Quand le patient lève la main
Deux histoires pour en poser quelques contours.
La première date d’il y a un grand nombre d’années, dans un pays voisin où j’étais stagiaire, mais je serais étonnée qu’elle soit devenue impossible entre temps. Je traversais vite vite la cours de l’hôpital pour aller acheter un sandwich pendant une pause chroniquement trop courte après laquelle la journée serait encore très longue. Au milieu du parcours, je croise une jeune femme très enceinte, qui pleure à chaudes larmes en pleine rue. Avisant la blouse blanche que je portais encore, elle m’attrape par le bras avec la douceur qu’ont parfois les personnes profondément tristes. Entre ses larmes elle me demande presqu’à mi-voix: « docteur, ça veut dire quoi ‘position céphalique’ ? ». Cette femme sortait d’une échographie, et en tant que patiente elle avait levé la main. La réaction avait été cinglante. La question qu’elle me posait maintenant, elle l’avait posée quelques instants plus tôt, sans doute avec exactement les mêmes mots, au radiologue qui avait réalisé l’examen. Plutôt que de lui expliquer que ‘position céphalique’ signifie simplement que le bébé a la tête en bas, ce qui est strictement normal à ce stade de la grossesse, il lui avait dit apparemment assez sèchement de poser cette question à son gynécologue. D’où, panique. Pour qu’on refuse de m’expliquer, ça doit être vraiment grave. D’où, sortie en larmes dans la rue et nouvelle tentative auprès de, après tout, la première venue. Je n’oublierai jamais le sourire qu’elle a eu quand je lui ai traduit ces deux mots de jargon médical.
Cette histoire est choquante pour toute une série de raisons. Le médecin n’a pas pris même un minimum de temps pour expliquer à sa patiente l’essentiel des résultats d’un examen important pour elle. On était (gasp) avant la floraison d’internet qui a mis ce genre d’information à portée de doigts. C’était donc encore plus grave. Les termes de jargon qui ont paniqué cette femme n’étaient qui plus est même pas nécessaires. Parfois, pour s’exprimer en termes exactes dans un dossier médical on est obligés d’employer des mots qui ne sont pas dans le vocabulaire courant. Mais ici, rien de tel. Dire ‘le bébé a la tête en bas’ transmet la même information. Pour en rajouter une couche, il s’agissait d’un pays où les études de médecine sont payées par l’état. En tant que médecin dans un tel système, on n’a jamais le droit d’oublier que ce sont nos patients, et leurs familles, qui ont payé pour nous mettre là où nous sommes maintenant. Avec une question simple et parfaitement raisonnable, cette femme s’était trouvée face à un mur.
La seconde histoire est aux antipodes. Ici c’est l’histoire d’un patient qui n’a pas eu à lever la main, que l’on a consulté malgré des obstacles apparents. C’est la mère d’un ‘enfant’ handicapé mental, majeur depuis longtemps mais encore sous son autorité parentale, qui me la raconte. Son fils a été hospitalisé dans un état critique. Un état grave au point que l’on se posait la question des limites de l’acharnement thérapeutique. Les interventions pouvant lui sauver la vie pouvaient aussi s’avérer un simple fardeau pour lui sans issue favorable, pourraient lui faire plus de mal que de bien. Un abime que cette question. Le médecin qui avait accueilli cette mère et son enfant avait alors proposé ce qui lui paraissait, à elle, impossible : demander l’avis de son fils. Ou du moins essayer, voir ce qu’il était capable de dire de ses propres priorités. Pas pour lui laisser cette décision, évidemment, car il aurait été incapable d’en comprendre tous les enjeux. Mais pour tenir compte de ce qui lui importait le plus. Et devant sa mère stupéfaite, son fils avait été capable de s’exprimer. Elle a tenu à me la raconter, cette histoire, pour me dire sa reconnaissance envers le médecin qui avait ainsi élargi à ses yeux ce dont son fils était capable.
Entre ces deux histoires, que de variantes. Dire son avis dans ses propres soins de santé, ce n’est pas toujours nécessaire car il arrive bien entendu qu’on soit tout simplement d’accord entre patients et professionnels. Mais dire son avis lorsqu’on le souhaite, cela devrait être une évidence. Que cela reste parfois difficile est préoccupant. Car même si ces deux histoires sont séparées par une vingtaine d’années et une frontière nationale, elles sont toutes deux vraies. Laquelle est plus représentative ? Sans doute ni l’une ni l’autre, car elles sont aux extrêmes en quelques sortes. Mais lever la main comme patient, est-ce de nos jours plutôt facile ou difficile? Plutôt utile ou plutôt frustrant? Vous, quelle est votre expérience ?
