Depuis la découverte de la solution de sels de réhydratation orale, on sait qu'il suffit pour soigner le choléra d'avoir beaucoup, beaucoup d'eau propre, du sel, du sucre, si possible un filet de jus d'un fruit, et de la patience (la méthode est ici). Ce traitement au coût presque nul, inventé en 1971 par un médecin indien, sauve chaque année plusieurs millions de vies. Depuis près de 40 ans, on peut dire que chaque mort du choléra meurt d'un manque de logistique, de l'absence d'eau propre (qu'il suffit pourtant souvent de bouillir ou de traiter par le soleil), de l'impossibilité de communiquer une information simple mais cruciale, ou de solitude.
C'est ce qui rend les épidémies, comme celle qui sévit actuellement au Zimbabwe, particulièrement scandaleuses. En plus des milliers de morts, elles signent une situation où l'aide la plus basique n'est plus possible avec les moyens locaux; où les infrastructures s'étiolent; où le tissu social se porte mal. Le choléra est un drame, oui, mais il est aussi un symptôme de quelque chose de plus profondément disjoncté.
Les dons sont urgents. Plusieurs ONG les récoltent. Entre autres, Médecins Sans Frontières Canada, l'UNICEF Suisse, la Croix Rouge Française, et il y en a d'autres.
Mais gardez en tête qu'après avoir soigné le symptôme, il faudra encore soigner 'la maladie' elle-même. Reconstruire une société ne peut bien sûr se faire que de l'intérieur. Mais on peut construire plus humblement...des toilettes. A l'heure qu'il est, 2.6 milliards de personnes n'y ont pas accès. Alors bien sûr, creuser des latrines ce n'est pas très prestigieux comme progrès médical: ça peut sembler trivial et si peu technologique. Mais la prochaine fois que vous vous demanderez comment faire un don qui en donne pour votre argent, songez aux actions des travailleurs de l'eau. Ceux qui creusent des toilettes, des puits, ou encore apportent des moyens de désinfection simples et surs lorsque la seule eau disponible ne peut pas être bue telle quelle. On ne parle pas beaucoup d'eux dans les nouvelles scientifiques, mais ils apportent pourtant une santé plus durable qu'une nouvelle technique chirurgicale, village après village...
Le choléra comme symptôme
L'avenir des cellules souches
Ça n'a pas tardé: le président Obama n'avait pas remplacé Bush depuis une semaine, et déjà la FDA approuvait le premier essai sur l'être humain d'une thérapie cellulaire par des cellules souches embryonnaires. Limiter cette recherche aux lignées cellulaires existantes (donc celles qui ne nécessitaient plus de destruction d'embryons) avait aussi été un des premiers actes du président Bush lors de sa première présidence en 2001. Deux fois de suite qu'un enjeu de bioéthique se retrouve au centre de l'agenda politique américain.
Pourquoi tant d'importance? Parce que le devenir d'embryons congelés dans l'azote liquide serait devenu un enjeu de civilisation? En fait, c'est la réponse à cette question qui divise. Ces embryons, ceux qui restent une fois que les couples aidés par la fertilisation in vitro ont eu leurs enfants, n'ont pas d'avenir sans projet parental. Ils ne deviendront jamais des enfants, du moins tant que l'on n'institue pas le service de gestation obligatoire d'intérêt publique pour les femmes. Mais ils ne sont pas non plus des flocons de neige, des pièces de monnaie, bref ils ne sont pas des choses. En tout cas pas comme les autres.
Cela étant, qu'en faire? Les laisser dans l'azote liquide? Au nom du fait qu'il s'agit d'entités spéciales, ce serait une conclusion vraiment très étrange. Les décongeler pour les 'rendre aux conditions temporelles'? C'est un euphémisme bizarre pour décrire leur destruction, qui fait comme si le temps ne passait pas à basse température. En pratique, seuls certains pourront être adoptés par d'autres parents. Mais les autres? Lorsqu'on demande aux parents ce qu'ils souhaitent dans ces cas, leurs souhaits sont divers mais semblent être de deux sortes. Un petit nombre souhaitent revenir dans une situation qui soit la plus 'naturelle' possible. Certains évoquent même la possibilité d'implanter ces embryons à une période infertile pour déclencher en quelque sorte une fausse couche intentionnelle, qui leur semble préférable à la simple décongélation.
Mais garder une orientation vers l'avenir est l'autre but, qui est finalement celui de la plupart des parents. Et quoi de plus digne que de sauver des vies? Il n'est pas surprenant qu'ils soient majoritaires à être d'accord de faire don des embryons surnuméraires à la recherche médicale, de prendre le pari d'aider d'autres personnes. En Suisse, le peuple s'est prononcé en faveur de la recherche sur les cellules souches embryonnaires en 2004. La France devrait également se pencher sur l'enjeu de la recherche sur l'embryon lors de la révision des lois de bioéthique.
Autoriser une telle recherche ne signifie pas faire n'importe quoi. Pas plus que ne le signifie autoriser la recherche dans n'importe quel autre domaine utilisant des tissus humains. Il s'agit de trouver la solution qui protège le mieux ce qui nous importe le plus. Entre des malades déjà nés et des embryons sans possibilité de naissance, la FDA a pris la semaine passée une position très raisonnable.
On reparle d'avortement
En Europe, on aurait pu croire que les choix de société étaient déjà faits. Mais le statut légal et éthique de l'avortement se retrouve tout à coup sous le feux des projecteurs.
