Vous trouvez que je vous parle beaucoup d'évolution ces temps? Eh bien ce n'est pas seulement parce que c'est une année Darwin, ni uniquement parce que les liens entre la biologie de l'évolution et l'éthique sont incompris. Non, en comprenant mieux comment marche la sélection naturelle, on peut ... mieux aider nos semblables!
Cet autre lien entre la biologie de l'évolution et la bioéthique (ici celle de la santé publique) est expliqué dans la conférence enregistrée ici. Paul Ewald y explique comment, si l'on pose les bonnes questions, on peut quasiment en venir à 'domestiquer les bactéries'. Comment faire un truc pareil? Actuellement, lorsqu'un micro-organisme nous cause du mal, soit on le tolère (quand on n'a pas le choix, ou qu'il est bénin, ces deux conditions s'appliquent au rhume par exemple), soit on prend des antibiotiques. En d'autres termes, on lui tape dessus.
Mieux comprendre les mécanismes de sélection naturelle qui opèrent sur les micro-organismes permet de faire quelque chose de plus subtil: leur tirer le tapis sous les pieds. Ou en tout cas tirer le tapis sous les pieds de leur capacité à nous rendre gravement malades. Comme point de départ, deux postulats tous simples. Si vous êtes une bactérie ou un virus, et que vous dépendez de la mobilité de votre hôte pour être transmis, vous serez mieux transmis si vous ne causez pas une maladie trop grave. Une personne très malade ne bouge pas beaucoup, pour vous c'est un problème. Par contre, si vous ne dépendez pas de sa mobilité, alors vous vous porterez mieux si vous exploitez davantage les ressources de votre hôte, quitte à le rendre très très malade. S'il ne bouge pas, pour vous ce n'est pas grave. Comment cela s'applique-t-il aux maladies humaines? Deux exemples pour illustrer ça.
La malaria est un excellent exemple d'une maladie qui n'a pas besoin que l'hôte humain ne bouge. Les moustiques s'en chargent avec une efficacité redoutable. Ici, le modèle évolutionniste prédit que si l'on coupe l'accès des moustiques aux personnes très malades, la pression de sélection se mettra à favoriser les parasites qui laissent les gens assez bien pour vaquer à leurs occupations. Comment faire ça? En bloquant aux moustiques l'accès aux habitations. Les moustiques vont alors piquer surtout des personnes valides. Dans les années 30 aux États-Unis, ça a même été fait. Et vous savez quoi? Ca marche! La maladie devient plus bénigne en l'espace de quelques années, et sa prévalence chute: bingo.
La diarrhée infectieuse est un peu plus compliquée. Là, la maladie est typiquement transmise soit de personne à personne, soit par de la nourriture contaminée, soit par l'eau. Et le mode de transmission change la pression de sélection. Pour transmettre par voie directe ou par la nourriture, il faut plutôt pouvoir bouger. Pour transmettre par l'eau, non. La description, je sais, est un peu graphique, mais tôt ou tard quelqu'un portera votre linge à la rivière, et les agents infectieux en profitent. Quelles prédiction peut-on en tirer? Eh bien que si la transmission par l'eau est facile, la maladie sera plus virulente. Et si l'on coupe la transmission par l'eau, elle le sera moins. Bien involontairement, cette 'expérience' a même eu lieu durant le cours de l'épidémie de choléra El Tor en Amérique du Sud. Et devinez quoi? Dans les pays où l'eau est mieux protégée, l'épidémie s'est adoucie avec le temps. Dans les pays où l'eau se contamine beaucoup, la virulence, au contraire, a augmenté. Non seulement on diminue le nombre de victimes en sécurisant l'eau, mais en plus les malades sont moins malades.
Le lien avec l'éthique?
C'est que tant que ces mécanismes restent méconnus, ou inappliqués, nos stratégies peuvent être non seulement moins efficaces, mais parfois carrément délétères. Prenons l'exemple de la diarrhée. Si l'on traite le choléra avec des antibiotiques sans protéger l'eau, que va-t-il se passer? On va sélectionner des souches plus virulentes, simplement en laissant ouverte la voie de transmission par l'eau. Et l'on va aussi sélectionner des souches résistantes aux antibiotiques. Si par contre on sécurise l'eau, on va non seulement diminuer la gravité de la maladie, mais aussi faire reculer la résistance aux antibiotiques. Après tout, plus les malades sont malades et plus on aura tendance à leur en donner. Si la maladie s'adoucit par contre, on en prescrira moins, et la résistance reculera. Une parfaite occasion pour améliorer, par des outils biologiques, notre manière de faire face à des maladies graves et négligées. Quelle erreur de ne pas les utiliser davantage...
L'affiche qui illustre ce message montre d'ailleurs à la fois où nous avons progressé et où, non. OK, on sait désormais que ce n'est pas l'eau froide, mais l'eau non bouillie qui est un danger. Pas les légumes et les fruits verts, mais ce qui ne remplit pas les règles standard 'boil it, cook it, peel it, or forget it'. Que les courants d'air ne transmettent pas ces germes.
Ne pas prendre de traitement sans avis médical, par contre, ça reste de rigueur. Et l'autre chose qui n'a pas changé, malheureusement, c'est l'attention que l'on offre aux démunis. Aujourd'hui, si ces épidémies frappent surtout des pays pauvres, c'est en partie parce que justement elles sont favorisées par le manque d'infrastructures de bases comme l'eau courante propre, ou des moustiquaires aux fenêtres. A l'époque déjà...vous avez vu ce qui est écrit en bas de l'affiche? Vous n'arrivez pas à lire? Dans la plus petite écriture, il est indiqué que 'Un traitement et des conseils médicaux sont disponibles pour les pauvres à tout heure du jour et de la nuit en se présentant à la station de chaque unité'. C'est minuscule. Un hasard? Mince, sans doute non...Et dans une épidémie, encore davantage qu'habituellement, c'est vraiment pas malin.
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2 commentaires:
Merci de cette excellente introduction à la perspective évolutionniste en santé, qui reste un parent pauvre de l'éducation médicale. Et cela pas seulement parce qu'on enseigne pas assez l'évolution, mais parce que quand c'est le cas, c'est sur un mode "contemplatif", c'est-à-dire seulement comme une explication de l'histoire naturelle de certaines maladies (ex: malaria vs. hémoglobinopathies) et pas comme une logique d'intervention active. Bravo!
(une petite coquille sympa: "rhum"? La doctoresse Hurst ne confond-elle pas la maladie avec le remède :-)
Merci...et merci d'avoir pointé cette coquille! Je la laisse dans ce commentaire:
'Actuellement, lorsqu'un micro-organisme nous cause du mal, soit on le tolère (quand on n'a pas le choix, ou qu'il est bénin, ces deux conditions s'appliquent au rhum par exemple), soit on prend des antibiotiques.'
Car bien sûr je la corrige dans le message lui-même...pression de sélection quand tu nous tiens!
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