Mes collègues: secret professionnel en prison
"la relation soignant – soigné ne peut se construire sans confiance. Si le patient doute de la confidentialité de ses propos et des données sur sa santé, il se gardera de dévoiler des informations, pourtant indispensables pour le diagnostic ou le suivi de son traitement. Le thérapeute n’est alors plus en mesure d’exercer son art et son intervention perd en efficacité, voire devient inutile. L’obligation d’information qui serait imposée aux soignants ne peut en aucun cas être considérée comme faisant partie de leur profession. Au contraire, elle constitue une entrave intolérable à son exercice et les empêche de remplir leur tâche de préparer les détenus à sortir de prison avec un degré moindre de dangerosité. Il n’y a rien de candide dans cette démarche, puisqu’il est dans l’intérêt de tous que la prison permette de prévenir les risques de récidives"
En prison, on peut comprendre que le secret professionnel semble n'aller avec rien. Mais c'est comme les gilets réfléchissants: n'oublions pas que c'est, ici aussi, une mesure de sécurité...
Procréation médicalement assistée: quelques clarifications
Cette personne est quelqu'un d'intelligent que j'apprécie beaucoup, mais c'est important de comprendre à quel point cette position est fausse. C'est important parce que c'est une erreur très répandue. C'est peut-être même en partie pour ce genre de raisons que le don d'ovocytes est interdit dans notre pays. Alors attention, me direz-vous, nous avons tous le droit d'avoir notre opinion n'est-ce pas? Oui, nous avons tous le droit d'avoir notre opinion. Mais nous ne pouvons pas avoir nos propres faits. Comme le disait un commentateur américain il y a quelques temps "nous vivons dans un pays qui garantit votre liberté d'exprimer ce que vous pensez, mais ce pays ne garantit pas que ce que vous dites est vrai". Pour comprendre l'histoire du don d'ovocytes, voilà ce qu'il faut avoir compris :
1) Les ovocytes peuvent être soit fécondés soit pas fécondés. La critique que formulait mon ami s'adressait au don d'ovocytes fécondés. Quand ils ne le sont pas, personne ne songerait à leur accorder les mêmes droits qu'à des personnes. Quand on parle de don d'ovocytes, on ne parle que d'ovocytes pas fécondés.
2) Lorsque les ovocytes sont fécondés, ils commencent par contenir deux noyaux des deux gamètes d'origines: celui de l'ovocyte lui-même et celui du spermatozoïde. La loi suisse autorise la congélation des ovocytes avant la fusion des noyaux. A ce stade, il n'y a pas eu de 'nouveau génome'. Pourquoi c'est important? Certains situent la survenue d'une personne avec des droits moraux au moment où ce nouveau génome existe. Là, on peut être d'accord ou pas d'accord. Mais pour savoir de quoi parlent ces personnes, ou si on est l'une d'elles, il faut savoir quand ce nouveau génome existe. Ce n'est pas lors de la fécondation de l'ovocyte, c'est en fait quelques temps après. Que cette fusion ait ou non eu lieu, cela dit, on a désormais un ovocyte fécondé: il n'est plus concerné par le don d'ovocytes.
C'est difficile de défendre l'idée qu'il y aurait un danger pour la 'dignité humaine' du simple fait de donner des ovocytes -pas fécondés- quand on a compris cela.
Est-ce que cela veut dire que les personnes inquiètes ont tort? Pas nécessairement. La possibilité du don d'ovocytes, si elle est mal encadrée, donne lieu à des risques d'exploitation des donneuses très réels. Mais ce ne sont pas les ovocytes eux-mêmes qui sont 'menacés'. Ce sont les femmes chez qui on les prélève, parfois dans des conditions qui ne respectent pas leurs droits à elles. Il y a donc bel et bien des dangers concrets pour la dignité de personnes qui sont clairement des personnes.
Mais justement: en autorisant la pratique du egg sharing, on autorise le partage par des femmes consentantes d'ovocytes qui ont été prélevés à l'origine pour elles et dont elles n'ont plus besoin. On parle de demander son consentement à une femme qui a eu recours à la PMA pour avoir elle-même un ou plusieurs enfants. Lorsqu'elle sait qu'elle ne voudra plus de nouvelles tentatives, s'il reste des ovocytes non fécondés, on lui donne la possibilité d'en faire don à un autre couple pour qu'ils puissent à leur tour tenter de mettre en route un enfant. Il n'y a pas de transaction financière, et il n'y a pas non plus de possibilité de procéder au prélèvement uniquement dans le but du don. En autorisant cette possibilité, on diminue le nombre de couples qui auront recours à un 'don' d'ovocytes contre de l'argent dans un pays étranger, donc potentiellement dans une situation où l'encadrement sera souvent insuffisant.
