Merci une fois de plus à Alex Mauron, qui nous refait un billet d'invité. Cette fois c'est un sujet qui revient à l'actualité et qui a vraiment besoin d'éclaircissements:
La question des causes biologiques de l’homosexualité suscite
une fascination durable chez beaucoup de gens, surtout parmi nos
concitoyens à la haute stature morale qui, comme disait Mencken, sont
hantés par la crainte que quelqu’un, quelque part, pourrait avoir du
plaisir. Il est donc logique que la controverse du « gène gay »
réapparaisse régulièrement dans l’actualité. La dernière itération en
est l’opération de relations publiques menée il y a quelques jours par
des chercheurs de Chicago autour de travaux sur la corrélation entre
l’homosexualité masculine et certaines régions des chromosomes 8 et X. Ces résultats, présentés dans le congrès annuel 2012 de l’American Society of Human Genetics, ne sont toujours pas parus dans un journal scientifique à peer review. Qu’à cela ne tienne, ont dû se dire les chercheurs, qui ont participé à une manifestation de vulgarisation scientifique opportunément agendée pour la Saint-Valentin et calibrée pour susciter le buzz médiatique. Et buzz il y eut. Le Daily Mail du 14 février titre: « Etre gay, c’est dans vos gènes, affirment des scientifiques dans une nouvelle étude sur l’ADN », qui ajoute doctement que « cela renforce l’idée que l’homosexualité est affaire de biologie et non de choix ». Vous penserez peut-être que ce sont les journalistes incultes qui simplifient tout abusivement. Alors voyons ce que déclare au Daily Mail l’investigateur principal de l’étude, le psychologue Michael Bailey de la Northwestern University : « L’orientation sexuelle n’a rien à voir avec un choix. Nos résultats montrent que les gènes entrent en jeu puisque deux groupes de gènes influencent le fait qu’un homme est hétéro ou gay. » Il s’empresse d’ajouter que le développement d’un test prénatal sera difficile vu le nombre de gènes impliqués (nous voilà rassurés. Ou bien ?).
En fait, le gène gay, c’est une vieille histoire. En 1993, Dean Hamer publiait des résultats impliquant déjà la même région du chromosome X dans l’orientation sexuelle masculine. A l’époque, ces données tombaient en plein dans une controverse politico-morale. Pour la droite conservatrice, l’idée que l’homosexualité soit génétique, c’est-à-dire inévitable, était trop affreuse pour être vraie car cela démentait la croyance selon laquelle l’homosexualité est un style de vie immoral et exonérait les gays de toute culpabilité, sans compter qu’elle ôtait leur plausibilité aux « thérapies de conversion » censées changer l’orientation sexuelle vers la normalité hétéro et qui persistent à être prônées aujourd’hui dans les milieux chrétiens fondamentalistes. A l’inverse, les mouvements américains de défense des gays ont souvent embrassé la théorie du déterminisme génétique de l’homosexualité masculine, car elle place la discrimination homophobe dans le même registre que la discrimination raciale : il s’agirait dans les deux cas d’un traitement injustement différent des personnes sur la base d’une caractéristique biologique qui ne relève manifestement pas d’un choix de l’individu concerné. Avec du recul, ce choix tactique apparaît assez malheureux, car le fait de désigner l’homosexualité comme une fatalité biologique complique peut-être sa condamnation morale mais cela n’exclut absolument pas de la traiter comme une pathologie. Or qui dit pathologie dit thérapie et/ou prévention. Du même coup, on retombe sur les funestes pratiques d’évitement de l’homosexualité par des parodies de psychothérapie, voire le dépistage génétique prénatal… mais ce dernier est heureusement une chimère.
Il est frappant de voir comme la réception sociale de ce genre de recherches en génétique comportementale humaine est complètement surdéterminée par des positions idéologiques, d’ailleurs souvent contradictoires : sur le « gène gay », les défenseurs de droits des gays étaient pour, la droite religieuse était contre. Mais rappelez-vous les controverses plus anciennes sur l’hérédité de l’intelligence: la droite était pour (il faut bien que les riches puissent croire que leurs talents innés expliquent leur bonne fortune), la gauche était contre (si la nature humaine est trop contrainte par des déterminations biologiques, comment changer la société ?). Souvent les chercheurs concernés lèvent les bras au ciel en clamant qu’ils ont été mal compris, mais ce sont parfois les premiers à se faire mousser en suggérant ces interprétations génératrices de grands frissons. Comme si ce domaine de recherche se devait absolument de fournir des résultats soit spectaculaires, soit terrifiants. Ou les deux, c’est encore mieux.
