Les obstacles au bloguage ne viennent jamais seuls. C'est un proverbe qui attend juste d'être inventé, je sens. Alors comme vous êtes assez sympas pour continuer de passer par ici même quand je suis prise ailleurs par l'existence, le moins que je puisse faire est de vous donner quelque chose en attendant. La vidéo qui ouvre ce message est intitulée '10 choses que vous ne saviez pas sur l'orgasme'. Cliquez sur l'image, ou alors allez la voir ici. Je dois avouer que j'attendais depuis un certain temps d'avoir une bonne raison de vous la montrer. Voilà qui est trouvé! Il y est question, faut-il le préciser, de vraie science. Mais de celle qui est, disons, plus rarement évoquée aux cours de biologie du secondaire.
Le lien avec la bioéthique? Plein! Mais c'est vraiment pas le plus intéressant. Regardez, vous verrez.
Pour vous faire patienter...
Combien ça coûte, quelqu'un?
Partout, l'esclavage est illégal.
Mais une des informations qui circule trop peu est que, partout, l'esclavage existe quand même.
Non, ooops, pas tout à fait, soyons exacte: si vous vivez en Islande ou au Groenland, il semble qu'il n'y ait pas d'esclaves dans votre pays.
Mais partout ailleurs, oui.
Partout ailleurs, un nombre variable de personnes sont forcées de travailler sans paie sous la menace de la violence et sans pouvoir partir. Le trafic humain est souvent la face la plus visible du phénomène. Et encore. Comme médecin, comme soignant, il arrive qu'on y soit confronté. Si vous êtes soignant et que cela vous arrive, quelques conseils très raisonnables se trouvent ici. Il y en a d'autres ici. On se sent souvent démunis, et chaque aide apporté à chaque personne compte. Vous trouverez aussi une série de contacts d'ONG ici, si vous vous trouvez devant un cas de trafic humain. Mais la traite ne représente en fait qu'une partie de l'esclavage. Car pour être considérée comme victime de traite il faut ... passer une frontière. Si quelqu'un vient dans votre village vous offrir du travail, vous embarque dans une mine ou une maisons close qui se trouve dans votre pays, ne vous paie pas, et vous brutalise ou vous tue si vous tentez de partir, vous n'apparaîtrez pas nécessairement sur une statistique.
Une autre information qui circule trop peu est que l'augmentation de la population mondiale a conduit à une chute record du prix moyen d'un esclave. Moins de 100$. Le plus innommable dans tout ça est que du coup, dans la plupart des pays du monde, acheter une personne peut être si abordable que le propriétaire n'a pas de raison économique de s'en occuper. Adulte ou enfant, un esclave devient parfois l'équivalent humain d'une tasse en plastique: jetable et remplaçable.
Les mots que je viens d'employer, 'prix' 'acheter' 'abordable' 'jetable' 'remplaçable' 'propriétaire', vous choquent? Tant mieux! L'esclavage est un des affront fondamentaux à notre humanité commune. Une atteinte à la liberté la plus basique de se posséder soi-même. L'exposition d'un être humain à la merci des lubies d'un autre être humain, le plus souvent avec des conséquences désastreuses. Ce n'est pas un hasard si l'esclavage est un des interdits spécifiques des droits humains.
Mais ce n'est pas un hasard non plus si cet interdit est transgressé 27 millions de fois dans le monde actuel. L'esclavage est un crime économique, pratiqué parce qu'il est dans l'intérêt des esclavagistes, et que les victimes ne peuvent pas se défendre. Une bonne nouvelle, donc: il peut être combattu avec des outils économiques. Autre bonne nouvelle: la proportion de la population du globe qui est en esclavage n'a jamais été aussi basse. Et encore: abolir l'esclavage coûterait, en termes globaux, très peu. Allez voir cette vidéo. Ensuite, vous aurez probablement besoin d'aller aussi regarder le site de l'organisation Free the slaves. Alors voilà le lien...
Attention, changement de salle
Notre colloque aura lieu le lundi 12 avril 2010 à la salle 7-731 et 7-732, au 7e étage de l’hôpital cantonal.
Voilà, je voulais être sure que vous soyez au courant. A bientôt!
L'éthique d'un autre âge...?
Je continue de vous annoncer les colloques de l'Institut d'éthique biomédicale où je travaille, pour ceux qui ne vivent pas trop loin pour cela.
Le prochain aura lieu ce lundi 12 avril, et il sera question d'aspects éthiques de la pratique médicale au 18e siècle.
Nous aurons le plaisir d'accueillir comme orateurs Micheline Louis-Courvoisier et Philip Rieder, qui travaillent tous les deux dans le Programme des Sciences Humaines en Médecine de notre Institut d'éthique biomédicale.
Ils donneront une conférence intitulée:
Voici le résumé qu'ils ont donné:
Un médecin a-t-il le droit de manipuler son malade ? De lui inoculer une maladie à son insu ? Ou encore de colporter des nouvelles de ses patients tous azimuts ?