Peut-être parce qu'aux États-Unis, à un Bush très très contre succède un Obama heureusement moins contre? Peut-être parce que le parlement européen a approuvé une motion qui appelle les États membres à 'faciliter les méthodes de contraception afin de prévenir toute grossesse non désirée et les avortements illégaux et à risque' ? Une décision sage, qui devrait être consensuelle, mais qui forcément ne l'est pas puisqu'elle pourrait encourager des pays où l'avortement est illégal à le légaliser.
Voir que l'avortement pose une difficulté morale, soit. Mais pour vouloir l'interdire, il faut quelque chose de plus. Parmi les opposants les arguments, souvent religieux, n'ont pas fondamentalement changé. Pour penser que l'avortement devrait être illégal, il faut penser trois choses: que l'embryon a un droit à la vie dès la conception, qu'une femme a vis-à-vis de cet embryon un devoir de gestation, et que cette question (pourtant controversée) doit être tranchée par l'État plutôt que laissée au choix de chacun. C'est un débat qui a tendance à se réincarner; autour de la prescription de la pilule du lendemain, à laquelle s'opposent évidemment certains militants contre l'avortement, et même de temps en temps autour de condamnations de la contraception...
Tout cela n'est pas du passé. L'an dernier en France, l'inscription des fœtus morts au livret de famille a été attribuée à un agenda visant la reconnaissance légale du statut de personne aux embryons humains. Aux États-Unis, il est vrai un pays où la vie des embryons est parfois mieux défendue que celle des adultes, le Dakota du Sud a introduit une loi exigeant que les médecins 'informent' les femmes souhaitant interrompre leur grossesse selon un script où ils doivent l'avertir que l'avortement va mettre fin à la vie d'un 'être humain complet, distinct, unique, et vivant', et qu'avec l'avortement sa 'relation en cours avec cet être humain', qui est 'protégée par la Constitution des États-Unis et les lois du Dakota du Sud' et 'ses droits constitutionnels la concernant prendront fin'. Ils doivent aussi lui dire que l'avortement comporte pour elle des risques, parmi lesquels les risques de 'dépression', 'd'idéation suicidaire et de suicide' figurent en tête de liste. Dissuasif...
...et inexact. Tout d'abords, même si c'est un mythe tenace, les femmes ayant avorté n'ont pas plus de problèmes psychologiques que les autres. Même des études bien conduites comme celle-ci, publiée l'an dernier en Nouvelle-Zélande, et résumée ici, comparent en réalité les femmes qui ont eu un avortement à celles qui n'en ont pas eu. Pas celles qui ont été dans une situation où elles ont voulu un avortement, et les autres. Difficile à étudier, ça. Ou alors il faudrait comparer les problèmes psychologiques des femmes qui ont eu le droit d'avorter, et de celles qui ne l'ont pas eu. Mais si on fait ça, les risques qui sautent aux yeux sont plutôt d'ordre physique, concrets, et urgents. En Afrique, où 80% des pays interdisent l'avortement, 4.2 millions d'avortements de rue sont pratiqués chaque année, et sont à l'origine de 12% de la mortalité liée à la grossesse. Des pays comme le Mozambique envisagent désormais de légaliser l'avortement pour sauver ces vies. Au Cameroun, où l'avortement est illégal, les médecins sont d'autant plus en faveur de le pratiquer qu'ils ont plus d'expérience clinique. Les plus expérimenté ont vu les victimes des avortements pratiqués par des 'amateurs'...
Les arguments selon lesquels l'avortement légal, ou la contraception, seraient dangereux pour la santé doivent toujours être remis dans ce contexte: ils comportent moins de risque pour la santé qu'un avortement illégal. Ils sont in fine même moins dangereux que la grossesse menée à terme. Vouloir interdire l'avortement pour sauvegarder la santé des femmes est un détournement conceptuel qui tente de passer en contrebande sous la blouse blanche une opinion qui n'a en fait rien à voir avec ça.
Non, quitte à s'opposer à l'avortement, il est plus honnête de franchement opposer l'intérêt du fœtus aux intérêts et aux droits de la femme enceinte. Une réflexion qu'apparemment, les personnes qui militent contre l'avortement ont du mal à intégrer. Dans une vidéo impressionnante on leur demande, puisqu'ils pensent que l'avortement devrait être illégal, quelle punition ils trouveraient juste pour les femmes qui l'auraient quand même pratiqué. La plupart ne s'est jamais posé la question. D'autres répondent en substance qu'il faudrait faire de l'avortement un crime sans punition. En d'autres termes ils n'ont en fait jamais songé que lors d'un avortement, il y avait aussi une femme 'à bord'. C'est sans doute bien pratique pour eux, mais comme compréhension d'un choix difficile dans la vraie vie on fait mieux...
Quand l'altruisme est dans notre intérêt
C'est l'histoire de divorce la plus sanglante et la plus incroyable de ces derniers temps.
Un chirurgien, qui a fait don d'un de ses reins à son épouse en 2001, demande qu'elle le lui rende ou lui verse plusieurs millions de dollars.
Bon, elle l'aurait trompé, et c'est elle qui aurait demandé le divorce. En plus les négociations de garde parentale seraient dures. Des circonstances où bien des gens se fâchent en effet. Et avancent même des choses absurdes pour négocier.
