C'est un rapport impressionnant, que vient de publier la Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine. "La procréation médicalement assistée - analyses éthiques et propositions pour l'avenir" frappe par le nombre de sujets abordés: nous en aurons certainement pour plusieurs billets dans ce blog. La recommandation frappe aussi par la distance qui y est prise par rapport à des prises de positions préalables, par cette même commission dont la composition n'a pourtant pas -encore- changé. C'est aussi une distance par rapport à la législation actuelle en Suisse, qui est extraordinairement prudente. Dans les réactions, la surprise est palpable et ne semble pas toujours être bonne.
En guise de résumé des conclusions, et sans doute un peu de table des matières de commentaires à venir, voici les recommandations présentées en fin de document:
1. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du DPI": c'est le diagnostic préimplantatoire, un sujet dont nous avons déjà parlé ici, ainsi qu'ici, et puis aussi ici, ici et ici. L'autorisation du diagnostic préimplantatoire a entre temps été acceptée par le Conseil national, et maintenant également par la Commission de la science de l'éducation et de la culture du Conseil des Etats. Un point attendu, donc, raisonnable, encadré dans le projet de loi en discussion de manière plutôt prudente.
2. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation de la détection des aneuploïdies": c'est une recommandation d'étendre le champ des analyses génétiques qui seraient autorisées par le projet de loi actuellement en discussion.
3. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du typage HLA": ici c'est la possibilité de donner naissance, exprès, à un enfant qui serait non seulement exempt d'une maladie grave qui aurait frappé un frère ou une soeur, mais également compatible avec l'aîné et donc susceptible d'être le donneur dans une greffe de cellules du cordon ombilical. Nous en avions également parlé ici.
4. "La CNE unanime recommande l'autorisation du don de sperme pour les couples hétérosexuels non mariés": c'est proposer que l'on cesse de réserver la procréation médicalement assistée aux familles traditionnelles, alors que l'on admet par ailleurs qu'un couple non marié peut tout aussi bien être le socle d'une famille.
5. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du don de sperme pour les couples de même sexe et les personnes seules": c'est aller plus loin mais dans la même direction que la recommandation précédente. Il est à prévoir que ce sera plus controversé, car la reconnaissance de ces familles en tant que telles est plus fragile. Moins légitime? Ce n'est pas sûr.
6. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du don d'ovule et du don d'embryon": ce point nous y reviendront. Mais il est important de comprendre qu'il a deux composantes au moins. D'une part, il concerne la possibilité de donner des ovules déjà prélevés, des embryons déjà fécondés. Lors d'une procréation médicalement assistée, il arrive qu'un couple complète son projet parental avant d'avoir eu recours à chaque ovule et chaque embryon préparé pour cela. Dès lors, qu'en faire? La loi actuelle impose en Suisse un choix entre la destruction et le don pour la recherche sur les cellules souches. L'autorisation du don d'ovules et d'embryons ajouterait à ce choix une troisième option: en faire don à un couple qui souhaite avoir recours à la PMA. La seconde composante consisterait à autoriser le prélèvement d'ovocytes dans le but du don. C'est évidemment une situation entièrement différente. Cette seconde situation nécessite que l'on se penche sur les risques liés à la marchandisation des ovocytes. Mais c'est un enjeu délicat car ce genre de risque existe avec une autorisation mal encadrée, mais aussi avec une interdiction. Nous y reviendrons...
7. "La majorité de la CNE estime que la maternité de substitution peut être acceptée sur le principe, mais émet des doutes quant à la possibilité d'un encadrement acceotable assurant la protection adéquate de toutes les personnes concernées, vu les dangers de commercialisation de cette pratique". La recommandation est donc de ne pas autoriser la maternité de substitution.
8. "La CNE recommande unanimement que soit garanti l’accueil et un statut juridique
sûr pour les enfants nés par le biais d’une maternité de substitution à
l’étranger et qui se voient refuser l’autorisation d’entrée en Suisse, pour éviter
des conséquences préjudiciables pour l’enfant."
9. "La majorité de la CNE se félicite du projet de loi concernant la levée de
l’interdiction de la cryoconservation des embryons et plaide pour la levée de
toute détermination d’un nombre maximal d’embryons pouvant être développés,
comme condition pour permettre d’améliorer les possibilités d’Elective
Single Embryo Transfer, en conformité avec les bonnes pratiques médicales :
réduction de la probabilité de grossesses multiples et des risques inhérents, et
amélioration de l’efficacité des méthodes de PMA"
10. "La CNE recommande unanimement la création d’un registre des enfants nés par
PMA (follow-up)."
11. "La CNE attire unanimement l’attention sur l’importance que les dispositions
légales tiennent compte des bonnes pratiques médicales": une toute petite recommandation, mais elle est bien sûr importante et il est révélateur qu'elle soit nécessaire.
12. "La CNE demande une adaptation du droit de la filiation, afin de mettre en oeuvre
ses recommandations."
13. "La CNE attire l’attention sur les évolutions préoccupantes actuelles de commercialisation,
particulièrement dans ce domaine"
Comme je vous le disais, il y a là de quoi faire plusieurs billets. L'essentiel de ces recommandations, pourtant, se laisse résumer en un fil conducteur très bien décrit par Jean Martin cette semaine:
"Souvenons-nous que les décisions dont nous parlons touchent la vie très privée, intime, de familles. A mon sens, la légitimité d’interventions intrusives de l’Etat est ici limitée à s’assurer qu’on ne nuit pas gravement à autrui et, le cas échéant, au respect de l’ordre public. Et il n’est pas possible de dire que l’ordre public est menacé parce qu’un couple entend bénéficier dans son propre pays d’une technique biomédicale mise en œuvre impeccablement en Belgique ou en France.(...) que ceux qui sont à «l’extérieur», et notamment les pouvoirs publics, se
gardent de lancer des anathèmes moraux avant d’avoir considéré
sereinement les situations."
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