Un doctorat ça suffit pas...

Étudier, ce n'est pas seulement apprendre des choses. C'est aussi se forger la réflexion. Et parfois le caractère. Sauf que parfois, ça ne suffit pas. Et parfois, en toute justice, les circonstances rendent d'emblée le projet plus difficile que d'autres. Un exemple cette semaine: la thèse de doctorat de Saif al-Islam Muammar al-Gaddafi.

Une lecture en marge des événements du Moyen-Orient très différente de la dernière, ça. Et ici on ne sait pas s'il faut rire ou pleurer. Saif, c'est celui qui alterne depuis une semaine avec son père sur nos petits écrans, et promet la mort aux opposants du régime. Mais Saif, c'est aussi l'auteur d'une thèse de doctorat en philosophie de la London School of Economics datée de 2008 et intitulée "Le rôle de la société civile dans la démocratisation des institutions de gouvernance internationale".

Extrait (p 236, mes emphases, ma traduction, et mes excuses posthumes à Rawls qu'il cite largement et que ma traduction rapide écorche par endroits):

"Par contraste, une société injuste ou 'hors-la-loi' est reconnue au fait qu'elle 'refuse de reconnaître une loi raisonnable des peuples...[et] affirme des doctrines totalitaires qui ne reconnaissent pas de limites géographiques à l'autorité légitime de leurs...institutions religieuses ou de leurs positions philosophiques'. Des exemples seraient des sociétés qui seraient agressives envers d'autres sociétés ou qui violeraient les droits humains fondamentaux de ceux qui en feraient partie. Dans ce cas, Rawls accorde qu'une intervention peut être légitime: 'Les peuples ordonnés peuvent exercer une pression sur les régimes hors-la-loi pour les induire à changer leurs pratiques; mais seule, cette pression a peu de chances d'aboutir. Elle doit être soutenue par un refus résolu de toute aide militaire, et de toute assistance qu'elle soit économique ou autre; les états hors-la-loi ne doivent pas non plus être admis par les peuples ordonnés comme membres respectables de leurs pratiques de coopération fondées sur le bénéfice mutuel'. (...)
En rejetant l'idée que les états hors-la-loi devraient être autorisés à poursuivre sans être arrêtés, cette thèse est en accord avec Rawls."


Évidemment, le contraste avec ses positions actuelles est saisissant. Ce n'est pas drôle, bien sûr. Et oui, on peut comprendre que ses anciens professeurs aient misé sur l'occasion d'introduire un peu de raison en Libye, même si c'est évidemment très gênant pour eux que cela ait si mal marché. Et gênant aussi qu'il y ait aussi une histoire de sous, qu'ils ont entre temps rendus. Et certes, les étudiants qui ont manifesté pour que leur université coupe les liens avec le régime libyen ont bien fait. Et ok, il y a aussi des accusations de plagiat, pour le moment (à ma connaissance) non confirmées par la LSE.

Non, ce n'est pas drôle. Mais franchement, un fils Kadhafi défendant l'idée qu'un état hors-la-loi devrait être stoppé par la communauté internationale? Il ne croyait pas si bien dire...

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Dons pour les réfugiés de Libye

Pas de long texte, juste quelques adresses. Car aux frontières de la Libye c'est peu à peu une catastrophe humanitaire qui monte. Les régions frontalières, notamment, en Tunisie, font face comme elles peuvent et avec une générosité admirable, mais ce genre de situation est susceptible de vite dépasser les moyens régionaux.

Vos dons sont les bienvenus auprès des organisations suivantes:

Et si vous connaissez d'autres organisations humanitaires fiables et engagées sur place, merci de les indiquer dans les commentaires...

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Science émancipatrice



Joli documentaire sur la place de la science dans les institutions européennes. Regardez-le, ça vaut le coup. Il dure environ 25 minutes. Et si vous avez un avis sur l'un ou l'autre point, donnez-le dans les commentaires...

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La force des idées

Gene Sharp, vous connaissez? C'est quelqu'un qui vaut la peine d'être lu en marge des événements de Tunisie, Égypte, Libye, Yemen, enfin bref de tous les pays qui sont sur cette liste.