Mais au delà du côté vaudeville-fiction, cette histoire touche et questionne. Donner un rein, c'est un des exemples de générosité altruiste par excellence. Mais pourquoi est-on généreux? En l'occurrence, le mari fâché déclare que sa première priorité était de sauver la vie de sa femme, mais que comme ses problèmes de santé pesaient sur leur mariage, il était content de pouvoir en même temps améliorer la situation de leur couple. Altruiste? Égoïste? Généreux? Pragmatique? Éthique ou pas éthique? Un peu de tout ça? Cette histoire illustre bien à quel point ces catégories peuvent être simplistes.
Parce que finalement, le mariage est un petit peu censé être un terreau fertile à ce qu'un terme technique appelle l'altruisme réciproque. En termes biologiques, l'altruisme réciproque c'est une 'aide proposée à perte et sans condition par chacun des organismes, et créant un bénéfice commun'. On relève aussi 'qu'un geste altruiste qui coûte trop en l'absence de bénéfice fini par disparaître' A chacun de juger selon ses causes de disputes à quel point ce calcul peut être précis...
Tout ce que l'on fait au nom des liens qui nous unissent avec d'autres humains (espèce sociale oblige), peut être à la fois généreux et dans notre propre intérêt. Du coup on a tendance à être plus généreux avec nos proches. Moment d'honnêteté totale: je donnerais un organe à un membre de ma famille, si c'était nécessaire, ou à d'autres personnes très proche, mais à un passant? Malgré des exceptions retentissantes (qui pour certains représentaient d'autres intérêts), et qui suscitent une de ces discussions de bioéthique moins connues, la plupart des gens ne le feraient pas. J'en fais partie. Si vous avez besoin d'un rein et que je ne vous connais pas, ne m'appelez pas. Prétendre le contraire serait hypocrite.
Ce qu'on fait au nom d'un lien, parce qu'on aime quelqu'un, parce que son intérêt fait partie du notre, est parfois très difficile à distinguer de ce que l'on fait parce qu'on s'y sent forcé par quelqu'un d'autre. C'est là une des difficultés à protéger la liberté des donneurs vivants d'organes; une des difficultés classiques de l'éthique clinique. Pour les personnes intéressées, il y a des commentaires sur ce point ici, ici, et ici. Mais on voit aussi du coup à quel point c'est dur aussi pour cela quand un lien se coupe. On ne divorce pas d'avec ses parents, sa fratrie, sa descendance, mais on divorce assez souvent d'avec son conjoint.
Et l'altruisme réciproque n'est qu'un exemple parmi d'autres. Même des expressions comme 'je ne pourrai plus me regarder dans le miroir si je fais ça' montrent à quel point une forme de considération pour notre intérêt est au cœur-même de ce que nous considérons comme le plus moral en nous. Et comment en serait-il autrement? Un monde où notre souci de nous et notre souci d'autrui serait complètement séparé, eh bien il serait bien différent, et sans doute pas en bien.
En fait, c'est l'opposition de ces deux catégories qu'il faut revoir. Ou alors l'idée que quelque chose que je fais dans mon propre intérêt aussi, est forcément égoïste. Pas au sens moral en tout cas. De plus en plus, il s'avère que pour les membres de l'espèce interdépendante que nous sommes, une bonne dose d'altruisme fait partie de notre intérêt bien pensé. Cela vous rappelle quelque chose? Pour Adam Smith, 'nous n'attendons pas notre dîner de la bienveillance du boucher ou de celle du marchand de vin (...) mais de la considérations qu'ils ont de leur propre intérêt'. Et bien ici c'est l'autre face de la pièce, le contraire qui est aussi vrai. Il se trouve que nous nous portons mieux, donc que nous servons mieux notre propre intérêt, si nous collaborons avec d'autres, donc si nous tenons compte d'eux, si nous sommes honnêtes et donc fiables, ou du moins si nous en avons la réputation.
Mais il se trouve que faire semblant est une stratégie coûteuse, donc pas toujours intéressante même si l'on est cynique.
Cette interface entre ce que l'on fait pour soi et ce que l'on fait pour d'autres, une équipe de chercheurs dirigés par Ernst Fehr à l'Université de Zurich s'y penche avec des résultats fascinants dont certains ont été résumés récemment par la TSR (la vidéo est ici). Non seulement le fair-play joue un rôle d'autant plus important que le contexte fait compter la coopération entre individus, mais nous sommes prêts à nous mettre à mal nous-même pour pouvoir exercer la punition altruiste: dépenser quelque chose pour punir ceux qui pourraient contribuer, mais choisissent de profiter sans le faire.
C'est donc toutes les idées qui isolent trop nettement ce que l'on fait pour soi et ce que l'on fait pour d'autres qu'il faut revoir. L'homo oeconomicus des théories classique est un exemple. Il y en a d'autres.
Diagnostic préimplantatoire
Il s'agit d'une intervention strictement réservée à la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.
Ce geste microscopique, montré dans l'image ci-contre, focalise une foule de discussions éthiques. On en reparle ces temps depuis qu'un couple britannique s'en est servi pour sélectionner un embryon dépourvu d'un gène de prédisposition au cancer du sein.
Où est le problème? Il est exprimé de plusieurs manières, mais en fait la controverse éthique est intense, et cet enjeu va sans doute figurer en même temps à l'ordre du jour des États généraux de bioéthique en France et à celui du législatif ici en Suisse.
Pour les opposants, la sélection d'un embryon signifie ne pas en sélectionner un autre, et voilà qu'une décision humaine décide qu'un enfant naisse et non un autre.
