Diagnostic préimplantatoire: la consultation c'est maintenant
Sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
En Suisse, actuellement, ce geste est interdit. Du coup, notre loi actuelle crée une situation où les couples frappés par une maladie génétique grave et qui souhaite avoir un enfant malgré cela doivent passer par une "grossesse à l'essai". Concevoir un enfant, attendre pour pratiquer un diagnostic prénatal -qui est autorisé- tout en sachant que si la maladie est présente ils avorteront à ce moment et recommenceront. C'est difficile d'imaginer à quel point cette démarche peut être tragique. Aux yeux de ces couples, donc, et des médecins qui les suivent dans leur parcours, il est évident que le diagnostic préimplantatoire, loin d'être un problème, est en fait une solution. Et pourquoi pas? Clairement, il est plus responsable d'y avoir recours que de prévoir en quelque sorte d'emblée une interruption de grossesse.
Cet aspect de la question est longtemps resté au second plan derrière le difficile enjeu du statut de l'embryon, que le DPI soulève bien sûr également. Mais un projet de loi est actuellement en consultation dans notre pays pour une autorisation encadrée du DPI. Il était temps, diront certains.
Notre système de santé par inadvertance
Un exemple récemment dans le très sérieux Journal of the Royal Society of Medicine. L'article est une comparaison du système de santé américain avec 18 autres systèmes sur la base des dépenses, des résultats, et des rapports entre ... les dépenses et les résultats. La Suisse fait partie du groupe de comparaison. L'article entier est en accès libre ici. Mais la partie qui m'a frappée dit la chose suivante (c'est moi qui ai traduit):
"Comment expliquer les mauvais résultats des USA, en tenant compte de la notion que les forces du marché sont supposées conduire à plus d'efficacité et d'efficience dans la production? D'une part, Adam Smith (1776), le protagoniste du 'marché', a dit que dans certaines sphères, comme la santé et l'éducation, l'état pouvait être plus efficace que le seul marché. Un facteur économique, connu depuis longtemps, est que l'on s'attendrait à trouver ces inefficacités [du marché] dans un système de santé à dominante 'privée' c'est-à-dire fondé sur l'assurance privée: ce qu'on pourrait appeler le principe d'incertitude, qui est intrinsèque à la santé. L'asymétrie d'information en termes des maladies du patient, de sorte que les 'inconnues' ne peuvent que partiellement être prévues par l'assureur. D'où l'inclusion de 'incertitude', car ils auront nécessairement moins d'information que le 'client', qui est accepté sur une présomption explicite d'un certain degré de santé. En raison de l'asymétrie de l'information les assureurs facturent des primes élevées pour compenser les quelques individus qui requièrent des traitements médicaux très chers de manière inattendue. Une charge bureaucratique relativement immense est requise pour faire un suivi des coûts, comportements, et risques des clients, ainsi que des frais de justice importants pour contrôler les paiements."
Pour les personnes intéressées, la référence la plus intéressante à l'appui de ce paragraphe est ici. Elle date de...1970. Bon, OK, le titre de ce billet est un peu réducteur. Mais en d'autres termes voilà ce que ce texte veut dire: il y a des économistes qui écrivaient avant ma naissance, et sur la base de leurs travaux quelqu'un qui écrit sur un autre système de santé est capable de décrire certains des problèmes principaux auxquels se heurte notre système de santé. Impressionnant, je vous dis. Mais je ne sais pas encore si c'est la profondeur de leur clairvoyance à tous, ou le fait que nous semblons du coup tellement en manquer, qui m'impressionne le plus...
Égaux dans la médecine
Même si nous ne le faisons pas toujours, partager est une habitude humaine de base. Dans un système de santé, c'est une habitude vitale. Maintenir, pour tous, l'accès à des soins en cas de maladie, c'est la simple reconnaissance de la fragilité physique que nous partageons. C'est aussi admettre que la médecine est un projet commun qu'aucun d'entre nous ne pourrait soutenir seul, et dont tous doivent donc pouvoir bénéficier.