Alors qui c'est, Gene Sharp? A première vue, pas un type bien dangereux. 83 ans, une vie d'intellectuel que les journalistes vont photographier au milieu de ses livres. Mais, car il y a un mais, il se trouve qu'il écrit des guides pratiques pour la révolution non violente, qui ont été traduits en 24 langues et distribués gratuitement sur internet. Ah oui, et puis des formateurs du International Centre for Nonviolent Action se sont trouvé comme ça juste par hasard au Caire il y a quelques années, ils ont distribué sa documentation aux personnes intéressées. Oui, il devait y en avoir...

Interviewé récemment par le New York Times, il est parfaitement clair: il analyse et écrit, mais n'est pas à l'origine des mouvements qui pourraient s'inspirer de ses méthodes. Ses écrits aussi, d'ailleurs, sont parfaitement clairs. Ça vaut le coup d'oeil. La version française du plus célèbre, intitulé "De la dictature à la démocratie" se trouve ici. Quelques extraits:

"de dures réalités sont à considérer avant de s’en remettre à une intervention étrangère :
• Fréquemment, les puissances étrangères tolèrent et même soutiennent une dictature afin de faire avancer leur propre intérêt économique et politique.
• Certains iront jusqu’à trahir le peuple opprimé plutôt que de tenir leur promesse d’aider à sa libération, cela afin de poursuivre un autre objectif.
• D’autres agiront contre la dictature pour mieux maîtriser le pays aux plans économiques, politiques ou militaires.

• Les puissances étrangères s’investissent parfois de manière positive pour le peuple opprimé, mais seulement si le mouvement intérieur de résistance a déjà ébranlé la dictature au point d’attirer l’attention internationale sur la nature brutale du régime."


Et aussi:

"La conclusion est difficile à accepter. Pour renverser une dictature efficacement et au moindre coût, il est impératif de travailler à quatre tâches :
• Renforcer la détermination de la population opprimée et sa confiance en elle-même, et améliorer ses compétences pour résister ;

• Fortifier les groupes sociaux indépendants et les institutions qui structurent la population opprimée ;

• Créer une puissante force de résistance interne ;

• Développer un plan stratégique global de libération judicieux et le mettre en oeuvre avec compétence.

(...)
Quand la dictature doit faire face à une force solide, sûre d’elle-même, dotée d’une stratégie intelligente, avec des actions disciplinées, courageuses et vraiment puissantes, elle finira par s’écrouler. Mais, au minimum, les quatre conditions énumérées ci-dessus devront être remplies.
(...)

Machiavel disait [déjà] que le prince « … qui a l’ensemble de sa population pour ennemi ne sera jamais en sécurité ; plus grande est sa cruauté, plus faible devient son régime."

Oui, on conçoit que certaines personnes trouvent ça dangereux...

Pour finir, bien sûr, le dernier chapitre est intitulé "Les fondations d'une démocratie durable". Sans doute le plus difficile, ça. Et ici plein de gens aimeront, parce qu'il y parle de la Suisse. Allez le lire, et ensuite dites-nous ce que vous en pensez...

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Post scriptum

Vous vous rappelez le recours des médecins dans l'affaire de Bernard Rappaz? Si vous êtes en Suisse, vous connaissez les faits. Si ce n'est pas le cas, vous trouverez un résumé ici, et plusieurs commentaires précédents ici, ici, ici, et ici . Suite à l'ordre qui leur avait été donné de nourrir de force leur patient, les médecins responsables de la prise en charge clinique de Bernard Rappaz avaient refusé d'obtempérer, et fait appel devant le Tribunal Fédéral. Il vient de statuer...qu'il ne statuerait pas.

L'arrêt complet se trouve dans la jurisprudence du TF, et on le trouve facilement en tapant 6B _1011/2010 ici. L'essentiel:

"L’ordre donné au médecin genevois de procéder à une alimentation forcée de Bernard Rappaz est devenu caduc depuis que le prisonnier a recommencé à se nourrir. Comme la probabilité qu’un cas similaire se présente est «très faible», la Haute Cour considère qu’elle peut se dispenser de rendre une décision.

Elle admet cependant que la question posée par le médecin, qui contestait la légalité de l’ordre qui lui avait été donné par la conseillère d’Etat valaisanne Esther Waeber-Kalbermatten, présente «un intérêt public manifeste». Si une telle affaire devait se présenter à nouveau, rien n’indique que le médecin concerné ne pourrait pas recourir en temps utile, estime la Haute Cour."


