Un peu d'humour pour les vacances


Je suis en vacances, et un certain nombre d'entre vous aussi sans doute: on fait une récré sur le blog! Une collègue m'a envoyé le cartoon qui ouvre ce message. Il a fait hurler de rire plusieurs amis, médecins et non-médecins. Cliquez dessus et enregistrez-le pour l'aggrandir, ça vaut la peine. L'auteure du blog dont il est tiré est preneuse de tout ajout à cette liste de stéréotypes. Voici sa page de dessins, dont certains sont très très très justes.

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Et si on démocratisait les OGM? (2)


J'ai écrit récemment une des parties d'un débat sur les organismes génétiquement modifiés. Il est paru dans Moins! un journal que vous ne connaissez peut-être pas et dont voici le site pour les personnes intéressées. Petit coup de pub: allez le lire, en version papier donc car c'est la seule qui existe, au moins pour le débat en question...

Mais pour ceux qui n'y auraient pas accès, je vais vous donner ma partie, avec quelques commentaires, en chapitres successifs. Surtout que dans le débat 'pour et contre' il y a toujours une part de trop simple. Car au fond, si la question n'était pas si mais comment?

Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, voici donc la deuxième partie:

Cette fois, la question est la suivante. Que vous inspire l'utilisation du génie génétique dans l'agriculture, dans le monde en général et en Suisse en particulier ?

"L’utilisation du génie génétique n’est qu’un moyen: les avantages et les inconvénients qui y seront liés dépendront forcément des buts poursuivis. Quels sont les avantages et les inconvénients de la métallurgie, ou de l’électricité? L’électricité peut servir aux transports publics comme à l'exécution des condamnés à mort, et entre ces deux buts tout change. Il est évident que légiférer sur ces deux buts séparément est une démarche plus intelligente que d’interdire l’électricité elle-même. Interdire l’électricité rendrait les transports publics moins efficaces, aurait des retombées écologiques négatives... et cela ne rendrait pas la peine de mort impossible. 

Le génie génétique peut servir à accentuer des inégalités de pouvoir et de revenu, mais aussi à mettre dans les mains des paysans des plantes qui augmenteront leur sécurité ou leur santé. Là aussi entre ces deux buts tout change. Là aussi, interdire limiterait beaucoup les dimensions positives et n’empêcherait pas les négatives. Une discussion véritablement responsable ne devrait donc pas se demander si « le génie génétique » a plus d’avantages ou d’inconvénients, mais quels devraient en être les buts admis, dans quelles conditions ce moyen est sûr, ou encore, comment faire pour que ses bénéfices et ses risques soient équitablement répartis." 

J'ai été très contente de voir un très bel exemple détaillé récemment dans un excellent message blog que vous trouverez intégralement ici. Voici l'extrait, il s'agit du Golden rice dont l'image ouvre ce billet:

"(...) une étude de 2009 a confirmé que le Golden Rice apporte bien des vitamines A aux humains qui en consomment. Ahhh ! Frankenstein ! Euh, c’est une enzyme qui existe déjà dans le riz, mais s’exprime dans les feuilles pas dans les graines. On prend la version d’une plante qui l’exprime dans des graines que l’on mange déjà (le maïs, vous suivez ?), et on le fait exprimer dans les graines de riz. Il n’y a pas de pesticides, rien de potentiellement plus dangereux que de prendre un complément de vitamine A avec son bol de riz. 

Par ailleurs, les brevets sont gérés par une ONG, et les paysans n’ont aucun frais à payer (le riz est au même prix que du riz standard) jusqu’à une production de $10’000, ce qui couvre apparemment les 99% des paysans des zones pauvres visées. Après il faut payer pour l’exploitation commerciale. Mais dans tous les cas les paysans ont le droit de replanter." 

Alors, le Golden rice, plutôt transports publiques ou plutôt exécution capitale? Vu comme ça, cela semblerait pourtant assez clair...Si on démocratisait les OGM? Il y aurait sans doute plus d'utilisations de ce type, et moins d'utilisations exploitatives. Il y aurait peut-être aussi plus de ce genre de brevet-là. Car c'est un bel exemple, non? Un brevet qui sert à maintenir le prix abordable, plutôt qu'à l'enfler...