Alors, le risque pour la dignité humaine, là-dedans? Plutôt si on autorise? Plutôt si on interdit?
Procréation médicalement assistée: quelques données
Cela tombe donc particulièrement bien que l'Office Fédéral de la Statistique nous livre des données sur la pratique de la procréation médicalement assistée si rapidement après la nouvelle prise de position de la Commission Nationale d'Ethique. Voici leur résumé:
"En 2012, 6321 couples ont suivi un traitement de procréation médicalement assistée contre 6343 l'année précédente. 10'821 cycles de traitements ont été initiés, soit légèrement plus qu'en 2011. Le traitement a abouti à une grossesse chez plus d'un tiers des femmes traitées et a permis la naissance d'environ 2000 enfants. Près d'un accouchement sur cinq comptait plusieurs enfants. L'infertilité masculine reste l'indication la plus fréquente."
Si l'on creuse les chiffres (ils sont disponibles ici), que trouve-t-on?
Les données concernent des femmes. C'est un peu provocateur, de présenter la chose comme ça. Après tout, un traitement de la stérilité concerne habituellement un couple. Le fait que les données soient présentées par 'femmes traitées', cependant, est révélateur. Les fardeaux physiques de la PMA sont surtout (pas seulement mais surtout) féminins. On en a en général conscience. Une conséquence directe est cependant que les limites de la PMA limiteront surtout (pas seulement mais surtout) les choix des femmes. C'est intéressant de s'en rappeler lors des discussions publiques sur ces technologies.
En même temps, l'indication la plus fréquente est la stérilité masculine. La PMA, ce n'est donc pas pour autant une 'affaire de femmes' exclusivement.
Le traitement aboutit à une grossesse dans environ 35% des cas, et environ 75% des grossesses aboutissent à une naissance. C'est à la fois beaucoup et peu, ça. Faire un enfant sans assistance médicale, après tout, cela abouti à une grossesse dans environ un tiers des cas pour un mois à la période la plus fertile et environ 20% de ces grossesses n'arrivent pas au bout. Pour un certain nombre, la femme ne se rendra en fait même pas compte qu'elle était enceinte. Pour de nombreuses personnes, cela dit, 35% c'est sans doute nettement moins que ce qu'elles se seraient imaginé. Ce chiffre signifie que la majorité des personnes ayant recours à la PMA devront renoncer sans avoir eu d'enfant.
Ce chiffre signifie aussi cela dit qu'environ 2000 enfants naissent chaque année en Suisse par PMA. Cela représente donc environ 2.5% des naissances. C'est beaucoup. En même temps, nous sommes aussi très loin d'un scénario où ce serait devenu le modèle dominant.
Chaque année, on collecte environ 7000 ovocytes de plus par rapport à ceux qui sont mis en fécondation. Ce chiffre est intéressant. En Suisse, la Constitution stipule à l'article 119 que "ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules humains pouvant être immédiatement implantés" et la Loi sur la Procréation Médicalement Assistée précise à l'article 17 que "Ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules imprégnés nécessaire pour induire une grossesse durant un cycle de la femme; ce nombre ne peut être supérieur à trois." et à l'article 4 que "Le don d'ovules et d'embryons ainsi que la maternité de substitution sont interdits."
Qu'est-ce que cela veut dire? Si on prélève chez une femme ayant recours à la stimulation pour une PMA plus d'ovocytes que ce qui est nécessaire pour son cycle, que peut-on en faire? On peut les congeler pour un cycle ultérieur de cette femme. On peut les imprégner et les congeler sans les laisser arriver au stade d'embryon, à nouveau pour un cycle ultérieur de cette femme. Ou on peut les détruire. On ne peut en aucun cas les donner à un autre couple. Qui protège-t-on ainsi? Mystère. Le prélèvement d'ovocytes explicitement en vue d'un don est une pratique qui comporte des risques éthiques importants, mais ici la situation est très différente. Si on autorisait le don d'ovocytes surnuméraires, le egg sharing, combien d'ovocytes seraient disponible pour le don? Les statistiques présentées ici ne permettent pas de le savoir. Sur ces 7000 ovocytes, un certain nombre est certainement éliminé en raison de problèmes techniques ou de mauvaise viabilité cellulaire. Un certain nombre pourrait être utilisé plus tard par la même femme. Et ces chiffres ne sont pas connus. Si vous lisez cela et que vous faites de la PMA, peut-être pouvez-vous nous mettre un commentaire? Un certain nombre d'ovocytes serait cependant plausiblement disponible pour le egg sharing, si cette pratique était autorisée.