On n'aura donc pas pour cette fois de décision tranchée entre les deux lectures de leur jurisprudence antérieure qui étaient (et donc restent) sur la table. On peut les résumer, un peu rapidement, comme suit: 1) La nutrition forcée peut être employée en dernier recours pour sauver la vie d'un détenu capable de discernement car il est possible de la pratiquer dignement et dans les règles de l'art médical, et l'accord du médecin n'est pas nécessaire; 2) la nutrition forcée ne peut pas être employée même en dernier recours pour sauver la vie d'un détenu capable de discernement, car elle ne peut être pratiquée de manière digne et n'est pas conforme aux règles de l'art médical, ou en tout cas l'accord du médecin qu'il s'agit d'une situation où ce serait possible est nécessaire.

Le Tribunal Fédéral a cependant bien sûr raison: il est fort peu probable qu'un autre cas semblable se produise. Heureusement. Et celui-ci est donc désormais clos.

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Un enfant pour en sauver un autre

Vous vous rappelez des discussions s'il y a 15 jours, sur le 'bébé médicament'? Bon, 15 jours ce n'est pas si long. Mais je dois dire que ma première réaction (et celle de quelques collègues qui se reconnaîtront) a été de trouver que les médias ont parfois la mémoire courte. Car cette histoire du premier 'bébé du double espoir' né en France aurait dû nous rappeler ici quelque chose d'il y a pas si distant. En 2007, l'histoire d'Élodie et Noah faisait la Une chez nous.

Malgré l'humour plutôt grinçant que ces cas suscitent, ce sont des situations sérieuses. Elles concernent des parents dont un enfant nécessite une greffe de moelle osseuse, dont les indications sont en général des maladies graves. S'il n'y a pas de donneur apparenté, et que les chances d'obtenir un don sur les listes internationales est trop distant, ces parents ont parfois recours à...une augmentation des personnes apparentées. En d'autres termes, ils ont un autre enfant. Cette possibilité leur est ouverte avec ou sans aide, c'est après tout leur droit. Mais comment savoir si cet enfant sera compatible comme donneur? Ou même s'il sera lui aussi atteint de la maladie qui frappe son grand frère ou sa grande sœur? Le diagnostic préimplantatoire, un test génétique réalisé sur une cellule d'un embryon conçu par fertilisation in vitro, permet de répondre à la première question, et dans certains cas à la deuxième. Il est alors techniquement possible de n'implanter qu'un embryon à la fois sain et compatible.

Ce petit geste, qui nécessite quand même une procréation médicalement assistée, soulève une foule de controverses. En Suisse, il est interdit: les parents qui veulent y avoir recours doivent donc aller à l'étranger. Et lorsque le diagnostic préimplantatoire inclu la sélection d'un embryon pour permettre un don de sang de cordon (ou parfois de moelle) dans la fratrie, on sent la tension monter. L'argument qui est alors opposé est généralement celui de l'instrumentalisation: l'interdiction d'utiliser un être humain seulement comme un moyen, et non comme 'un but en soi', donc comme un être ayant une valeur propre indépendamment de son utilité pour autrui.

Le problème, c'est que le problème de l'instrumentalisation n'est pas que la personne soit utile à autrui. C'est de limiter son importance à cela. Cette critique revient donc à accuser ces familles de ne pouvoir considérer cet enfant que comme une sorte de réservoir à tissus humains, d'être incapables de l'aimer comme ils aimeraient un enfant conçu autrement. Sérieux, comme accusation, ça. Et pas très réaliste. Lorsque la question est placée explicitement sur la table, on assiste d'ailleurs à des contorsions intéressantes pour éviter cette conclusion. La Commission Nationale d'Ethique, qui a publié deux prises de positions sur le diagnostic préimplantatoire, qui était divisée lors de la seconde, et qui a soigneusement évité de porter cette accusation, offre un exemple de ces contorsions dans ce passage:

"Les membres de la commission qui s'opposent à la légalisation du typage tissulaire par DPI en Suisse s'appuient eux-mêmes sur des considérations purement éthico-sociales et ne remettent pas eux non plus en cause la décision individuelle des parents."