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Billet d'invité: Science et bons sentiments

Les vacances inspirent! Je remercie Alex Mauron de nous refaire un billet d'invité:

Au fil des décennies, plusieurs Etats étatsuniens ont mis en place l’interdiction de fumer dans les lieux publics ouverts, tels que les parcs publics ou les plages. Les arguments de santé publique invoqués par les autorités à l’appui de ces interdictions sont moralement impeccables : les dangers de la fumée passive, la toxicité des mégots, le mauvais exemple pour les enfants qui seraient incités à fumer. Le problème est que ces arguments reposent sur des données fragiles, et dans certains cas inexistantes, comme le relèvent deux chercheurs de l’Ecole de santé publique de l’Université de Columbia. Dans un récent article, l’éthicien Arthur Caplan analyse le mésusage de la science à l’œuvre dans ces interdictions, mésusage qui n’est pas moins critiquable lorsqu’il est mis au service d’une bonne cause.

Précisons d’emblée que personne ne peut remettre en question la dangerosité très élevée de la fumée pour les fumeurs, ni le risque en soi plus modéré, mais touchant un bien plus grand nombre de personnes, de la fumée passive dans des lieux clos. C’est exclusivement de la fumée à ciel ouvert dont il est ici question. Notons aussi que cette controverse ne change rien à la désinformation systématique pratiquée par l’industrie du tabac dans le but de nier les preuves de la nocivité de son produit. Pendant plus d’un demi-siècle, les cigarettiers ont corrompu des centaines de scientifiques stipendiés pour semer le doute sur la nocivité de la fumée directe, puis de la fumée passive, un négationnisme qui persiste aujourd’hui. Votre serviteur a d’ailleurs présidé une commission d’enquête qui a contribué à préciser l’ampleur de cette influence corruptrice dans notre propre Alma Mater. La controverse suscitée par les interdictions de fumer en plein air est intéressante en ce qu’elle illustre que la science peut être abusée par les bons et pas seulement par les méchants. Elle nous fournit l’occasion de déboulonner trois illusions fort répandues.


  1. Le raccourci moralisateur. C’est la croyance implicite que face à une question scientifique compliquée et controversée, on peut s’épargner la peine d’examiner les preuves et décider qui a raison au vu des positions morales ou des convictions des « pour » et des « contre ». C’est évidemment beaucoup moins fatiguant. Les anti-tabac sont gentils, donc la cigarette est nocive. Monsanto n’est pas gentil, donc les OGM sont dangereux. L’écologie c’est très bien, donc le réchauffement climatique d’origine humaine est avéré. Ou si l’on est de l’autre bord, le capitalisme entrepreneurial tous azimuts c’est très bien, donc le réchauffement de la planète est un mythe gauchiste. Eviter ainsi de se coltiner les données scientifiques, c’est de la paresse intellectuelle alliée à de la mauvaise philosophie morale et politique. 


  2. Le fétichisme de l’argent. Par cet emprunt quelque peu audacieux à Karl Marx, nous désignons l’idée que l’argent et le profit expliquent tout. Identifiez le parti qui pèse le plus lourd financièrement et vous savez déjà qui a scientifiquement tort. C’est ignorer que les passions idéologiques peuvent être aussi aveuglantes que l’appât du gain. Et que même des positions morales éminemment respectables peuvent conduire à maltraiter la science. C’est tout l’intérêt de la controverse évoquée ici: les autorités sanitaires impliquées ne sont probablement pas des hygiénistes fanatiques et la lutte anti-tabac est une bonne cause, sans guillemets. Mais cela n’excuse pas le mésusage de la science. 


  3. Le nihilisme épistémique. Argent, passions idéologiques, convictions morales… Aucun chercheur n’est réellement indemne de tout conflit d’intérêt, ni d’attachements émotionnels. Donc la science réellement objective n’existe pas. Donc la science n’est qu’une croyance comme une autre. Puisque la question du célèbre philosophe postmoderne Ponce-Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? » n’a pas de réponse, faire peu de cas de la science et croire à tout ce qui nous arrange n’est pas si grave. Or ce scepticisme de café du commerce est foncièrement destructeur. Comme le dit Caplan « la science est à peu près tout ce que nous avons pour surmonter les divisions idéologiques qui paralysent notre vie politique. On ne doit pas tolérer que des politiques publiques soient basées sur de la science peu fiable, médiocre ou bidon, même quand leurs objectifs sont dignes d’être poursuivis ».

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Il se passe quelque chose, là...