L’éthique occupe une place toujours croissante dans la formation des médecins, conditionnant les pratiques et délimitant étroitement le cadre de la relation thérapeutique. Les praticiens actifs avant les premiers règlements éthiques du XIXe siècle n’avaient pas de tels repères. Leur pratique était-elle alors barbare ? Une série d’anecdotes tirées de la pratique médicale au XVIIIe siècle le laisse penser. La contextualisation de ces gestes nous permettra d’aborder la question du mensonge, de la violence et de l’indiscrétion dans la pratique médicale d’Ancien Régime et de comprendre les raisons qui les rendaient moralement acceptables à l’époque.
Ça aura lieu le lundi 12 avril, de 12h30 à 13h45. C'est aux Hôpitaux Universitaires de Genève, c'est-à-dire ici. Attention, changement de salle: montez au 7e étage, c'est la salle 7-731 et 7-732 (7ème étage Bât. Principal – Médecine Interne - Salle de colloques).
Cette conférence est ouverte à toute personne intéressée. Vous en êtes? Alors à tout bientôt!
Les émotions qu'on ignore
Demandez à quelqu'un de vous faire la liste des cinq sens, à peu près n'importe qui vous les sortira facilement. Reprenez la même personne, et demandez-lui la liste des émotions fondamentales, pas sûr. Et en fait, même si une liste de base existe, elle n'est pas exhaustive et reste en discussion. Elle compte à la base six émotions: la joie, la tristesse, la colère, la peur, la surprise, et le dégoût.
Simpliste? Sans doute. Voici quelques unes des émotions récemment décrites comme 'candidates' à être incluses dans cette liste:
-L'élévation, le sentiment de connexion et d'émerveillement qui nous donne l'impression de nous élever au-dessus de nous-même...Cette émotion est rare, mais nous l'aimons beaucoup.
-L'intérêt, ou la curiosité, la faim d'apprendre...
-La reconnaissance, qui nous motive à faire du bien à qui nous en a fait, mais qui nous lie en fait souvent plus profondément les uns aux autres qu'un simple 'prêté pour un rendu'...
-La fierté, une émotion auto-évaluatrice, comme la honte, la culpabilité, ou la gêne, et qui peut donc avoir deux faces selon que l'évaluation à laquelle on se livre est 'correcte' ou non...
-La confusion, ou l'impression que les choses sont étranges et qu'il doit donc y avoir quelque chose qui nous échappe, qu'il faut changer notre manière de regarder notre situation. Vraiment une émotion? Pas sûr. Comme la plupart des autres listées ici d'ailleurs. Trop cérébrale peut-être. Mais la surprise l'est aussi...
Certaines émotions sont nommées dans certaines langues seulement. D'autres, qui sembleraient importantes, n'ont pas de nom. On connaît par exemple en allemand la Schadenfreude, le bonheur du malheur d'autrui. Aucune langue ne semble en revanche identifier le bonheur du bonheur d'autrui. Dommage.
Mais trêve de théorie: certains d'entre vous sont probablement encore en vacances. Si vous n'avez pas encore vu le film 'Home' de Yann Arthus-Bertrand, c'est l'occasion de voir lesquelles de ces émotions il suscite en vous. Vous me direz après lesquelles c'était, hein?
Vous êtes uniques! (Enfin, en partie...)
Seuls les humains...
Les '...' de cette phrase sont devenu un terrain miné où l'on ne s'aventure que les yeux ouverts au risque de ridicule, ou du moins de démenti, et dans un futur pas si lointain. En tout cas à en juger par le sort des derniers termes que l'on a voulu y mettre. La vidéo qui ouvre ce message, et que l'on trouve ici, illustre très bien ça. Remplir les '...', c'est vouloir affirmer qu'il y a une sorte de saut radical entre les humains et le reste du monde vivant. Mais la nature est -forcément- pleine de degrés. Peut-être faut-il reprendre toute la phrase et en faire: 'Seuls les humains '...' à ce point'.
Solidarité avec les catholiques
On parle beaucoup de l'église catholique ces temps. Et les raisons pour lesquelles on le fait mettent un tas de gens dans une vraie sale situation. Certains l'ont amplement mérité. Mais d'autres, non. Petite pause, donc, le temps d'exprimer une certaine solidarité avec les catholiques. Pas avec l'église catholique, qui n'est pas une personne et donc pas un objet légitime de solidarité. Pas avec ses autorités, qui quoiqu'elles en disent ne sont pas vraiment victimes, mais plutôt démasquées. Non, il s'agit ici de solidarité avec les catholiques: toutes ces personnes ordinaires qui n'ont rien fait de mal, en tout cas pas plus que vous et moi, et qui se trouvent maintenant ... oui, dans une vraie sale situation.
On peut la résumer ainsi. Depuis 10 ans, des scandales successifs entourent des cas d'abus sexuels sur des enfants par des prêtres aux États-Unis, puis dans un nombre croissant de pays dont l'Irlande, l'Allemagne, la France, la Suisse, l'Autriche, la Hollande, l'Espagne, le Brésil, le Canada... On est donc face à un problème mondial; il semble que le nombre estimé de victimes augmente presque tous les jours; bref, c'est vraiment très grave.