Bon, vous me direz peut-être que la plupart d'entre nous ne voient aucun problème à choisir avec qui ont fait des enfants, et que ça aussi ça opère une sélection entre ceux qui naissent et les autres...
Essayons un autre argument: choisir un embryon plutôt qu'un autre pourrait exprimer que l'autre ne méritait pas de vivre. Cela pourrait aussi nous décourager de faire des efforts pour rendre nos infrastructures plus faciles pour les personnes handicapées, par exemple. Ou de voir comme une richesse la diversité humaine que certains handicaps complètent. C'est une des raisons pour lesquelles les militants pour les droits des handicapés se sont souvent exprimés contre le DPI. Mais même si tout ça est important, le lien avec la possibilité ou non de pratiquer le DPI est très distant. Serions-nous vraiment plus ou moins capables de respecter nos semblables et de leur faire une place adaptée, simplement parce que quelques personnes auront réalisé une analyse génétique sur leur embryon? Il est de toute manière important défendre ces valeurs, et c'est en fait de cela qu'il s'agit et non du DPI.
Autre argument des opposants, pratiquer cette sélection revient à de l'eugénisme, ou tout au moins 'est teinté' d'eugénisme, ce qui en fait un acte à éviter à tout prix. Le problème avec cet argument est double. Premièrement, c'est opérer un raccourci très rapide entre des décisions d'individus libres, et une contrainte opérée par un état totalitaire. C'est même vertigineux. D'autre part, c'est un argument qui a l'effet de bannir le débat.
Car pour un couple ayant recours à la FIV et qui ne souhaite pas transmettre une maladie à sa descendance, quelles sont les options légales? Implanter l'embryon, le porter quelques semaines, pratiquer une amniocentèse, réaliser les mêmes analyses que l'on aurait pratiquées lors du DPI, pour avoir recours à un avortement dans le cas où la prédisposition est présente. Ceci est parfois considéré comme moins problématique sur le plan éthique, car on décide entre poursuivre et interrompre et non entre un embryon et l'autre. Et aussi parce que le droit de la mère à ne pas poursuivre une grossesse non désirée est entré en scène avec l'implantation utérine.
Mais c'est un peu une évaluation de bibliothèque, ça.
Entre le choix d'accueillir une grossesse en sachant qu'on y coupera peut-être court, ou de décider avant l'implantation si cet enfant sera de la famille, on comprend que le DPI apparaisse du point de vue d'un couple comme une solution plutôt que comme un problème.
Alors qui a raison? Ce genre d'enjeu nous teste. Il révèle non seulement notre difficulté à penser le statut des embryons, mais aussi celle que nous avons parfois à penser le statut des femmes qui les portent (ou non), des couples qui prennent des décisions de procréation (ou non), et...du statut de ce genre de questions très privées, mais qui mobilisent des émotions publiques. Sont-elles personnelles, où à décider ensemble pour tous?
Si on laissait celle-là à la sphère privée, comme on le fait d'ailleurs clairement pour d'autres décisions touchant aux choix d'avoir ou non des enfants, il resterait à savoir quelles analyses révèlent véritablement quelque chose, et quoi. La presse, qui a parlé d'un 'bébé sans cancer', ou d'un 'bébé immunisé contre le cancer', alors que cet enfant garde le même risque que la plupart des gens d'en souffrir un jour, a bien illustré les confusions possibles.
Resteraient aussi les craintes de voir un jour les parents choisir un enfant aux yeux bleus, ou rejeter un futur (insérez ce que vous aimez, un artiste peut-être) au profit d'un (insérez ce que vous n'aimez pas, ces temps-ci peut-être un manager?). Ce genre de craintes sont certes lucides sur ce que certains parents feraient pour 'l'enfant parfait'. Mais c'est se tromper sur le degré avec lequel ce que nous savons de nos gènes ne nous résume pas; le degré avec lequel la sélection d'une humanité uniformisée de type GATTACA serait hors de notre portée, même dans un monde où pour une étrange raison l'humanité aurait entièrement remplacé par la fertilisation in vitro les manières plus agréables de faire des enfants.
Nos identités génétiques
Dans les films, il arrive qu'une personne s'éveille à l'hôpital frappée d'amnésie en murmurant 'où suis-je?'. Mais il a fallu que la réalité rattrape la fiction pour voir arriver des personnes posant au médecin, au laboratoire, de plus en plus à une véritable industrie du test génétique, une autre question: 'Dites-moi, qui suis-je?'
Car avec le développement de tests génétiques de plus en plus étendus, mais aussi avec le développement d'un marketing de plus en plus féroce et qui s'adresse souvent directement au consommateur, on voit surgir des fantasmes.
Alors bon, le commentaire scientifique se doit de préciser que lorsqu'on teste la présence d'une variante génétique, il y a toutes sortes d'incertitudes: la variante est-elle effectivement présente? Après tout un test parfait ça n'existe pas. La variante est-elle associée à quelque chose, comme une caractéristique ou une maladie? Ce n'est pas toujours le cas. Si c'est le cas, quelle est la probabilité que cette caractéristique ou cette maladie soit présente chez la personne qui porte la variante génétique? Après tout, nos gènes ne sont pas notre destin, un tas d'autres facteurs sont à l'œuvre, bref il y a souvent loin du gène à la vie quotidienne. Les vendeurs ne le précisent pas.
Mais ça n'empêche pas d'acheter du rêve, avec au centre celui de se connaître (enfin!) soi-même... à travers l'analyse de son génome.