Vous vous rappelez le cas de Novartis devant la Cour Suprême indienne? La Cour a tenu bon, et Novartis a perdu. La raison est intéressante. Le tribunal a jugé que pour avoir droit à un brevet additionnel sur un produit dérivé d'un produit déjà breveté, il fallait qu'une innovation substantielle, une vraie valeur ajoutée, ait été apportée par rapport au produit de base. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais c'est très subversif, ça.

D'abord, parce que les règles de propriété intellectuelle américaines, qui sont très influentes, ne l'exigent pas. Il suffit qu'il y a une innovation, point. Elle n'a pas vraiment besoin de passer un test strict de valeur ajoutée cliniquement pertinente, ou substantielle. Cela ouvre la possibilité pour les fabricants de médicaments de prolonger la protection d'un médicament bien au-delà du brevet initial, ce qui est très lucratif pour eux mais limite l'accès à ce médicament pour beaucoup de patients vivant dans des pays pauvres.

Ensuite, parce que l'Inde est le fournisseur en médicaments génériques du monde en développement. MSF rapporte que 80% des médicaments employés dans leurs programmes HIV proviennent d'Inde. Fermer ce robinet, non cela n'aurait pas du tout été banal. 
Finalement, cette décision de la Cour suprême indienne pourrait être influente. Que se passerait-il si d'autres pays adoptait des jurisprudences similaires? Novartis, bien sûr, argumente que c'est un coup porté à l'innovation. Mais une analyse publiée cette semaine dans le New England Journal of Medicine décrit en fait le contraire. Le lien est derrière l'extrait:
"Les protections interprétées dans le cas Novartis, si elles étaient adoptée largement dans le monde en développement, pourraient encourager les entreprises à dépenser des ressources sur les innovations de type percées plutôt que sur les modifications mineures et les frais d'avocats. Mais quelles que soient ses implications pour l'innovation, un enjeu est clair: les pauvres du monde ont besoin d'un meilleur accès à des médicaments abordables, et cette décision va les aider à l'obtenir".

Subversif, je vous le disais...

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L'école des femmes

En ouverture de ce billet, une autre de ces magnifiques conférences de Hans Rösling où il vous change ce que vous pensiez savoir sur le monde, à coup de données magistralement présentées. A part le bonheur qu'il arrive à répéter à chacune d'entre elles, je vous montre cette vidéo aujourd'hui pour deux raisons, une très claire et l'autre un peu plus cachée dans sa conférence.

La raison très claire, c'est qu'il décrit la diminution de la mortalité infantile mondiale, et la diminution du nombre d'enfants par familles. L'une et l'autre sont de très bonnes nouvelles. C'est la promesse d'une vie décente pour plus de monde qu'avant (mourir à 5 ans de diarrhée ce n'est pas la vie que l'on souhaiterait en venant au monde), et c'est la promesse aussi (à terme) d'une humanité dont le nombre se stabilise.

La raison un peu plus cachée, c'est ce qu'il décrit sur le lien entre l'éducation pour tous et la chute de la mortalité infantile. Ce lien est bien connu: quand on éduque tout le monde, on éduque par définition les filles. Et une population féminine mieux éduquée cela se traduit par une chute de la mortalité infantile. Et une chute du nombre d'enfants par familles. C'est le socle des deux bonnes nouvelles. Rösling montre cela au passage en commentant le cas de la Suède.

Sauf qu'il y a un hic, qui ressort vite mais bien dans la conférence. Ce hic? Éduquer les filles et en voir les effets, cela prend une génération. Il faut donc soutenir durant deux ou trois décennies l'éducation des filles dans un monde qui n'en a pas l'habitude. Et ensuite, le monde va mieux. Cela semblerait presque simple. Sauf que dans l'intervalle, c'est difficile. Les filles restent plus à la maison, quand l'éducation coûte elles n'ont que rarement la priorité, quand elles sont scolarisées elles manquent davantage l'école (par exemple quand elles sont leurs règles et rien pour les gérer), et parfois elles attirent même une hostilité meurtrière. L'histoire de Malala, c'est cela.

Soutenir l'éducation des filles, cela peut donc passer par toutes sortes de moyens. Mais qu'est-ce qui marche? Et, si cela prend une génération pour voir des effets, comment faire au plus efficace? De plus en plus d'associations se penchent sur l'impact de la philanthropie. Je vous en reparlerai dans un billet exprès pour. Mais qu'il s'agisse d'éducation et mesurer ce que l'on fait devient nettement plus difficile. Des ONG qui s'occupent d'éducations des filles, il y en a quelques unes. Par exemple Educate girls globally, ou Days for girls, ou encore Because I am a girl. Mais vous en connaissez certainement d'autres, et c'est un des buts de ce message d'en faire connaître. Vous nous dites laquelle vous plait, et pourquoi?