Etrange évaluation éthique, qui juge éthiquement répréhensible une pratique dont les acteurs sont par ailleurs jugés parfaitement honorables...Alex Mauron le commentait il y a quelques temps lors d'un débat à la radio que vous trouverez ici. C'est sans doute là le reflet de notre inconfort. Car tout autour de nous, dans les situations que la technique médicale n'atteint pas, les exemples sont légion: on a un deuxième enfant pour compléter la famille, pour donner un compagnon au premier, pour se conformer à un certain idéal social, pour ne pas regretter plus tard de ne l'avoir pas fait, pour...pour...pour... toute une série de choses. Et l'on estime que tous ces choix sont...parfaitement honorables. Un peu exigés, parfois, même. Une amie me disait il y a quelques temps qu'elle 'ne savait pas qu'en ayant un premier enfant elle signait un contrat avec la société pour en avoir un deuxième'.

Qu'est-ce que la technologie change à ça? Un certain nombre de choses, sans doute. Mais pas la question de l'instrumentalisation. Et est-ce réellement, à la base, plus problématique de faire un deuxième enfant pour sauver la vie du premier? Tant que le problème est rattaché à ce pour, on doit admettre que l'argument est plutôt faible...

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Assistance au suicide: les cas les plus difficiles

C'est un des avantages d'un pays où le débat sur la fin de vie comporte moins de tabous: la Suisse ne reste jamais très longtemps sans se questionner sur les enjeux de la mort choisie. Et un des enjeux qui revient périodiquement sur le tapis est celui des motifs du choix de mourir. Faut-il être en fin de vie? Faut-il même souffrir d'une maladie? Suffit-il de simplement demander à mourir, quelles que soient nos raison, pour obtenir la mort en médicaments? Cela suffit-il d'être 'fatigué de vivre'?

En Suisse, l'assistance au suicide est légale (art. 115 Code Pénal Suisse) pour autant que trois conditions soient remplies. La personne qui souhaite mourir doit réaliser elle-même le geste fatal, et doit être capable de discernement. La personne qui accepte de l'assister ne doit pas avoir de motifs égoïstes. Et c'est tout. Très peu d'exigences, donc.

Dans la pratique, cependant, des critères plus nombreux sont appliqués. Il est donc troublant, ce reportage sur Dignitas diffusé la semaine passée. On y a filmé le suicide de Michèle Causse, une Française éloquente, intelligente, vive, qui n'est pas en train de mourir, et qui déclare que sa vie 'perd sa forme'. Le médecin qui lui donne le feu vert, et qui témoigne dans l'anonymat, part du principe que le choix du patient fait foi. Est-ce suffisant? Un autre cas soulève en ce moment des questions proches mais (c'est important) un peu différentes. André Rieder, un patient Suisse atteint d'un trouble maniaco-dépressif, et qui a eu recours à EXIT pour une assistance au suicide. Doit-on pouvoir accéder à l'aide au suicide alors que l'on souffre d'une maladie psychiatrique?

Ces deux types de cas, motivés par une 'fatigue de vivre' ou par une maladie mentale, sont très différents. Parmi les demandes d'assistance au suicide, ils comptent parmi les cas les plus difficiles. Pour clarifier les questions soulevées ici, trois pointages sont nécessaires.

Premièrement, l'acceptation de l'assistance au suicide là où elle est légale repose en général sur la co-existence de deux dimensions: un choix authentique, mais aussi la présence d'une souffrance incurable. Quelque chose qui ressemble à une maladie est donc bel et bien requis, du moins par l'opinion. En Suisse, c'est n'est pas requis par la loi mais les directives de l'Académie Suisse des Sciences Médicales, qui lient les médecins et autres soignants, spécifient que la personne doit être malade et en fin de vie. Et la plupart des associations d'aide au suicide le requièrent aussi.

Deuxièmement, même si l'on exige à la fois un choix libre et une souffrance intolérable, il faut encore définir ces termes. Et il se trouve que l'un et l'autre peuvent porter à confusion. On peut par exemple penser qu'une personne souffrant d'une maladie mentale ne peut pas faire un choix libre. Que son désir de mourir sera un résultat pathologique de sa maladie. C'est souvent vrai. Mais pas toujours. La Commission Nationale d'Éthique a bien vu cela. Dans une position sur l'assistance au suicide, elle précisait deux choses complémentaires:

'les suicidants souffrant de maladie psychique, combinée ou non à des affections somatiques, ont besoin en premier lieu d’un traitement psychiatrique et psychothérapeutique. Lorsque le désir de suicide est l’expression ou le symptôme d’une maladie psychique, il ne peut être question d’assistance au suicide.'