Le commentaire bioéthique, c'est que cette question se pose, en génétique comme ailleurs, avec passablement de confusions. A la question 'qui es-tu?', il y a plusieurs types de réponse. L'une d'entre elles est de décliner des caractéristiques personnelles. Suis-je plutôt quelqu'un de déconcentré, d'intelligent, quelle est mon aversion au risque d'erreur? Vais-je attraper le diabète, une thrombose? Certains sites offrent en ligne des tests et promettent des réponses. On scrute les résultats comme des horoscopes, parfois avec la même fiabilité. Avec en prime l'impression 'que tout ça est scientifique'.
On a l'impression que l'ADN tient des réponses, mais en fait pas vraiment. En tout cas pas sous cette forme. Si certaines maladies peuvent être dépistées ou diagnostiquées par le biais de tests génétiques, cela nécessite plus qu'une version en ligne: une véritable consultation et une intégration d'informations propres au patient dans le choix d'un test par un spécialiste. Sans cela, scruter l'ADN peut tourner au gag de l'automobiliste qui lit son horoscope pour voir s'il aura un accident, au lieu de regarder la route. Comme le résume un journaliste avec ironie, 'J'étais génétiquement en grande forme, et je n'avais même pas été au fitness récemment!'.
Nos gènes ne sont pas non plus une version biologique de notre âme. Que ferai-je si mon ADN me promet une grande capacité de concentration et que je constate que je me laisse constamment zapper par tout ce qui bouge? Je passerai sans doute à autre chose...
Une autre manière de cerner son identité est de se situer dans sa famille. La réponse la plus 'simple' qu'apportera la génétique est de savoir...si mes parents biologiques sont ceux que je crois. Tout sauf simple, en fait. Car comment dire de ceux qui m'ont élevés qu'ils ne seraient 'pas mes parents'. Le même problème hante les tentatives de limiter le regroupement familial aux personnes génétiquement apparentées. Les gènes et les familles, ça ne se recoupe pas toujours.
Une variante de cette manière de voir l'identité est de décliner ses ancêtres. On est le fils ou la fille de quelqu'un, qui descend de quelqu'un, etc. Les généalogies bibliques ou celles des tribus de Somalie, d'Afghanistan, ou de certaines de nos villes, mettent ainsi en avant la même forme d'identité. Dans cette version, ne pas connaître sa lignée est un problème. A témoin, la large offre commerciale promettant aux descendants de la diaspora africaine de l'esclavage de retrouver la trace de leurs origines au cœur de leurs noyaux cellulaires. La génétique semble apporter une réponse, elle trouve donc vendeurs et acheteurs. Ce que ces sites ne mentionne pas, c'est qu'à raison de deux parents, quatre grand-parents et ainsi de suite, nous avons tous accumulé en 5 siècles (environ 20 générations) plus d'un million d'ancêtres. Voilà qui rend l'identification d'une région spécifique spéculative, et un peu illusoire.
Mais en même temps, ce phénomène révèle qu'il y a finalement quand même une réponse à notre question, à la fois minuscule et immense:
Génétiquement, vous êtes un membre de l'espèce homo sapiens, vous partagez des ancêtres avec la totalité de la population du globe, vos ancêtres ont probablement vécu sur plusieurs continents, certainement parlé une multitude de langues dont certaines existent encore aujourd'hui sans que vous soyez du tout capable de les comprendre.
Toutes les différences que regarde la génétique ne concernent de toute manière qu'une toute petite partie de nos génomes. C'est une des plus belles choses qui soit: scruter les résultats de la génétique humaine, c'est constater l'absence totale d'importance du tribalisme en termes biologiques. C'est aussi une des pires: voir à quel point l'idée est tenace et parfois meurtrière malgré tout. Mais là ce n'est plus de la génétique.
En bonus, vous êtes apparenté à toutes les formes de vie découvertes à ce jour. C'est finalement ça, la réponse à l'idée que la génétique irait de pair avec la 'culture individualiste' par le biais de la connaissance de soi. Aucune connaissance de soi en génétique sans voir émerger l'interconnexion de toute la vie.
Et oui bien sûr, il y a une troisième réponse: analyser mon génome permet de répondre à une foule de questions, mais pas vraiment à celle que je me posais au début.
Droit de vie et de mort?
Le débat sur la dépénalisation de l'euthanasie au Luxembourg est fascinant.
Figurez-vous que les députés ont voté oui, il y a quelques semaines déjà. Malgré cela la décision reste en suspens: le Grand-duc, qui doit normalement sanctionner les lois votées par le parlement, refuse de sanctionner celle-là. Du coup, le Premier ministre a lancé une réforme visant à réduire les pouvoirs du souverain.
Ici se joue bien plus qu'une affaire de désaccords personnels autour de ce qu'on a le droit de décider ou non en fin de vie. Bien plus aussi qu'une question de respect de l'intégrité personnelle du Grand-duc. Ce que nous avons le privilège d'observer est peut-être un des derniers débats ouverts autour d'une vieille question: à qui appartient notre vie?
Parmi les partisans de la décriminalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté, quand on se demande à qui appartient notre vie, on a en général toujours la même réponse. Notre vie nous appartient ... à nous.
Parmi les opposants, c'est beaucoup plus varié. Certains pensent en fait aussi que notre vie nous appartient à nous, mais pensent qu'il ne peut jamais être rationnel de vouloir s'en défaire par exemple.
Certains répondent aussi par la négative. Notre vie ne nous appartient pas, parce qu'elle n'appartient finalement à personne.