Bien sûr, ces chiffres restent très techniques. Il y aurait aussi évidemment tout un paysage d'informations sur l'expérience des couples ayant recours à la PMA, pour différentes raisons, à différents stades de vie, et selon qu'ils parviennent finalement à avoir un (ou des) enfant(s) ou non.
Mais c'est déjà un bon début, non? Qu'en pensez-vous?
Secret médical et dangerosité
A quoi sert le secret médical? D'habitude on est tellement d'accord que c'est une valeur importante qu'on oublie de se poser cette question. Le secret médical est déjà inclus dans le serment d'Hippocrates, présent donc aux racines de la médecine qui était pourtant pratiquée alors dans un monde passablement différent du notre. A quoi, donc, sert le secret médical? Il sert à protéger la sphère privée, notre contrôle sur ce qui transparait sur nous. Ce n'est pas tout. Il sert à permettre la confiance entre une personne malade, qui doit se confier à un médecin, et son thérapeute. Sans lui, trop d'informations seraient inaccessibles. On ne dit certaines choses aux médecins que parce que le secret est promis, et de manière crédible. Le secret médical sert du coup aussi à permettre dans certains cas que la consultation ait lieu. Pour certains problèmes, sans secret médical, on ne consulterait simplement pas. Il sert donc à protéger la collectivité, et non pas seulement l'individu. Il la protège même deux fois. En permettant l'exercice de la médecine (rien que ça!) et en permettant le contrôle des maladies contagieuses et le traitement plus généralement des maladies stigmatisées.
L'importance du secret professionnel (l'article 321 du code pénal, dans lequel il est inscrit, concerne les médecins mais pas seulement) est reconnue. Elle a cela dit aussi des limites. Comme son importance est reconnue, ses limites sont clairement encadrées. On a par exemple le droit, devant un danger grave et imminent pour une personne identifiée, d'alerter les personnes susceptibles d'écarter ce danger. Si vous êtes psychiatre et qu'un de vos patients claque la porte de votre cabinet en menaçant de tuer sa femme, et que vous le croyez, vous avez bien sûr le droit d'appeler la police et l'épouse en question.
Alors maintenant, la dangerosité: on l'aura compris, la question n'est pas de savoir si l'on pourrait 'supprimer' le secret médical pour 'protéger la société' en permettant l'évaluation de la dangerosité. Le secret professionnel sert entre autres à protéger la collectivité, qui encourerait des risques si on le supprimait. Il a déjà des exceptions, dans des cas strictement encadrés. La question est donc de savoir si l'évaluation de la dangerosité nécessite un élargissement des exceptions existantes, et si elle le justifierait. La question centrale est donc en fait: qui doit avoir accès à quelles informations pour permettre une évaluation aussi fondée que possible de la dangerosité d'un détenu.
Mais que voilà une question difficile. Elle est d'autant plus difficile qu'une évaluation exacte et sans possibilité d'erreur n'est pas possible. Dans la suite d'une histoire comme celle du meurtre d'Adeline, on aimerait en plus tellement pouvoir garantir la sécurité. Mais au fond que voudrait dire 'garantir'? Quelque part, il va falloir admettre qu'un certain risque, bas, d'accord, même très bas, toujours d'accord, mais non nul, est acceptable. Si on ne l'admet pas, si on souhaite enfermer toutes les personnes comportant le moindre danger pour autrui, alors on transformera la planète en prison.
Que faire alors dans les cas de détenus atteints de pathologies psychiatriques? Confier l'évaluation de la dangerosité au psychiatre? Au juge? Sur quelles bases? Dans quels cas? La réponse est loin d'être simple.
C'est peut-être aussi l'occasion de se rappeler qu'un bonne réponse n'a pas besoin d'être un simple oui ou non. En médecine carcérale, lorsqu'un détenu est contagieux les soignants avertissent les gardiens des précautions à prendre sans leur révéler le diagnostic. Les gardiens, quant à eux, avertissent les soignants des mesures de sécurité nécessaires avec les détenus dangereux sans leur révéler leurs antécédents criminels. Si les rôles des uns et des autres sont clairs, protéger sans tout dire en fait c'est possible...