(...)

'Pour faire exception à cette règle, il est nécessaire, mais non suffisant, que l’apparition du désir de suicide ne découle ni de l’expression ni du symptôme d’une maladie psychique, mais survienne, par exemple, au cours d’un intervalle libre de symptômes d’une évolution jusqu’ici chronique.'


Le point essentiel est qu'il existe des cas où une personne atteinte de maladie psychiatrique remplira les mêmes critères qu'une personne atteinte d'une autre maladie. Une souffrance grave, et un choix libre qui n'est pas l'expression de la maladie mentale. Ces cas sont difficiles à identifier. Mais cela ne signifie pas pour autant que c'est toujours 'la maladie qui parle' lorsqu'une personne atteinte d'une maladie mentale et capable de discernement souhaite mourir. Et lorsque ce choix remplit les mêmes critères que celui d'une autre personnes, ne pas le traiter de la même manière est discriminatoire. Un arrêt du Tribunal Fédéral allait récemment dans ce sens.

Le troisième point, c'est la controverse qui entoure l'assistance au suicide dans les cas de souffrance chronique, lorsque la personne n'est pas en fin de vie. On parle souvent alors de 'fatigue de vivre', et il est compréhensible que l'assistance au suicide donne lieu dans ces cas à des controverses. D'autant plus que Dignitas semble souvent 'jouer les limites', par exemple autour de situations d'assistance au suicide de couples dont seule une personne est malade. Malgré la visibilité de ces cas, il faut cependant se rappeler que la plupart des suicides assistés en dehors de la fin de vie concernent des personnes bel et bien malades, à cela près que leur maladie, chronique et bel et bien incurable, ne met pas leur vie en danger dans l'immédiat. Plutôt que de 'fatigue de vivre', on devrait donc plutôt parler de 'fatigue de souffrir'... Ces deux types de cas soulèvent l'un et l'autre des questions difficiles. Mais ils sont différents

Un terrain miné, donc. A manier avec la plus grande précaution.

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Qui fait quoi et combien ça coûte?

Dans un excellent billet (malheureusement pas en ligne), André Chuffart commentait dans Le Temps d'hier la transparence dans l'assurance maladie. Un sujet très consensuel, ça. Tout le monde il est d'accord, et en plus c'est dans la loi, les caisses maladies qui pratiquent l'assurance de base doivent se soumettre à une surveillance, et rendre des comptes.

Malheureusement, ce beau consensus cache une peau de chagrin. Surveiller les comptes de pas loin d'une centaine d'entreprises, cela prend du temps et des ressources, que le surveillant suisse (en l'occurence l'OFSP) n'a pas en suffisance pour cette tâche. Le billet d'hier commentait donc l'initiative "Transparence de l'assurance maladie" lancée par les médecins suisses l'automne passé, et présentée ici avec un argumentaire là.

De quoi s'agit-il? A la base, pour un assureur 'moyen', l'assurance maladie est une étrange chose. Prenons un exemple. Si vous avez une grosse voiture, et que la réparer en cas de casse coûte cher, tout le monde est d'accord que vous devez payer votre assurance auto plus cher. Il en va de même pour l'assurance incendie, l'assurance ménage, bref ce type d'ajustement au risque est considéré comme normal dans toute assurance. Sauf dans l'assurance maladie. Pourquoi? Parce qu'ici il s'agit de couvrir un besoin de base. La santé. Un besoin que nous couvrons collectivement parce que nous ne pouvons pas le budgéter seul: il est trop imprévisible. Et là où vous pouvez choisir de prendre une voiture moins chère, ou de ne pas en avoir, il vous sera difficile de renoncer à un corps ou à sa fragilité. Une assurance sociale, donc, au vrai sens du terme. Elle sert à mutualiser le risque, et non à faire du profit. Pour cette raison, elle ne peut pas non plus sélectionner des personnes en meilleure santé, ni faire payer plus aux personnes plus malades.

L'assurance complémentaire, en revanche, est considérée comme une assurance comme une autre. Et elle peut refuser des personnes malades, et faire du bénéfice.