Mais au cours de l'histoire il y a eu deux autres versions, dont une ressurgit ces temps au Luxembourg. Dans la première, qui est la version religieuse, notre vie a appartenu à Dieu. Bon, admis, certains pensent encore ça aujourd'hui. Mais je ne vais pas en parler parce que c'est justement l'autre, celle qui nous intéresse là maintenant. Et selon celle-là notre vie appartient ... au souverain dont nous sommes les sujets.
Selon cette version, choisir de mourir est un vol. C'est priver le souverain d'un bien, qui est la vie de son sujet. Ceux qui ont accès à la version papier de la Revue Médicale Suisse peuvent aller trouver dans les archives un très bon article d'Alex Mauron sur la question (1997;55:617-8). Dans cette version, choisir de mourir est un crime relativement simple, qui sera aussi relativement simplement puni par le porte-feuille. On a longtemps ainsi confisqué les biens des suicidés au profit de têtes couronnées. Époque révolue.
Mais il se trouve que cette vision a des aspects tenaces. Vincent Humbert écrivant en France au président Chirac pour lui demander le 'droit de mourir' applique la logique de la grâce présidentielle, bien sûr, mais aussi celle de l'autorisation qu'on demande au souverain de disposer de son bien à lui. Il y a erreur sur la personne, bien sûr. Un président garant d'un état de droit comportant un interdit de l'euthanasie ne pouvait que dire non. Le président français n'est pas un roi et du coup n'a pas ce droit. Le malentendu était inévitable.
Dans une monarchie constitutionnelle, on ne peut vraiment plus dire non plus que le souverain possède la vie de ses sujets. Mais ça reste cela dit un lieu où ces logiques s'entrechoquent. Du coup, il n'est pas étonnant qu'un souverain refuse de sanctionner une loi décriminalisant l'euthanasie. S'il acceptait, cela pourrait être perçu comme un manquement à sa responsabilité de protection, ou même comme une abdication de son pouvoir sur ce que d'autres appellent justement une 'ultime liberté'. La démarche du Premier ministre n'a donc rien de disproportionné. Face à une logique monarchique compréhensible, mais qui s'oppose à une loi démocratiquement votée, il tente de lever la contradiction en excluant cette loi du champ de la logique monarchique. Et il n'est absolument pas surprenant que ce soit autour d'une loi sur l'euthanasie, conçue par certains comme un espace de liberté ultime, que se cristallise un débat constitutionnel sur l'étendue des pouvoirs d'un souverain.
Si je pouvais savoir ce que tu penses...
Et si je pouvais ajouter à mon portable une fonction qui me permette de savoir ce que pensent les personnes qui m'entourent? Heureusement, c'est de la science-fiction. Mais l'émission '60 minutes' évoquait tout récemment les progrès, et les questions bioéthiques, des technologies qui permettent peu à peu d'identifier ce que pense une personne. Bijou, caillou, genou, joujou, tout ça l'ordinateur relié à un appareil d'Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle le devine avec une fiabilité désarmante. En regardant quelles parties du cerveau 'travaillent' et comment, à un moment donné, et en comparant entre elles une multitudes de données semblables.
On parviendrait même à distinguer et situer des choses comme la bonté, l'hypocrisie, l'amour. Au secours! Voilà des trucs dont on a sans doute pas envie de se faire dire que c'est un état identifiable de notre cerveau (et pourtant comment cela ne le serait-il pas?). Et on est surtout pris d'un vertige à l'idée de ce qui pourrait advenir si chacun avait sur soi un appareil capable de voir tout ça.
Heureusement, pour le moment pour que ça marche un tant soit peu il faut se mettre dans une IRMf. C'est à dire dans une grosse machine qui fait du bruit. Impossible de faire ça à votre insu, donc. A moins de vous mettre sous narcose, ce qui fatalement changera ce que vous serez en train de penser. Mais on travaille déjà sur des technologies qui pourraient permettre de faire la même chose à une petite distance, insensiblement...
Angoissant? Décrit comme ça, sans doute. Mais minute: n'a-t-on pas déjà une technologie parfaitement opérationnelle dans laquelle les gens indiquent complètement volontairement à quoi ils pensent en temps parfois presque réel? Facebook, MySpace, Twitter et compagnie semblent mettre à mal l'idée que la vie privée serait si précieuse que ça. Sauf que pas vraiment. Quand un politicien dit dans une série télévisée 'permettez-moi d'être parfaitement honnête', on sait qu'il faut se méfier. Étendre l'interaction sociale au virtuel ne suffit pas à changer une donnée de base: plus on révèle 'tout', plus l'importance stratégique de ce que l'on révèle ou non grandit. Imaginez une seconde que tout lien internet permette à chacun de lire ce que vous pensez vraiment et il n'y aura sans doute plus que quelques enthousiastes invétérés en ligne.
Évidemment, la technologie qui permet d'identifier ce qu'on pense, plein de gens y sont intéressés. Sécurité, tribunaux, mais aussi marketing bien sûr. Imaginez qu'on puisse savoir si vous avez déjà été sur un lieu de crime, ou si vous détestiez votre vieille tante acariâtre et riche, ou si vous ne savez pas résister à un jingle qui aligne des mi bémols, au goût de la cerise, à un certain bruit de 'crunch' que fait cette sorte-là de biscuits...Il y a jusqu'aux parents qui pourraient vouloir savoir lequel de leurs enfants a bugné la voiture.