Recommandations de la Commission Nationale d'Ethique sur la PMA: première lecture
En guise de résumé des conclusions, et sans doute un peu de table des matières de commentaires à venir, voici les recommandations présentées en fin de document:
1. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du DPI": c'est le diagnostic préimplantatoire, un sujet dont nous avons déjà parlé ici, ainsi qu'ici, et puis aussi ici, ici et ici. L'autorisation du diagnostic préimplantatoire a entre temps été acceptée par le Conseil national, et maintenant également par la Commission de la science de l'éducation et de la culture du Conseil des Etats. Un point attendu, donc, raisonnable, encadré dans le projet de loi en discussion de manière plutôt prudente.
2. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation de la détection des aneuploïdies": c'est une recommandation d'étendre le champ des analyses génétiques qui seraient autorisées par le projet de loi actuellement en discussion.
3. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du typage HLA": ici c'est la possibilité de donner naissance, exprès, à un enfant qui serait non seulement exempt d'une maladie grave qui aurait frappé un frère ou une soeur, mais également compatible avec l'aîné et donc susceptible d'être le donneur dans une greffe de cellules du cordon ombilical. Nous en avions également parlé ici.
4. "La CNE unanime recommande l'autorisation du don de sperme pour les couples hétérosexuels non mariés": c'est proposer que l'on cesse de réserver la procréation médicalement assistée aux familles traditionnelles, alors que l'on admet par ailleurs qu'un couple non marié peut tout aussi bien être le socle d'une famille.
5. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du don de sperme pour les couples de même sexe et les personnes seules": c'est aller plus loin mais dans la même direction que la recommandation précédente. Il est à prévoir que ce sera plus controversé, car la reconnaissance de ces familles en tant que telles est plus fragile. Moins légitime? Ce n'est pas sûr.
6. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du don d'ovule et du don d'embryon": ce point nous y reviendront. Mais il est important de comprendre qu'il a deux composantes au moins. D'une part, il concerne la possibilité de donner des ovules déjà prélevés, des embryons déjà fécondés. Lors d'une procréation médicalement assistée, il arrive qu'un couple complète son projet parental avant d'avoir eu recours à chaque ovule et chaque embryon préparé pour cela. Dès lors, qu'en faire? La loi actuelle impose en Suisse un choix entre la destruction et le don pour la recherche sur les cellules souches. L'autorisation du don d'ovules et d'embryons ajouterait à ce choix une troisième option: en faire don à un couple qui souhaite avoir recours à la PMA. La seconde composante consisterait à autoriser le prélèvement d'ovocytes dans le but du don. C'est évidemment une situation entièrement différente. Cette seconde situation nécessite que l'on se penche sur les risques liés à la marchandisation des ovocytes. Mais c'est un enjeu délicat car ce genre de risque existe avec une autorisation mal encadrée, mais aussi avec une interdiction. Nous y reviendrons...
7. "La majorité de la CNE estime que la maternité de substitution peut être acceptée sur le principe, mais émet des doutes quant à la possibilité d'un encadrement acceotable assurant la protection adéquate de toutes les personnes concernées, vu les dangers de commercialisation de cette pratique". La recommandation est donc de ne pas autoriser la maternité de substitution.
8. "La CNE recommande unanimement que soit garanti l’accueil et un statut juridique sûr pour les enfants nés par le biais d’une maternité de substitution à l’étranger et qui se voient refuser l’autorisation d’entrée en Suisse, pour éviter des conséquences préjudiciables pour l’enfant."
9. "La majorité de la CNE se félicite du projet de loi concernant la levée de l’interdiction de la cryoconservation des embryons et plaide pour la levée de toute détermination d’un nombre maximal d’embryons pouvant être développés, comme condition pour permettre d’améliorer les possibilités d’Elective Single Embryo Transfer, en conformité avec les bonnes pratiques médicales : réduction de la probabilité de grossesses multiples et des risques inhérents, et amélioration de l’efficacité des méthodes de PMA"
10. "La CNE recommande unanimement la création d’un registre des enfants nés par PMA (follow-up)."
11. "La CNE attire unanimement l’attention sur l’importance que les dispositions légales tiennent compte des bonnes pratiques médicales": une toute petite recommandation, mais elle est bien sûr importante et il est révélateur qu'elle soit nécessaire.
12. "La CNE demande une adaptation du droit de la filiation, afin de mettre en oeuvre ses recommandations."