Gérer ces deux espèces dans la même entreprise? Dans l'interprétation charitable, c'est un tour d'acrobatie. Dans l'interprétation plus pessimiste, un tas de nœuds de conflits d'intérêts.

Une des raisons pour lesquelles le billet d'André Chuffart est intéressant est qu'il critique l'initiative des médecins, qui exige pourtant rien de moins que l'interdiction de pratiquer à la fois l'assurance de base et l'assurance complémentaire, pour sa retenue. D'après lui,

'Cette initiative est sans doute fort louable (...) cependant (...) pour atteindre les objectifs fixés par le comité d'initiative, la modification de la Constitution fédérale est, à nos yeux, une condition certes nécessaire mais en aucun cas suffisante (...) En revanche, il existe d'autres mesures susceptibles de produire les effets attendus par le comité d'initiative, parmi lesquelles:

I-l'obligation d'expliciter et de publier la rémunération des cadres supérieurs et le montant des frais d'administration et de gestion de chacun des assureurs d'un même groupe, ainsi que la méthode d'attribution de ces frais;
II-l'obligation de limiter les frais entrant dans le calcul des primes des assurances complémentaires;
III-l'obligation de distribuer aux assurés des assurances complémentaires 80%, voire 85%, du sur-intérêt réalisé sur les investissements (cette solution est appliquée en Allemagne depuis 2001); et surtout
IV- l'obligation d'une charge de sinistre minimum dans les assurances maladie complémentaires, c'est-à-dire l'obligation de reverser aux assurés sous forme de prestations un pourcentage minimum des primes encaissées."


'Produire les effets attendus par le comité d'initiative', et ces effets sont? D'après les initiants, le but principal est ici de permettre le contrôle des caisses par l'autorité. Vous vous rappelez? Le truc sur lequel tout le monde est d'accord...

On voit que cet accord ressemble souvent à la vitre de l'image. Fragile, et pas très transparent. Sauf que nous avons de bonnes raisons de l'avoir, cet accord. Et du coup les alternatives ne sont pas légion. Continuer de faire de l'assurance de base, donc de l'assurance sociale, c'est pour une caisse la perspective de subir de plus en plus de pression -légitime- pour que la surveillance sociale puisse opérer. 'L'alternative pour l'assurance privée n'est pas d'essayer de contrecarrer cette revendication mais de refuser d'assumer ce rôle social et de s'abstenir de pratiquer l'assurance maladie'. L'analyse de Chuffart a le mérite de mettre, comme trop rarement, les points sur les i. Le sort de cette initiative nous montrera si ce choix est pour bientôt, ou pour plus tard...

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Cartes blanches


Aller, un coup de pub! Ce livre qui vient de paraître est très très inhabituel. Et votre servante y a contribué. Si vous dites à, disons, une bonne douzaine de personnes, médecins ou travaillant proche de la médecine, de vous raconter régulièrement quelque chose, n'importe quoi, que va-t-il en sortir? Une série d'histoires rares, peu ou pas racontées, sur le quotidien de la médecine d'aujourd'hui. Ça parle de tout un tas de personnes, de patients, de collègues, de paperasses, de patients, de patients, de vuvuzelas(!), encore de patients, y compris une charmante petite dame qui discute de choisir le jour de sa mort pour conclure qu'en tout cas, ce sera pas aujourd'hui car il y a le match! La vraie vie, quoi.

Vous trouverez une recension plus officielle ici. Mais pour vous dire pourquoi je pense que vous devriez lire ce livre, voici ce que j'ai répondu à l'éditeur:

'La médecine ouvre les coulisses de la société. Ce n’est pas la seule activité qui le nécessite, mais elle permet d’aborder ces coulisses à travers les contacts personnels, et de le faire autour des expériences profondément communes à l’humanité que sont la maladie et la mortalité. Dans ces moments, il arrive régulièrement que les masques tombent. En même temps, soigner la maladie c’est aussi permettre de protéger, voire de retrouver, un rôle social ‘hors des coulisses’, de garder le masque. On ne voit plus ni nos semblables ni nos sociétés du même œil lorsqu’on a pris l’habitude de les voir à travers l’expérience clinique.