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La France autorise la recherche sur les cellules souches

Ah ben c'est bien, ça. La France a autorisé la recherche sur les embryons 'surnuméraires' issus de la fertilisation in vitro. Pourquoi c'est bien? Parce qu'en autorisant la recherche médicale avec des cellules souches, on prend le pari d'aider des personnes malades. A quel prix, diront les opposants? Bonne question. En ce qui concerne les embryons, le 'prix' est minuscule voire inexistant. Car disons que, pour les besoins de cette discussion, on accepte que les embryons doivent être protégés comme vous et moi. C'est justement là que se situe la controverse, mais soyons aujourd'hui généreux: admettons qu'elle soit résolue et que ce soit ça la conclusion. Disons que, oui, les embryons méritent la même protection que vous et moi. Mais maintenant, il faut tout de même se rappeler qu'il s'agit ici d'embryons sans projet parental. Ils existent grâce à la fertilisation in vitro et à la demande de couple désirant y avoir recours pour faire un enfant, oui, mais ces couples ont désormais le nombre d'enfants qu'ils souhaitent et ces embryons-là ne sont pas destinés à être implantés. Ils resteront congelés, ou seront détruits. Contre quoi, exactement, l'interdiction de la recherche sur les cellules souches les protège-t-elle? Contre la privation d'un avenir à l'état de quelques cellules, congelé dans l'azote liquide? Si vous pensez que cette protection-là est suffisamment importante pour justifier une interdiction, dites-nous pourquoi dans les commentaires. Je suis intéressée. Mais ce qui frappe, là, c'est surtout à quel point nos schémas peuvent être trompeurs. Quand on pense à un embryon, c'est parfois comme si on pensait à un tout petit-très très petit- bébé, qui allait devenir un jour un enfant puis un adulte. On pense au début d'une histoire, à l'alternative de naître. Mais dans la réalité un grand nombre d'embryons ne naîtront jamais même lorsqu'ils auront été conçus 'naturellement'. Et si l'on estimait important de leur épargner ce 'sort', on devrait alors songer à arrêter de faire des enfants...

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Guantanamo: un exercice pratique difficile



Attention, la vidéo qui ouvre ce message est plutôt difficile. Lisez peut-être d'abord. De quoi s'agit-il? Une question nous revient avec la tension croissante des grèves de la faim à Guantanamo. A partir de quand la nutrition forcée est-elle de la torture? En Suisse on se rappelle de Bernard Rappaz, et de l'arrêt du Tribunal Fédéral qui avait argumenté que l'alimentation forcée ne constituait pas un traitement inhumain et dégradant si elle était pratiquée "dignement et conformément aux règles de l’art médical". La Cour Européenne des Droits de l'Homme a repris cet argument en estimant que "à supposer que la décision d’alimentation forcée eût été exécutée – ce qui n’a pas été le cas -, rien ne permet d’affirmer que cette opération aurait donné lieu à des traitements inhumains." Dans le New England Journal of Medicine de cette semaine, en réponse à un article condamnant la nutrition forcée, un commentateur appelle de ses voeux le développement d'une "méthode non-violente et humaine de nutrition forcée".

A partir de quand, donc, la nutrition forcée est-elle de la torture?

La Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants précise dans son article premier que:

"Aux fins de la présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles."

La torture a donc plusieurs composantes:
-Le fait d'infliger une souffrance physique ou mentale sévère
-Le faire intentionnellement
-Le faire entre autre pour l'un de ces buts (la liste n'est pas exhaustive): obtenir une information ou une confession de la personne ou d'un tiers, punir la personne pour quelque chose qu'elle ou tiers a fait ou est soupçonnée d'avoir fait, intimider ou contraindre cette personne ou un tiers...

Sous cet angle-là, la nutrition forcée devient de la torture lorsqu'elle inflige intentionnellement une souffrance - que celle-ci soit physique ou mentale- dans le but de contraindre le détenu.