13. "La CNE attire l’attention sur les évolutions préoccupantes actuelles de commercialisation, particulièrement dans ce domaine"
Comme je vous le disais, il y a là de quoi faire plusieurs billets. L'essentiel de ces recommandations, pourtant, se laisse résumer en un fil conducteur très bien décrit par Jean Martin cette semaine:
"Souvenons-nous que les décisions dont nous parlons touchent la vie très privée, intime, de familles. A mon sens, la légitimité d’interventions intrusives de l’Etat est ici limitée à s’assurer qu’on ne nuit pas gravement à autrui et, le cas échéant, au respect de l’ordre public. Et il n’est pas possible de dire que l’ordre public est menacé parce qu’un couple entend bénéficier dans son propre pays d’une technique biomédicale mise en œuvre impeccablement en Belgique ou en France.(...) que ceux qui sont à «l’extérieur», et notamment les pouvoirs publics, se gardent de lancer des anathèmes moraux avant d’avoir considéré sereinement les situations."
Billet d'invité: Born this way (hommage à Lady Gaga)
Merci une fois de plus à Alex Mauron, qui nous refait un billet d'invité. Cette fois c'est un sujet qui revient à l'actualité et qui a vraiment besoin d'éclaircissements:
La question des causes biologiques de l’homosexualité suscite
une fascination durable chez beaucoup de gens, surtout parmi nos
concitoyens à la haute stature morale qui, comme disait Mencken, sont
hantés par la crainte que quelqu’un, quelque part, pourrait avoir du
plaisir. Il est donc logique que la controverse du « gène gay »
réapparaisse régulièrement dans l’actualité. La dernière itération en
est l’opération de relations publiques menée il y a quelques jours par
des chercheurs de Chicago autour de travaux sur la corrélation entre
l’homosexualité masculine et certaines régions des chromosomes 8 et X. Ces résultats, présentés dans le congrès annuel 2012 de l’American Society of Human Genetics, ne sont toujours pas parus dans un journal scientifique à peer review. Qu’à cela ne tienne, ont dû se dire les chercheurs, qui ont participé à une manifestation de vulgarisation scientifique opportunément agendée pour la Saint-Valentin et calibrée pour susciter le buzz médiatique. Et buzz il y eut. Le Daily Mail du 14 février titre: « Etre gay, c’est dans vos gènes, affirment des scientifiques dans une nouvelle étude sur l’ADN », qui ajoute doctement que « cela renforce l’idée que l’homosexualité est affaire de biologie et non de choix ». Vous penserez peut-être que ce sont les journalistes incultes qui simplifient tout abusivement. Alors voyons ce que déclare au Daily Mail l’investigateur principal de l’étude, le psychologue Michael Bailey de la Northwestern University : « L’orientation sexuelle n’a rien à voir avec un choix. Nos résultats montrent que les gènes entrent en jeu puisque deux groupes de gènes influencent le fait qu’un homme est hétéro ou gay. » Il s’empresse d’ajouter que le développement d’un test prénatal sera difficile vu le nombre de gènes impliqués (nous voilà rassurés. Ou bien ?).
En fait, le gène gay, c’est une vieille histoire. En 1993, Dean Hamer publiait des résultats impliquant déjà la même région du chromosome X dans l’orientation sexuelle masculine. A l’époque, ces données tombaient en plein dans une controverse politico-morale. Pour la droite conservatrice, l’idée que l’homosexualité soit génétique, c’est-à-dire inévitable, était trop affreuse pour être vraie car cela démentait la croyance selon laquelle l’homosexualité est un style de vie immoral et exonérait les gays de toute culpabilité, sans compter qu’elle ôtait leur plausibilité aux « thérapies de conversion » censées changer l’orientation sexuelle vers la normalité hétéro et qui persistent à être prônées aujourd’hui dans les milieux chrétiens fondamentalistes. A l’inverse, les mouvements américains de défense des gays ont souvent embrassé la théorie du déterminisme génétique de l’homosexualité masculine, car elle place la discrimination homophobe dans le même registre que la discrimination raciale : il s’agirait dans les deux cas d’un traitement injustement différent des personnes sur la base d’une caractéristique biologique qui ne relève manifestement pas d’un choix de l’individu concerné. Avec du recul, ce choix tactique apparaît assez malheureux, car le fait de désigner l’homosexualité comme une fatalité biologique complique peut-être sa condamnation morale mais cela n’exclut absolument pas de la traiter comme une pathologie. Or qui dit pathologie dit thérapie et/ou prévention. Du même coup, on retombe sur les funestes pratiques d’évitement de l’homosexualité par des parodies de psychothérapie, voire le dépistage génétique prénatal… mais ce dernier est heureusement une chimère.