(...)
L’abord de l’être humain qu’offre la médecine nous montre [aussi] que notre expérience commune est infiniment plus vaste que ce qui nous divise. (...) Des ingrédients de communauté humaine. Cette expérience commune, il est précieux de la voir et important d’en reconnaître les besoins. Mais elle est souvent invisible. Et l’importance que la médecine puisse continuer de l’accueillir avec respect reste trop souvent implicite pour être correctement protégée.

(...)
Plus pragmatiquement, il y a aussi le regard sur l’expérience et la structure du système de santé. Cette vue ‘à raz le sol’ est importante pour ce dernier point. Dans les mutations d’un système de santé, les soignants sont les canaris dans la mine : ils voient le danger avant.'

Envie de lire? C'est le but!

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...c'est vrai, ça?

Mais justement, on se disait que l’an prochain on allait la faire vacciner... !

La mère est atterrée. Sa grande fille de bientôt 15 ans a la rougeole, et elle ne va pas bien du tout. Dans les yeux de la mère, on la voit presque se refaire le film. Le pédiatre. Les magazines. Les amis. Les conseils contradictoires. Son enfant. Les hésitations. Les craintes. La décision toujours repoussée : plus tard on y verra plus clair, elle sera plus grande...

La réalité est parfois bien difficile.

Et pas seulement celle qui nous touche avec précision, à un moment donné. Comme celle qu’il faut maintenant expliquer, à cette adolescente, et à sa mère. Avec ses nuances, ses incertitudes, son côté probabiliste, certes, mais aussi son côté tenace. Mais je pensais que... et puis non. Le principe de réalité, dit-on parfois. En médecine, on y est beaucoup confronté. Ailleurs ? Parfois. Pas partout. Pas toujours.

Et on a parfois l’impression qu’il est difficile en tant que tel, ce côté... réel, non ? Ce noyau dur qui reste, malgré tout le génie d’opinions et d’interprétations que nous autres humains mettons dessus. Ce fut du coup très étrange que de comparer l’actualité britannique et l’actualité suisse il y a quelque temps. Car en Angleterre, on publie l’analyse approfondie de l’histoire de Wakefield. Celui-là même qui avait ouvert la question d’un lien entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme, et ainsi lancé la discussion dont la patiente de tout à l’heure fut une victime. Une question pas absurde à la base, mais dont on sait désormais depuis longtemps que la réponse est non. Aucun lien entre la vaccination et l’autisme. Et les dernières nouvelles sont édifiantes : le BMJ décrypte ces temps, chapitre après chapitre, l’histoire d’un cas de conflit d’intérêts massif et mal géré.

En clair, l’étude de Wakefield était frauduleuse, et il a été payé par un groupe qui aurait souhaité – déjà – trouver littéralement à tout prix des motifs pour mettre en cause le vaccin contre la rougeole. Ces révélations ont même convaincu certains opposants traditionnels à la vaccination. Mais pour nombre d’entre eux, il aura jusqu’alors suffi que Wakefield se pose en victime pour qu’il gagne du crédit sans avoir à répondre à la critique. Dans une histoire comme celle-là, savoir si le risque est réel ne suffit manifestement pas.

Du coup, j’espère que vous me pardonnerez si j’ai commencé par sourire en voyant nos nouvelles à nous, en Suisse. Car c’est à peu près en même temps que l’on décida que certaines médecines parallèles seraient à nouveau prises en charge par l’assurance de base. On pouvait bien sûr y voir un autre exemple de nos dénis. Il semble que nous ayons, finalement, sacrément envie de ne pas avoir à vérifier si un traitement marche réellement.

Mais c’est aussi d’abord la victoire d’un lobby. Et les utilisateurs des médecines parallèles, de celles dont il s’agit ici, ne sont après tout pas n’importe qui. Majoritairement plutôt jeunes, plutôt bien éduqués (pour celles dont on parle ici) donc (nous sommes en Suisse) majoritairement pas parmi les plus pauvres. A l’heure où l’on rabote les angles des coûts de la santé (la couverture des médecines parallèles, ça paierait un certain nombre de lunettes) il n’est donc pas véritablement surprenant qu’on leur fasse ce qui équivaut à un fort joli cadeau.

En médecine, vous disais-je, le principe de réalité on y est souvent confronté...

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Contrôler les coûts de la santé: oui mais comment?