Cette surdétermination de controverses scientifiques sur l’hérédité par des agendas politiques est une constante, y compris parmi certains scientifiques, comme l’illustre une brève histoire des idées en matière d’hérédité de l’homosexualité (un peu ancienne mais encore utile) qu’on trouve ici. Essayons donc de mettre entre parenthèses ces implications politiques supposées et de décortiquer l’état de la question: alors, l’homosexualité, c’est les gènes ou c’est l’environnement ? Les deux, mon général, et on peut conclure sans risque de se tromper que l’orientation sexuelle dépend à la fois de la génétique et de ce machin polymorphe appelé « environnement ». Depuis les années cinquante du siècle dernier, des études sur les jumeaux ont mis en évidence la probabilité accrue pour le frère jumeau monozygote d’un homosexuel de l’être aussi. Mais ces recherches étaient entachées de problèmes méthodologiques, liés entres autres au présupposé discutable que l’hétérosexualité représente l’option « par défaut » de l’orientation sexuelle. Néanmoins les études de jumeaux les plus récentes semblent nettement plus solides et confirment l’existence d’une composante génétique relativement importante dans l’orientation sexuelle, du moins chez les hommes (revue et références ici), l’homosexualité féminine étant probablement assez fondamentalement différente. L’héritabilité de l’homosexualité masculine se situe dans une fourchette de 39 à 48%, ce qui veut dire que dans les populations étudiées, environ 40% des différences d’orientation sexuelle sont explicables par des différences génétiques.
Trouvaille spectaculaire ? Pas vraiment, et cela pour de nombreuses raisons. D’abord, l’héritabilité est un concept populationnel, qui ne permet pas de tirer des conclusions sur les individus. L’héritabilité mesure la corrélation entre la diversité d’un phénotype (c’est-à-dire d’une certaine caractéristique des individus, en l’occurrence l’orientation sexuelle) et la diversité génétique de la population. L’héritabilité d’un phénotype peut changer si la composition génétique de la population change, ou que des variables environnementales pertinentes changent aussi. Le cas classique, c’est l’héritabilité de la taille. Dans les populations non précarisées des pays riches, la taille des enfants devenus adultes ressemble beaucoup à celle de leurs parents; l’héritabilité est très élevée, de l’ordre de 80%. Est-ce à dire qu’un mécanisme génétique inflexible détermine la croissance des enfants de façon prépondérante, ne laissant qu’un rôle tout à fait mineur à l’environnement et en particulier l’alimentation ? Évidemment non, et pour s’en convaincre il suffit de considérer l’héritabilité de la taille à d’autres époques ou chez des populations moins prospères d’aujourd’hui, qui est nettement moindre. Une explication plausible est que chez nous, la grande majorité des enfants ont une alimentation suffisante – voire plus - et sans carences majeures. Du même coup, la variable « nutrition » n’est plus tellement variable justement; et comme elle est fixée à un niveau relativement optimal, les différences de taille vont surtout refléter la variabilité génétique, à savoir des différences dans les propensions génétiques à être plus ou moins grand. Puisque la variabilité de l’environnement est faible, les effets de la diversité génétique sont plus marqués. Le fait que la taille donne l’impression d’être essentiellement génétique plutôt qu’environnementale est en fait dû… à l’environnement! Il y a encore d’autres raisons qui rendent l’estimation et l’interprétation de l’héritabilité chez l’être humain particulièrement compliquée comme expliqué dans cet article (pour les geeks).