Il est frappant de voir comme la réception sociale de ce genre de recherches en génétique comportementale humaine est complètement surdéterminée par des positions idéologiques, d’ailleurs souvent contradictoires : sur le « gène gay », les défenseurs de droits des gays étaient pour, la droite religieuse était contre. Mais rappelez-vous les controverses plus anciennes sur l’hérédité de l’intelligence: la droite était pour (il faut bien que les riches puissent croire que leurs talents innés expliquent leur bonne fortune), la gauche était contre (si la nature humaine est trop contrainte par des déterminations biologiques, comment changer la société ?). Souvent les chercheurs concernés lèvent les bras au ciel en clamant qu’ils ont été mal compris, mais ce sont parfois les premiers à se faire mousser en suggérant ces interprétations génératrices de grands frissons. Comme si ce domaine de recherche se devait absolument de fournir des résultats soit spectaculaires, soit terrifiants. Ou les deux, c’est encore mieux.
Cette surdétermination de controverses scientifiques sur l’hérédité par des agendas politiques est une constante, y compris parmi certains scientifiques, comme l’illustre une brève histoire des idées en matière d’hérédité de l’homosexualité (un peu ancienne mais encore utile) qu’on trouve ici. Essayons donc de mettre entre parenthèses ces implications politiques supposées et de décortiquer l’état de la question: alors, l’homosexualité, c’est les gènes ou c’est l’environnement ? Les deux, mon général, et on peut conclure sans risque de se tromper que l’orientation sexuelle dépend à la fois de la génétique et de ce machin polymorphe appelé « environnement ». Depuis les années cinquante du siècle dernier, des études sur les jumeaux ont mis en évidence la probabilité accrue pour le frère jumeau monozygote d’un homosexuel de l’être aussi. Mais ces recherches étaient entachées de problèmes méthodologiques, liés entres autres au présupposé discutable que l’hétérosexualité représente l’option « par défaut » de l’orientation sexuelle. Néanmoins les études de jumeaux les plus récentes semblent nettement plus solides et confirment l’existence d’une composante génétique relativement importante dans l’orientation sexuelle, du moins chez les hommes (revue et références ici), l’homosexualité féminine étant probablement assez fondamentalement différente. L’héritabilité de l’homosexualité masculine se situe dans une fourchette de 39 à 48%, ce qui veut dire que dans les populations étudiées, environ 40% des différences d’orientation sexuelle sont explicables par des différences génétiques.
Trouvaille spectaculaire ? Pas vraiment, et cela pour de nombreuses raisons. D’abord, l’héritabilité est un concept populationnel, qui ne permet pas de tirer des conclusions sur les individus. L’héritabilité mesure la corrélation entre la diversité d’un phénotype (c’est-à-dire d’une certaine caractéristique des individus, en l’occurrence l’orientation sexuelle) et la diversité génétique de la population. L’héritabilité d’un phénotype peut changer si la composition génétique de la population change, ou que des variables environnementales pertinentes changent aussi. Le cas classique, c’est l’héritabilité de la taille. Dans les populations non précarisées des pays riches, la taille des enfants devenus adultes ressemble beaucoup à celle de leurs parents; l’héritabilité est très élevée, de l’ordre de 80%. Est-ce à dire qu’un mécanisme génétique inflexible détermine la croissance des enfants de façon prépondérante, ne laissant qu’un rôle tout à fait mineur à l’environnement et en particulier l’alimentation ? Évidemment non, et pour s’en convaincre il suffit de considérer l’héritabilité de la taille à d’autres époques ou chez des populations moins prospères d’aujourd’hui, qui est nettement moindre. Une explication plausible est que chez nous, la grande majorité des enfants ont une alimentation suffisante – voire plus - et sans carences majeures. Du même coup, la variable « nutrition » n’est plus tellement variable justement; et comme elle est fixée à un niveau relativement optimal, les différences de taille vont surtout refléter la variabilité génétique, à savoir des différences dans les propensions génétiques à être plus ou moins grand. Puisque la variabilité de l’environnement est faible, les effets de la diversité génétique sont plus marqués. Le fait que la taille donne l’impression d’être essentiellement génétique plutôt qu’environnementale est en fait dû… à l’environnement! Il y a encore d’autres raisons qui rendent l’estimation et l’interprétation de l’héritabilité chez l’être humain particulièrement compliquée comme expliqué dans cet article (pour les geeks).