Il semble que ce soit une année où l'on parlera de limitation des coûts de la santé. L'automne dernier, le Tribunal Fédéral a publié un arrêt (9C_334/2010, pour les curieux) que je vous commenterai tout bientôt. Et le Département Fédéral de l'Intérieur prend décision sur décision touchant à ça.

Sur le fond, tant mieux! Ça fait beaucoup trop longtemps que la question ne faisait pas l'objet de discussions. Alors en guise d'introduction à ce qui va sans doute devenir une série de billets au fil du temps, je vous remets un truc que j'avais écrit il y a quelques temps déjà, ailleurs. Concernant où mettre la limite lorsqu'on...limite les coûts de la santé:

"(...) il est facile d’être d’accord sur la nécessité de s’abstenir de ce qui « n’est pas raisonnable ». Le problème, c’est que nous n’avons pas tous la même conception de ce qui est « raisonnable ». Pour compliquer davantage, nous avons la tendance fâcheuse mais compréhensible de changer d’avis selon que nous sommes à tour de rôle le malade qui nécessite des soins, ou l’assuré qui paye la facture. Si encore il y avait un « mètre universel » pour déterminer quels soins sont raisonnables, nous pourrions nous y référer pour fixer notre limite, mais ce genre de critère n’existe pas. Malheureusement, ou heureusement pour qui défend l’idée que les personnes concernées doivent avoir leur mot à dire, nous sommes donc obligés pour adopter une « limite raisonnable », de nous mettre d’accord. La limite la mieux défendable est celle qui peut être considérée comme la meilleure par toutes les personnes concernées, alors qu’elles savent qu’elles sont toutes à risque d’être défavorisées par les failles du système."

C'est qui, ça, les personnes à risque? A la base, c'est tout le monde. Même source:

"(...) l’équité et la solidarité, qui fondent les systèmes de santé européens, « servent » à quelque chose. Elles sont le signe d’une société qui se soucie de tous ses membres, y compris les plus vulnérables. Nous reconnaissons un droit à chacun d’avoir accès à des soins de santé. Le « meilleur niveau de santé atteignable » est d’ailleurs reconnu comme un droit fondamental par l’OMS. La santé est un pré requis indispensable pour que chacun ait des chances équitables d’avoir une vie bonne. Mais en plus, la solidarité et l’équité de notre système de santé, nous offrent à tous davantage de sécurité. Seule, je suis à la merci d’une maladie soudaine et chère à traiter. Avec mes concitoyens, ce risque est amorti car partagé. Nous ne savons pas qui va tomber malade, ni qui sera appauvri par la maladie : nous risquons donc tous de devenir un jour victimes d’un système de santé qui désavantagerait les malades ou les pauvres. Ce risque n’est pas purement hypothétique. Une étude récemment publiée dans le très sérieux journal Health Affairs révèle que les frais médicaux sont en cause dans la moitié des faillites enregistrées aux Etats-Unis, et que 75.7% de ces personnes étaient assurées initialement. [petite note, c'était avant la crise immobilière, ça...] Un système qui tolère que l’on laisse de côté les pauvres et les personnes malades devient vite inutile pour ceux-là même qui viennent à en avoir besoin, quelle que soit leur situation de départ. En bref, dans toute stratégie de médecine à plusieurs vitesses, nous risquons un jour de nous retrouver en dernière classe."

L'équité du système est donc une des aunes principales auxquelles il faut juger les mesures de distribution dans un domaine comme la santé. C'est un sujet qu'on reverra. Ce principe, heureusement, ne semble pas véritablement remis en question en Suisse. Mais comme souvent le diable est dans les détails, car le protéger est souvent plus difficile que prévu. Et il s'agit de ne pas l'oublier en route. En attendant, votre avis m'intéresse. L'élimination du remboursement pour les lunette, la taxe pour les repas à l'hôpital, la couverture des médecines complémentaires, l'augmentation de la part des génériques, la surveillance intensifiée des caisses maladies, vous en pensez quoi?

Question 1: vous pensez que ça aura un effet (bon ou mauvais) sur les coûts de la santé?
Question 2: vous pensez que ça aura un effet (bon ou mauvais) sur l'équité de notre système?
Question 3: bonne idée, pas bonne idée?

Je dois dire qu'il y a des idées qui me plaisent bien là dedans. A priori. Mais c'est bien tôt. Et on en reparlera.

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