Et le plus grave n'est même pas, si l'on ose le dire, qu'il existe dans une église des individus qui se rendent coupables d'actes criminels. Après tout, oui, cela peut arriver. D'accord, c'est plus grave dans une institution qui annonce que son métier est de s'occuper du bien et du mal, d'être un moteur moral. Certains ont tenté de défendre l'église catholique en avançant qu'elle ne comptait pas plus de pédophiles dans ses rangs que la population générale. Malheureusement, il semble que ce soit inexact. Mais disons même que ce soit vrai. Il resterait profondément troublant qu'un groupe érigé en modèle moral soit seulement pas pire que la population générale.
Non, le plus grave est ailleurs. Non pas dans la responsabilité des individus, mais dans la manière dont l'église catholique a géré, et continue de gérer, ces affaires. Cette situation se prolonge et semble -du moins de l'extérieur- difficilement extricable. En clair, l'église catholique a d'abord peu punis, et beaucoup tenus secrets, les prêtres coupables de pédophilie. Elle a ensuite nommé à sa tête l'une des personnes qui avait maintenu cette politique du silence. Et là, on passe de crimes individuels à une forme de criminalité d'institution.
Qu'il s'agisse d'une église ne change rien à la structure du problème. Les prêtres, comme les enseignants, les avocats, les médecins, et quelques autres professions, exercent -ou sont censés exercer- leur métier au service de personnes vulnérables, avec lesquelles le rapport de pouvoir est inévitablement souvent asymétrique. Ces professions ne peuvent s'exercer que en échange de la promesse, tenue et visiblement tenue, de ne jamais abuser de ce pouvoir. Les corporations qui structurent ces professions servent à ça. Leurs codes de réglementation internes servent à ça. En cas de transgression de ces codes, il est juste de juger ces professions, ces corporations, sur leur capacité à punir les coupables. En cas de transgression légale, il est à nouveau juste de les juger sur leur capacité à ne pas entraver la justice. Au minimum.
Et sur ce chapitre, la capacité de régulation de l'église catholique impressionne par son insuffisance.
Alors, pour les membres d'une institution qui demande une confiance énorme et s'en montre à ce point indigne, que faire?
Difficile question.
Certains voudront sans doute faire comme si de rien n'était. Après tout, s'opposer à une autorité est difficile. Et il est vrai que l'écrasante majorité des membres de l'église catholique n'a rien à voir avec toute cette histoire. Est-on complice d'une organisation que l'on réprouve, simplement en lui restant affilié sans s'opposer... ? Parfois, sans doute. Mais à partir de quand, dans quelles conditions? Difficile de répondre. Cette voie est donc ouverte, peut-être, parfois, aux fidèles. Mais pas au clergé: difficile, si on se voile la face, de ne pas devenir un tant soit peu complice lorsqu'on est un représentant officiel.
Certains voudront réformer la manière dont l'église catholique gère ces situations. C'est légitime. Pour leur institution c'est sans doute le seul chemin pour éviter une forme de faillite morale: la rupture de la confiance sur laquelle repose son existence. Exprimer de la compassion pour les victimes est insuffisant, c'est clair. Il va falloir faire beaucoup mieux. Mais comment? Difficile également. Je n'en ai pas la moindre idée. Et pour avoir la moindre valeur une telle démarche doit de toute façon venir de l'intérieur.
Certains voudront partir, voire se faire débaptiser. Certains le font déjà. Mais là encore, c'est difficile. Un ami catholique me disait récemment qu'il partirait s'il pouvait le faire 'seulement avec la tête', et garder les liens, les amitiés, les chants de son enfance. Quitter une église est tellement difficile qu'une étude récente a montré que l'on trouve dans les rangs du christianisme des membres du clergé qui sont athées. L'un d'entre eux l'est même officiellement. Mais un grand nombre l'est en secret, et reste pourtant.
Pourquoi restent-ils? Un des auteurs de l'étude, le philosophe Daniel Dennett, le décrit à partir de 6:05 sur cette vidéo. En bref, il y a trois raisons:
-Ils se sentent piégés: 'Et ma famille, mon travail? Et puis je ne sais rien faire d'autre...'
-L'énorme obstacle social: comment dire aux autre 'j'ai gaspillé les dernières 40 années de ma vie'?
-Finalement, et c'est là le plus dur, la bonté: l'idée qu'on fera mal à des personnes que l'on aime si l'on part. La bonté encore: l'idée que l'on peut faire du bien en restant, que c'est là la manière dont on sait le mieux faire du bien autour de soi.
Si ces raisons suffisent à maintenir dans l'église des prêtres athées, on peut comprendre qu'elles suffisent souvent à garder dans l'église des croyants choqués par les scandales. Car oui, c'est une sale situation. La bonté contre l'intégrité. Sa famille contre sa conscience. Réformer, mais comment. Rester ou partir. Les ingrédients d'une grande crise de conscience. Car il va falloir choisir. Une petite pensée solidaire, donc, pour les catholiques qui y font face...