Revenons à l’héritabilité de l’orientation sexuelle. Qu’un homme soit gay ou hétéro, ça n’a pas de sens de dire que les gènes y sont pour 40% et tout le reste pour 60%. Ça n’a pas non plus de sens de dire que l’orientation sexuelle masculine est à 40% fixée une fois pour toutes (« innée ») et à 60% malléable en fonction de facteurs extérieurs à la personne considérée et sur lesquelles on pourrait en principe intervenir (« aquise »). On touche ici du doigt le malentendu le plus fondamental et qui plombe pratiquement toutes ces controverses. C’est l’erreur qui consiste à plaquer sur la distinction hérédité/environnement une notion d’inévitabilité ou au contraire de changement possible. Car il y a un raccourci fautif dans l’air du temps selon lequel si c’est les gènes, on n’y peut rien, si par contre c’est l’environnement, on peut intervenir (de quelle manière est une autre question). Or pour des traits humains complexes, sous la dépendance simultanée de plusieurs gènes et de facteurs environnementaux, l’héritabilité ne permet de tirer aucune conclusion a priori sur l’efficacité d’interventions extérieures. La notion de fatalité génétique, qui hélas est souvent proche de la vérité pour les maladies génétiques mendéliennes dont s’occupe la génétique médicale, n’est pas pertinente ici.
Ce contresens une fois identifié, on voit que les controverses politico-morales que nous évoquions sont bâties sur le sable. On croit parler de biologie alors qu’en fait on parle de déterminisme et de libre arbitre, ainsi que de pratiques sociales et culturelles modelant les comportements de façon plus ou moins impérieuse; et on oublie souvent que les conditionnements éducatifs et sociaux peuvent être aussi contraignants que les gènes. Enfin, il y a ce bon vieux paralogisme naturaliste qui pointe le bout de son nez et nous fait oublier qu’on ne peut pas benoîtement tirer des conclusions normatives des schémas descriptifs et explicatifs que fournissent la biologie, la psychologie et les sciences sociales. Le faux débat sur l’homosexualité faute ou pathologie s’est bien estompé, du moins dans le monde occidental et cela ni à cause, ni malgré les résultats de ces recherches. Et si la persécution des homosexuels est encore si répandue, voire en progrès dans de nombreuses régions du monde, cela n’est pas affaire de science, mais bien d’obscurantisme moral et de bourrage de crâne à visées politiques (signez ici).
Homosexualité et génétique : des conclusions à l’eau tiède, semble-t-il. Alors, la génétique des comportements humains, c’est du pipeau ? En fait, il y a de vraies questions et des questions vraiment profondes, même si elles sont moins sexy. Car on doit se demander comment le développement humain et les comportements résultent de cette imbrication intime de la génétique avec la foultitude de causes de toute nature que le terme « environnement » résume de façon bien imparfaite : le milieu utérin, la nutrition, les interactions enfant-parents et les câlins reçus ou absents, l’éducation, la socialisation, les péripéties de toute nature qui jalonnent une biographie… Question massivement complexe mais non insoluble et sur laquelle un nouveau venu ouvre des perspectives décoiffantes : l’épigénétique. La découverte que le génome est affublé de post-it moléculaires qui marquent durablement certains gènes pour en limiter l’expression change la donne de façon assez spectaculaire. En effet, la mise en place de ces post-it - des marqueurs épigénétiques - semble répondre à des stimuli environnementaux, voire même à des comportements. Les travaux initiaux de Meaney et Szyf à Montréal avaient montré que le comportement maternant ou distrait des rattes induisaient chez leurs petits des attitudes caractéristiques durables touchan à la réaction au stress et que des modifications épigénétiques de l’ADN étaient en cause. L’idée que le matériel génétique n’est pas seulement porteur de l’hérédité classique, mais que par le biais des marqueurs épigénétiques, il forme un nouveau lien causal entre des facteurs environnementaux et des modifications à long terme au niveau neurologique, hormonal, et comportemental est un bouleversement conceptuel dont on ne voit pas vraiment toutes les implications à ce jour. Un nouveau domaine de recherches en plein essor. Et le jour où il se confirmera que certaines de ces modifications épigénétiques sont héritables à travers les générations d’individus, alors les anciens comme votre serviteur qui ont étudié la biologie dans les années 70 et 80 risquent l’infarctus, car cela voudrait dire qu’il y a transmission héréditaire de caractère acquis. Tout ça est encore largement incertain, mais qui sait… Les dogmes, plus ils sont imposants, plus ils font de bruit en tombant.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez vous identifier au moyen des options proposées, ou laisser un commentaire anonyme. Évidemment, dans ce cas vous pouvez quand même nous dire qui vous êtes.