Revenons à l’héritabilité de l’orientation sexuelle. Qu’un homme soit gay ou hétéro, ça n’a pas de sens de dire que les gènes y sont pour 40% et tout le reste pour 60%. Ça n’a pas non plus de sens de dire que l’orientation sexuelle masculine est à 40% fixée une fois pour toutes (« innée ») et à 60% malléable en fonction de facteurs extérieurs à la personne considérée et sur lesquelles on pourrait en principe intervenir (« aquise »). On touche ici du doigt le malentendu le plus fondamental et qui plombe pratiquement toutes ces controverses. C’est l’erreur qui consiste à plaquer sur la distinction hérédité/environnement une notion d’inévitabilité ou au contraire de changement possible. Car il y a un raccourci fautif dans l’air du temps selon lequel si c’est les gènes, on n’y peut rien, si par contre c’est l’environnement, on peut intervenir (de quelle manière est une autre question). Or pour des traits humains complexes, sous la dépendance simultanée de plusieurs gènes et de facteurs environnementaux, l’héritabilité ne permet de tirer aucune conclusion a priori sur l’efficacité d’interventions extérieures. La notion de fatalité génétique, qui hélas est souvent proche de la vérité pour les maladies génétiques mendéliennes dont s’occupe la génétique médicale, n’est pas pertinente ici.
Ce contresens une fois identifié, on voit que les controverses politico-morales que nous évoquions sont bâties sur le sable. On croit parler de biologie alors qu’en fait on parle de déterminisme et de libre arbitre, ainsi que de pratiques sociales et culturelles modelant les comportements de façon plus ou moins impérieuse; et on oublie souvent que les conditionnements éducatifs et sociaux peuvent être aussi contraignants que les gènes. Enfin, il y a ce bon vieux paralogisme naturaliste qui pointe le bout de son nez et nous fait oublier qu’on ne peut pas benoîtement tirer des conclusions normatives des schémas descriptifs et explicatifs que fournissent la biologie, la psychologie et les sciences sociales. Le faux débat sur l’homosexualité faute ou pathologie s’est bien estompé, du moins dans le monde occidental et cela ni à cause, ni malgré les résultats de ces recherches. Et si la persécution des homosexuels est encore si répandue, voire en progrès dans de nombreuses régions du monde, cela n’est pas affaire de science, mais bien d’obscurantisme moral et de bourrage de crâne à visées politiques (signez ici).
Homosexualité et génétique : des conclusions à l’eau tiède, semble-t-il. Alors, la génétique des comportements humains, c’est du pipeau ? En fait, il y a de vraies questions et des questions vraiment profondes, même si elles sont moins sexy. Car on doit se demander comment le développement humain et les comportements résultent de cette imbrication intime de la génétique avec la foultitude de causes de toute nature que le terme « environnement » résume de façon bien imparfaite : le milieu utérin, la nutrition, les interactions enfant-parents et les câlins reçus ou absents, l’éducation, la socialisation, les péripéties de toute nature qui jalonnent une biographie… Question massivement complexe mais non insoluble et sur laquelle un nouveau venu ouvre des perspectives décoiffantes : l’épigénétique. La découverte que le génome est affublé de post-it moléculaires qui marquent durablement certains gènes pour en limiter l’expression change la donne de façon assez spectaculaire. En effet, la mise en place de ces post-it - des marqueurs épigénétiques - semble répondre à des stimuli environnementaux, voire même à des comportements. Les travaux initiaux de Meaney et Szyf à Montréal avaient montré que le comportement maternant ou distrait des rattes induisaient chez leurs petits des attitudes caractéristiques durables touchan à la réaction au stress et que des modifications épigénétiques de l’ADN étaient en cause. L’idée que le matériel génétique n’est pas seulement porteur de l’hérédité classique, mais que par le biais des marqueurs épigénétiques, il forme un nouveau lien causal entre des facteurs environnementaux et des modifications à long terme au niveau neurologique, hormonal, et comportemental est un bouleversement conceptuel dont on ne voit pas vraiment toutes les implications à ce jour. Un nouveau domaine de recherches en plein essor. Et le jour où il se confirmera que certaines de ces modifications épigénétiques sont héritables à travers les générations d’individus, alors les anciens comme votre serviteur qui ont étudié la biologie dans les années 70 et 80 risquent l’infarctus, car cela voudrait dire qu’il y a transmission héréditaire de caractère acquis. Tout ça est encore largement incertain, mais qui sait… Les dogmes, plus ils sont imposants, plus ils font de bruit en tombant.