Un avis d'experts relance la controverse autour de la mammographie de
dépistage. J'ai assez envie de vous en faire un cas à commenter, car je
sais qu'il y a parmi les lecteurs réguliers de ce blog plusieurs
personnes qui connaissent plutôt bien ce genre de sujet.
Mais avant de vous passer la parole, un petit résumé et quelques clarifications. Le
Swiss Medical Board a publié en début de semaine une recommandation
contre le dépistage systématique du cancer du sein précoce par la
mammographie. Oui, oui, je sais, ça ressemble à une attaque contre
la santé des femmes (en pleine campagne de défense de l'accès à
l'interruption de grossesse ça tombe mal), à un recul sur la prévention
(alors qu'en Suisse on peut faire mieux sur ce chapitre), bref à une
très très mauvaise idée. Mais ce qu'ils recommandent n'est pas de ne
plus faire de mammographie. Encore moins de ne plus les rembourser. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour ou contre la mammographie elle-même.
Non, ce qu'ils ont recommandé était de ne plus faire de programmes
systématiques, avec courrier aux ménages et invitation à venir dans un
centre de dépistage sur le seul critère du sexe féminin et de l'âge.
Leur raisonnement? Il
y a des avantages à ces programmes, mais aussi des inconvénients
parfois sérieux pour les personnes visées. C'est là-dessus que se
focalise le rapport. Etant
donné la possibilité réelle de dépister plus précocément d'une part,
mais aussi le risque de voir quelque chose qui en fait n'est pas grave
et de faire subir pour rien un traitement lourd, comment peser? La
réponse des experts: en demandant aux femmes elles-mêmes, lorsqu'elles
viennent en consultation, pour leur permettre de décider si elles
trouvent que le jeu en vaut la chandelle. Et leur conclusion: on ne doit
pas simplement les convoquer pour des mammographies, on doit leur en
expliquer les avantages et les risques lorsqu'elles se présentent chez
leur médecin. On ne doit donc pas, disent-ils, encourager les campagnes
de dépistage systématique.
Ce qui est inconfortable, c'est qu'en Suisse en tout cas il semble que
les campagnes de dépistage systématique soient surtout une spécialité
romande. Elles ne sont certainement pas la seule différence entre les
régions linguistiques dans la prise en charge du cancer du sein, mais
toutes les différences prises ensemble donnent une mortalité plus faible
de cette maladie en Suisse romande. Quel rôle joue spécifiquement le
dépistage systématique dans cet effet? Ce n'est pas entièrement clair et
sans doute serait-il utile de le clarifier.
Autre élément inconfortable: le rapport relève à juste titre que les
informations fournies lors des campagnes de dépistage sont surtout
positives, et qu'elles présentent parfois les chiffres sous un jour trop
favorable à la pratique du dépistage. Mais les patientes initialement
ne font que se rendre dans un centre de dépistage. La véracité de leur
compréhension se jouera sur l'entretien qui s'y déroulera. En fait, les
laisser choisir en connaissance de cause est parfaitement compatible
avec la pratique du dépistage systématique.
Restent les coûts. Effectivement, améliorer l'information sur place
suppose plus de personnel, plus de temps, finalement plus d'argent. Le
jeu en vaudrait-il la chandelle sous cet angle-là? Ce point n'est pas
examiné dans le rapport. La question du rapport coût-bénéfice, en
revanche, l'est. Elle est même plutôt bien examinée puisque la
comparaison est faite avec d'autres interventions pouvant améliorer,
ici, la santé des femmes. Pas de problème de justice distributive entre les sexes a priori, donc. Mais pas de conclusion non plus. Le rapport demande si "les
ressources consacrées audépistage systématique par mammographie
nepourraient être utilisées de façon plus efficace et sauver ainsi plus
de femmes. D’autres moyensde prévention, qui revêtent une importance
toute particulière dans ce débat, vis-à-vis du cancerdu sein, relèvent
du comportement personnel:on citeral’absence de surpoids, le renoncement
àla prise d’hormones pendant la ménopause et l’absence de consommation
excessive de denréesd’agrément comme l’alcool et le tabac." C'est
une difficulté que l'on va certainement recroiser ces prochaines
années, ça. Lorsqu'un moyen de prévention coûte quelque chose, il sera
toujours meilleur marché de demander aux individus de se comporter de
manière plus saine. La question qui se pose ici, vous devez apprendre à
vous la poser à chaque fois: demander aux individus de se mieux
comporter, est-ce que ça marche dans le cas de figure considéré ? La
dernière fois que vous avez demandé, simplement demandé, à quelqu'un de
perdre du poids ou d'arrêter de fumer, par exemple, que s'est-il passé?
Au sommaire, un rapport qui a beaucoup de bons points. Certaines critiques ont tiré à côté, d'autres ont été plus justes.
Mais ce rapport a aussi des défauts, et ces défauts sont intéressants.
Certains sont des problèmes que nous allons certainement recroiser.
Et vous, alors, qu'en pensez-vous?
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3 commentaires:
Merci de cet excellent commentaire. Peut-être pourriez-vous le poster aussi sur le site du swiss medical board, où se trouve déjà un autre bon commentaire, de Dieter Imboden (dans Journal21) sur la communication de l'incertitude. Suis perplexe par rapport à la réponse de l'OFSP qui semble désavouer le rapport suisse en faveur d'un autre, hollandais. Qu'en pensez-vous ?
Jacques de Haller m'envoie ceci:
"Excellent, excellent résumé - merci !
J'en pense quant à moi que la question de la mortalité demande d'urgence une réponse soigneuse et crédible; elle est évidemment décisive. Je ne crois pas que les experts du SMB soient pervers ou idiots, et s'il était aussi simple de sauver tant de vies, ils y auraient sans doute pensé ...
Et puis ceci: tout compréhensibles qu'elles puissent être, les réactions ... disons excitées de certaines face à ce rapport n'ont pas fait avancer grand' chose; on a un peu oublié que ce même SMB a publié il y a peu de mois un autre rapport recommandant d'abandonner le dosage systématique du PSA.
Le SMB dérange dans les certitudes, le confort et une certaine facilité: il est là pour ça; si en plus il fait réfléchir, c'est parfait !"
C'est tout à fait ça. Le SMB est aussi là pour questionner l'idée que si quelque chose est faisable, alors cette chose doit forcément être faite. Un questionnement important, certainement.
Un commentaire important de Bertrand Kiefer dans la Revue Médicale Suisse sur ce rapport du Swiss Medical Board se trouve ici.
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