Et du coup c'est important de se rendre compte que pas mal de ce joli monde commet des erreurs. En réalité, ceci n'est pas (encore?) une science aussi exacte que les images ne semblent le sous-entendre. Un cancérologue a dit un jour qu'on savait guérir tous les cancers, pourvu que vous soyez une souris. Et bien ici, on sait identifier certaines de vos pensées, pourvu que vous pensiez le genre de chose qu'on a prévues, et que vous vous trouviez dans un laboratoire. Même si l'on voit déjà de la publicité pour des techniques (soit-disant 'sans biais') de détection de mensonge, mentir sur commande dans un laboratoire n'a pas grand chose à voir avec un mensonge 'pour de vrai', dont je pense qu'il sert réellement mon intérêt.
A ce stade, en fait, les applications pratiques sont pseudoscientifiques. Ça fait d'autant plus froid dans le dos quand on voit des personnes effectivement condamnées sur la foi d'un enregistrement de leur fonctionnement cérébral. Mais la beauté des images, et le terme de 'lire dans le cerveau' prêtent une crédibilité très -trop- importante même à des applications non démontrées. Du coup, on voit qu'il y a deux types de danger: que ça marche et l'usage qu'on pourrait en faire, mais aussi que ça ne marche pas et l'usage qu'on en ferait de toute manière.
A propos du rapport Leonetti
On a beaucoup parlé ces derniers temps en France du rapport Leonetti (un résumé se trouve ici), qui plaide contre "toute légalisation de l’ 'aide active à mourir' ou de 'l’exception d’euthanasie'" et pour "une meilleure application de la loi sur la fin de vie".
Si ce rapport a le grand mérite d'insister sur l'importance du développement des soins palliatifs, il commet (ou semble commettre?) à l'endroit de l'assistance au suicide et de l'euthanasie quelques confusions très répandues. Il offre donc un bon exemple pour les éclaircir.
Confusion N°1: légiférer sur l'euthanasie aurait pour conséquence que l'euthanasie serait pratiquée.
On sait que l'euthanasie est pratiquée tant dans les pays qui l'autorisent que dans ceux qui l'interdisent. En France dans les années 90, plus de 70% des intensivistes questionnés par un confrère admettaient qu'ils avaient parfois "délibérément administré un médicament pour hâter la mort d'un patient chez lequel il n'y avait pas d'espoir de retour à une vie sensée". C'était plus que leur collègues dans 11 autres pays, y compris la Hollande, la Belgique, et la Suisse. Vaut-il mieux légaliser l'euthanasie, donc admettre qu'elle puisse être justifiée, ou l'interdire, au risque de la voir pratiquée dans le silence? Lever cette première confusion ne permet pas de répondre à cette question. Mais le nécessaire souci des conséquences d'un acte législatif exige la clarté sur ce point.
Dans le meilleur des cas pourtant, légiférer sur l'euthanasie et l'assistance au suicide permet d'encadrer ces pratiques. Au passage, il est inexact que le tiers des patients assistés dans leur suicide en Suisse "ne sont pas atteintes d’une maladie grave et incurable". Ces personnes, qui n'étaient effectivement pas atteintes de maladies terminale, étaient atteintes de maladies comprenant entre autres des affections rhumatismales, des syndromes douloureux chroniques, ou encore des paralysies. On peut discuter des qualificatifs de 'grave' qui gardent toujours une part de subjectivité, mais la plupart souffraient bel et bien de maladies incurables, au sens où la médecine ne pouvait les en guérir. Il reste bien sûr possible de débattre de la justification morale de l'assistance au suicide dans de tels cas, mais la question est un peu différente. La Suisse est par ailleurs le pays le plus libéral du monde à l'endroit de l'assistance au suicide. Dans notre pays, l'assistance au suicide est légale (art. 115 Code Pénal Suisse) pour autant que trois conditions soient remplies. La personne qui souhaite mourir doit réaliser elle-même le geste fatal, et doit être capable de discernement. La personne qui accepte de l'assister ne doit pas avoir de motifs égoïstes. Et c'est tout. Si la France souhaitait une législation encadrant davantage la mort assistée, il y aurait donc une marge certaine.
Confusion N°2: autoriser l'euthanasie ou l'assistance au suicide génèrerait un droit opposable à l'obtenir, et donc l'imposition sociale d'un acte qui doit relever de la conscience individuelle.
Le rapport souligne que ce n'est pas à la société d'organiser le suicide assisté. Éviter à tout prix de faire de la mort assistée un droit opposable est un élément crucial. Le pluralisme moral sur ce sujet rendrait inacceptable toute imposition de pratiquer l'assistance au suicide ou l'euthanasie à une personne qui rejetterait ces actes. Mais, malgré certains commentaires, cela ne nous dit rien sur la justification morale d'autoriser ces actes 'entre personnes consentantes'. Tout au plus, cela doit nous rendre attentifs à un autre aspect qui devrait rentrer dans un éventuel cadre légal.
Confusion N°3: développer les soins palliatifs permettrait d'empêcher toutes les demandes de mort assistée.
C'est vrai dans beaucoup de cas. Si les avis sont partagés sur l'étendue de ce beaucoup, il y a par contre un grand consensus sur l'existence de (quelques? trop?) de cas où même des soins palliatifs bien conduits ne permettent pas de contrôler la souffrance suffisamment pour rendre la vie supportable à la personne qui la vit.