En Suisse, comme dans beaucoup d'autres pays qui se portent financièrement pas trop mal, on est d'accord de payer beaucoup pour notre santé. Et pourquoi pas? Une fois le minimum vital assuré, un toit sur nos tête, à manger tous les jours, une certaine sécurité matérielle, quoi de plus important que d'ajouter des années à la vie et de la vie aux années? Nos systèmes de santé sont performants, et même s'ils coûtent cher, année après année il semble que cela nous convienne assez bien ainsi. Oui, bien sûr, à chaque augmentation des primes d'assurance on sent une certaine tension, et quand on sait combien elles pèsent sur certaines familles on le comprend bien! Mais ce qui fâche c'est l'impression qu'on pourrait financer notre système de manière plus juste, ou en améliorer le fonctionnement. On ne s'attend pas à devoir y renoncer à quoi que ce soit.
C'est exactement pour ça que les émissions diffusées cette semaine par 36.9° et Infrarouge sont importantes. Si ce n'est pas encore fait, regardez-les ici. En racontant l'histoire de personnes atteintes de maladies rares, et qui se voient en plus refuser le remboursement de leur traitement, le reportage devrait tous nous inquiéter. D'abord parce que les maladies rares sont...fréquentes. Pas une à une, mais toutes ensembles oui. Laisser de côté ces malades-là, c'est aussi mettre à risque chacun d'entre nous. Surtout que, c'est bien expliqué dans le débat, les maladies rares ne sont pas toujours celles que l'on croit. Avec le développement de traitement mieux 'taillés sur mesure', un grand nombre de cancers sont en train de devenir des 'maladies rares'.
Ensuite, parce que refuser le remboursement sur la base du diagnostic, même si c'est le même diagnostic que celui de l'arrêt du Tribunal Fédéral de l'an dernier, est arbitraire. Pourquoi? Le Tribunal Fédéral a pris un soin immense à se baser non pas sur le diagnostic, mais sur une évaluation de ce que cette patiente pouvait attendre de ce traitement dans ses circonstances. C'est un de ses points forts. Si ces patients, différents, auxquels on refuse maintenant le remboursement vont en justice, il y a fort à parier qu'ils gagneraient.
Et c'est ça qui, en fait, devrait nous inquiéter le plus. Nous avons un système qui montre ici ses points faibles. Qui n'est pas si bien protégé que ça, finalement, contre l'arbitraire. Ou plutôt, nous avons un système qui est au milieu d'un test: on verra maintenant s'il est bien protégé, ou non. Un vrai test de l'équité de notre système, ça. Car les personnes souffrant de maladies rares sont parmi les plus vulnérables. Et avoir un système juste, qui ne prive personne de traitements nécessaires, ni de traitements qui seraient accessibles à d'autres, et bien ce n'est pas un luxe, c'est une condition de vie en commun.
Se mettre d'accord sur les limites de ce que nous voulons payer, ensemble, pour tous? Cela peut choquer certains. Mais nous sommes depuis quelques années déjà devant un vrai choix de société:
Nous pouvons poser une limite, qui serait sans doute généreuse, et ne rembourser que les interventions dont on peut raisonnablement dire qu'elles font au moins une certaine quantité de bien.
Ou bien nous pouvons décider que nous ne voulons pas de limites, mais alors cela doit s'appliquer pour tout le monde et nous devons alors assumer (et après tout pourquoi pas?) que les coûts de la santé continuent de monter à peu près comme jusqu'à présent.
Ou finalement nous pouvons ne rien faire. Mais ne rien faire voudrait dire que les pressions qui pèsent actuellement sur les coûts continueront d'être simplement répercutées là où la résistance est la plus faible. Et, on l'a vu cette semaine, cela signifie parfois là où les gens sont les plus faibles. On n'a - j'espère - pas besoin de dire à quel point cela est injuste. On a - peut-être - besoin de dire que c'est aussi dangereux pour nous tous.