tout seul?
Alors vous voyez, EXIT, ici, nous embête. Ils jettent les feux des projecteurs sur une de ces réalités sociales que nous préférons ne pas voir. On les décrit comme intrusifs, c'est vrai: ils nous obligent à penser au sort de personnes dont beaucoup préfèreraient oublier l'existence. La souffrance à laquelle ils tentent de répondre, cependant, ils ne l'ont ni inventée ni causée...
A cette 'intrusion', certains réagiront sans doute en appelant de leurs voeux une plus grande restriction légale de l'assistance au suicide. Ce serait faire fausse route. Bien sûr, il y a là un vrai débat. Si notre discussion ne porte que sur cette question, cependant, quelle occasion manquée! Imaginez-vous que, au lieu de faire ça, nous saisissions cette occasion pour tenter sérieusement d'améliorer le sort des personnes souffrant de 'polymorbidités liées à l'âge'. Pour leur offrir, dans les cas les plus difficiles à vivre, ceux dont il s'agit ici, un tant soit peu plus d'alternatives. Ce serait beaucoup plus difficile, évidemment, mais ce serait tellement plus important.
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4 commentaires:
Le suicide assisté comme remède contre la solitude des personnes âgées...C'est certes une réduction mais à entendre les arguments d'EXIT ZH ça va dans ce sens. Je ne nie pas les souffrances de l'âge et du grand âge, la solitude et le sentiment d'inutilité. Je les ai rencontrés en soignant des personnes âgées et dépendantes. Un dame m'a dit "je ne pensais pas qu'il fallait tellement de courage pour être vieux". C'est une phrase qui m'a profondément touchée. Dans notre société il faut du courage pour être vieux...et je comprends parfaitement que ce courage ne soit pas donné à tout le monde, la fatigue et la résignation prennent le dessus et on a envie de partir. La question qui doit se poser est de savoir si ce que propose EXIT est une solution ou une alternative acceptable à cette envie d'en finir. Personnellement, je trouve que le simple fait de discuter de cette « option » est un symptôme d'une société gravement malade. D'un côté on lance des programmes contre le suicide des gens "pas vieux", de l'autre on approuve le suicide des "vieux" qui se sentent inutiles? Le message délivré est loin d'être subliminal! Cette prétendue discussion à mener sur le libre choix à demander l'assistance au suicide « pour cause de vieillesse » me choque profondément et me semble aller contre tout ce qui représente la dignité que chaque être humain possède de par le simple fait qu'il-elle existe. Ce n'est certainement pas la notion juridique de la dignité humaine mais la pratique m'a montré que cette notion théorique importante est incomplète et illusoire avant d'avoir fait l'expérience de prendre le temps et de s'assoir avec une personne âgée, très âgée, dépendante voire même démente et de ressentir (notion absolument non juridique et horriblement émotionnelle donc irrationnelle…) l'humanité partagée, la dignité partagée de tout bêtement appartenir à cette humanité, ensemble. La solitude ça se guérit ensemble, ça ne se pique pas (point barre!). Si notre société accepte que finalement un vieux solitaire et inutile puisse prendre en toute connaissance de cause et tout à fait librement la décision de se "faire suicider" c'est à nous même que nous manquons du respect fondamental que nous nous devons en tant qu'être humain. C'est tout simplement honteux (affreux mot chargé de populisme, je le sais bien) de devoir mener cette discussion et en plus comme il s'agit d'une (pas si petite) minorité vulnérable, par-dessus les têtes de celle-ci. J’espère sincèrement que les soignants et les personnes qui encadrent les personnes âgées et leurs familles en Suisse alémanique vont s’insurger contre ce genre « discussion ». Je le fais.
Comme je ne sais pas comment fonctionne ce système....j'ai choisi l'option anonyme en tant qu'auteur du commentaire....mais je ne tiens pas du tout à être anonyme donc voici la signature. Eva Leuenberger
superbe cet article, Samia.
N'avais pas perçu de suite la différence entre Exit deutsche Schweiz et Exit Suisse romande....Les procureurs vont-ils admettre que des médecins prescrivent le pentobarbtal juste parce qu'une personne le demande ....certes, elle aura mille et un handicaps liés au grand âge...mais quid de la LPTh?
S'agissant des "fatigués de la vie", n'aime décidément pas cette formule, elle ne rend pas compte de la réalité. Personne n'est juste "fatigué de la vie". les handicaps du grand âge, la faiblesse extrême, la difficulté à faire la moindre tâche, c'est cela qui use et laisse les personnes totalement exténuées.
daphné
Réponse à Mme Leuenberger: la dignité d'une personne, c'est aussi reconnaître la validité de sa demande de suicide assisté quand cette demande est mûrie et réitérée après des entretiens approfondis. Le "respect fondamental que nous nous devons en tant qu'être humain", c'est d'accepter aussi cette ultime liberté. La société n'est pas malade en abandonnant le paternalisme qui prévaut encore souvent.
adressé à Madame Leuenberger: il n'existe pas de vieux inutile, en tous les cas, je n'en ai jamais rencontré. La solitude ne se gérait pas toujours ensemble. "un seul être vous manque et tout est dépeuplé" c'est cela la réalité pour bien des personnes en MS qui se sentent seules en dépit des soins, de l'attention et de l'affection du personnel.
La liberté, voilà la chose la plus précieuse pour chacun d'entre nous. Il faut veiller à toujours respecter la libertés des personnes, même celle qui conduit certains à demander l'aide d'Exit.
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