Confusion N°4: un environnement où l'euthanasie et le suicide assisté sont illégaux serait plus favorable au développement des soins palliatifs.
L'absence d'opposition entre les soins palliatifs et la mort assistée est un point qui a été souligné en Belgique, et également soulevé en France, dans une tribune où Véronique Fournier (directrice du Centre d'éthique clinique à l'hôpital Cochin, Paris) plaide également pour éviter de réduire la réalité des situations concrètes à des 'schémas simplistes'. C'est en effet cela qui, dans ces débats, est souvent le plus difficile.
Que faire une fois ces confusions levées? Avoir un débat sur des bases plus saines. Vu d'ici, celui sur les conclusions du rapport Leonetti semble largement encore à faire. Et après tout, il faut s'attendre à ce que ces débats durent longtemps et varient à travers les frontières: aucunes conclusions aux questions de la mort assistée ne sauraient être uniformes d'un pays à l'autre. Mais poser un instant ce que l'on a appelé "les oriflammes de la morale" pour aborder des questions difficiles -y compris dans leurs aspects gênants- c'est d'autant plus nécessaire que l'on estime la question importante.
Eliminer le VIH?
Voilà une résolution de nouvel an qui mérite le détour. Deux équipes de l'OMS ont publié un modèle qui (bon, d'après un modèle mathématique, mais tout de même) permettrait d'éradiquer presque entièrement le VIH.
Cela nécessiterait de tester chaque année toutes les personnes âgées de plus de 15 ans, et de mettre toutes celles dont le test serait positif sous traitement anti-rétroviral sans attendre qu'elles ne deviennent malades.
Pourquoi attend-on actuellement avant de traiter? Il y a plusieurs raisons. D'abords, on veut éviter les effets secondaires des médicaments chez des personnes qui n'ont après tout pas encore de symptômes. Mais les nouvelles combinaisons de médicaments sont nettement mieux tolérées, et il semblerait que les administrer précocement prolongerait l'espérance de vie des malades. Donc finalement, cette raison ne tient plus vraiment. Même si on ne tient compte que de l'intérêt individuel du malade. Si on tient en plus compte des risques pour d'autres, alors patatras: il semblerait qu'un traitement bien conduit et efficace, c'est-à-dire qui rend la virémie indétectable, élimine la transmission du virus. Raison de plus de traiter tôt, donc.
Il y a aussi pragmatiquement la question des coûts. Même si les possibilités matérielles de traiter le VIH ont considérablement augmenté ces dernières années avec l'augmentation des moyens financiers, la démonstration de l'efficacité de combinaisons génériques, et la levée de certains brevets pharmaceutiques dans les pays pauvres, il n'y a pas encore assez de moyens 'dans le pot' pour traiter toutes les personnes vivant avec le VIH. Un des mérites de l'étude de l'OMS est donc de prendre au sérieux les enjeux financiers. Ils montrent que leur stratégie serait effectivement coûteuse initialement (plus de 3 milliards de dollars par an, c'est-à-dire plus de 42 centimes par habitant du globe, ou un peu plus de 6 dollars par personne vivant en Europe ou en Amérique du Nord). Les coûts de cette stratégie et de ce que nous faisons actuellement commencent par contre de s'égaliser vers 2015, deviennent égaux en 2030, et la stratégie d'éradication devient la solution 'budget' après cela.
Reste un enjeu de taille. Tester toute la population devrait être une mesure plus ou moins obligatoire pour être efficace. Du coup, on sacrifierait une part de liberté individuelle pour un bénéfice collectif. Les conditions dans lesquelles c'est éthiquement admissible de faire ça sont une des discussions centrales de l'éthique dans la santé publique, et vous trouverez un commentaire récent ici. La version courte est qu'il faut de bonnes raisons, que ces raisons devront peser d'autant plus que l'on demande de faire quelque chose (prenez votre traitement!) plutôt que de s'abstenir (ne fumez pas dans les lieux publiques!), et que tout cela est d'autant plus légitime qu'une bonne surveillance est en place pour limiter les effets indésirables de la mesure. Au mieux, c'est d'une surveillance démocratique qu'il s'agit car ce qui compte est un mécanisme pour que les populations concernées puissent s'exprimer et être entendues. Ceci permettrait aussi d'écarter une part du risque qu'il y aurait à imposer une mesure sans être certains de ses effets, notamment de ses effets sociaux, et du risque que simplement imposer la mesure ne soit contreproductif. Ça semble vite dit, mais s'agissant de mettre en place un système permettant aux personnes concernées d'avoir (d'une manière ou d'une autre) voix au chapitre, le jeu pourrait en valoir la chandelle...
Le dernier souci que l'on peut évoquer est celui d'exposer par cette intervention des populations entières à la stigmatisation liée au VIH. C'est là aussi un souci qu'il faut prendre au sérieux. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il faille renoncer pour cette raison. Même s'il est dans la nature de la stigmatisation de s'estomper si un plus grand nombre de personne sont atteints, ou des personnes respectées (Nelson Mandela, qui a arboré un T-shirt avec l'inscription 'HIV positif' ne s'y est pas trompé), une part de toute intervention s'attaquant au VIH doit passer par le combat contre nos présupposés à l'encontre des malades. Mais ultimement, s'arrêter à cet obstacle, en reconnaissant la crainte de la stigmatisation plutôt que de tenter de la combattre, serait d'un pessimisme profond. Cela reviendrait à admettre que nous ne sommes moralement 'pas assez grands' pour surmonter un des grands problèmes de notre temps.