Parfois on n'a pas le temps de bloguer tout de suite mais les sujets ne disparaissent pas pour autant. En fin d'année dernière, la France a modifié ses règles sur le consentement au don d'organes. Ca a été l'occasion de voir qu'il y a pas mal de malentendus autour de cette question. C'est dommage. Le sujet est important, et en Suisse on aurait besoin de mieux le comprendre. Quelques points, donc, pour faire le point.
Premièrement, pour être donneur d'organe après sa mort il faut deux éléments. Le premier, c'est qu'il faut mourir d'une manière qui permet le don d'organe. Seule une minorité des décès le permet. N'est donc pas donneur d'organe qui veut. Et ça, c'est le hasard qui le dicte. Le deuxième élément, c'est qu'il faut être d'accord. Nos organes continuent de nous appartenir, même après notre mort. On ne prélève pas contre le gré du mort.
Ensuite, les pays divergent sur la manière de s'assurer de l'accord de la personne. Certains, comme la Suisse, utilisent le modèle du "consentement explicite". On remplit une carte de donneur, ou une application sur son smartphone ou on parle à ses proches de sa volonté de donner. D'autres, comme la France ou l'Espagne, utilisent le modèle du "consentement présumé". Là, c'est si on n'est pas d'accord qu'il faut s'annoncer. En l'absence de refus, on présume le consentement de la personne décédée.
Dans les pays où l'on utilise le consentement explicite, on s'imagine tour à tour des choses positives et négatives sur le consentement présumé. Certains craignent que sous le consentement présumé on ne puisse plus se soustraire au don d'organes. C'est clairement faux. Certains espèrent qu'il permettrait d'augmenter le nombre de transplantations. Ce serait une bonne chose, dans ce cas, car nous avons en Suisse un taux de don d'organes plutôt bas et des listes d'attente où l'on meurt. Malheureusement, il semble que le modèle de consentement ne permette pas de changer le taux de don dans un pays donné.
Pourquoi? Une des raisons se trouve dans un point commun moins visible entre les deux modèles. Lorsqu'une personne décède, que le consentement soit explicite ou présumé, les interlocuteurs des médecins vont être sa famille. Et cette famille aura, dans les faits, un droit de véto. Ca, lorsque l'on en parle aux étudiants, certains sont scandalisés. Comment? A quoi sert une carte de donneur si ma famille peut dire non quand même? Heureusement, ces cas-là sont rarissimes. Mais il faut s'imaginer la scène. Vous devez annoncer à une famille qu'il viennent de perdre un être cher. Evidemment, il faut y mettre le temps qu'il faut. A un moment donné, souvent lors d'un autre entretien, vous allez leur demander ce que la personne pensait du don d'organes. S'ils s'insurgent alors, et refusent, alors y aller quand même est un acte d'une rare brutalité. Sous nos climats, comme on dit, aucune équipe ne le ferait. Et cela vaut que le consentement soit explicite ou présumé.
Tant que l'on n'a pas compris le véto familial, on aura tendance à exagérer les effets du modèle de consentement présumé ou de consentement explicite. En Suisse, un nombre relativement important de familles refusent. La raison principale semble en être le doute. Pas vraiment une opposition fondamentale. Ils comprennent que c'est la volonté de la personne décédée qui doit primer, mais ils ignorent ce qu'elle aurait voulu. Dans le doute, ils préfèrent ne pas autoriser le prélèvement.
Maintenant, imaginez que l'on adopte en Suisse le consentement présumé. Ces familles douteraient-elles moins? Sans doute, non. Si c'est ce doute que l'on souhaite lever, mieux vaudrait demander à tout le monde de se prononcer. Actuellement, trop peu de gens le font. Dans les pays qui ont rendu la décision obligatoire, elle n'est même pas un si grand fardeau. En fait, la plupart des personnes sont favorables au don d'organes si on le leur demande.
Et en France? On a précisé les manières de refuser le don, en exigeant plus de clarté et en rendant l'accès à ces moyens plus facile. En revanche, si vous regardez bien, le véto familial subsiste. C'est normal. Et c'est pour cela que les nouvelles mesures pourraient bien ne pas changer grand chose.
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