Dès qu'elle devient véritablement forcée, donc, plutôt que 'simplement' obligatoire, dans l'hypothèse où le patient se laisserait faire. Dans le cas où la nutrition implique l'usage de la force, alors on voit mal comment on peut éviter de tomber dans un traitement inhumain et dégradant, voire dans la torture.

C'est très tentant de se dire alors qu'il suffit d'éviter que la douleur soit intentionnelle, et qu'alors on aurait évité la torture. Mais dans les faits, si le détenu se débat, alors on voit mal comment on peut éviter de lui infliger une souffrance intentionnellement dans le but de le contraindre. Vouloir nourrir quelqu'un de force tout en évitant un traitement inhumain et dégradant relève de l'illusion d'optique.

Cette illusion d'optique est cependant très répandue. J'en citais quelques exemples au premier paragraphe. Les grands absents dans cette liste de personnes qui souhaitent que la médecine nourrissent de force mais 'dignement'? Les médecins. De toutes part, lorsqu'ils prennent position officiellement, c'est pour s'opposer. L'Association médicale mondiale condamne la participation à la nutrition forcée dans la déclaration de Malte, qui précise dans son article 21 que : «L' alimentation forcée n'est jamais acceptable. Même dans un but charitable, l'alimentation accompagnée de menaces, de coercition et avec recours à la force ou à l'immobilisation physique est une forme de traitement inhumain et dégradant." Ce n'est pas véritablement surprenant. Mais peut-être que pour se convaincre de l'impossibilité de nourrir de force de manière 'non-violente' ou 'humaine', il faut avoir vu quelque chose qui s'approche d'un vrai cas de nutrition forcée. La vidée qui ouvre ce message se trouve ici, et a été réalisée récemment par un militant volontaire. Il ne résiste pas véritablement: simplement, il n'aide pas, ne collabore pas. Et déjà, c'est assez difficile à soutenir.

Il faut aussi préciser que la vidéo est en fait plutôt soft. Le 'détenu' se laisse mettre dans la chaise, ne se débat pas activement. Elle dure environ 4 minutes alors qu'une vraie situation peut durer deux heures. Et elle n'utilise 'que' du matériel standard. A Guantanamo, il semble que ce ne soit plus le cas. On utiliserait des sondes dont le bout est métallique, on diminuerait la température des cellules, on organiserait les douches au milieu de la nuit pour mettre les détenus devant le choix du sommeil ou de la propreté...bref on ferait tout pour les mettre sous pression d'interrompre leur grève de la faim. Vous vous rappelez la définition de la torture? Infliger intentionnellement une souffrance - que celle-ci soit physique ou mentale- dans le but de contraindre le détenu. Dès que le but de l'alimentation forcée est de faire interrompre un jeûne de protestation, comment éviter de tomber là dedans? On peut comprendre que cela semble possible en théorie, mais en théorie seulement...

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Assistance au suicide sans certitude diagnostique

Un cas intéressant, l'histoire du médecin généraliste neuchâtelois condamné cette semaine. Les journaux ont parlé d'euthanasie, mais sur la base des descriptions, c'est clairement d'assistance au suicide qu'il s'agit. L'histoire?

"Le médecin était au chevet d’un homme de 89 ans qui avait tenté de se suicider, ne supportant plus sa maladie. Il a fait état du «vraisemblable développement d’une maladie tumorale anorectale» en se basant uniquement sur une anamnèse - symptômes et antécédents du patient - car celui-ci refusait tout examen. Le médecin a parlé d’Exit à cet homme qui comptait tenter à nouveau de se suicider. Ce dernier a signé le 4 février 2011 une déclaration demandant l’assistance de cette association pour mettre fin à ses jours. Le 11 février, le médecin a prescrit 15 grammes de substance létale au patient, qui l’a avalée le lendemain et est décédé. Le praticien a procédé ainsi «afin qu’il puisse mourir dignement». Il estimait qu’il n’aurait pas été très courageux d’éviter de prescrire lui-même le produit afin de s’éviter des ennuis."

La suite: il a donc été condamné, à une peine symbolique puisqu'il s'agit de 500.- d'amende

Un cas d'assistance au suicide condamné par la justice, donc. Et pour quel motif? Ce qui est reproché au médecin n'est pas d'avoir assisté un suicide, car cet acte est légal en Suisse à trois conditions:

1) Il doit bien s'agir d'un suicide, donc la personne qui décède doit accomplir elle-même le geste létal: ce fut bien le cas ici et d'ailleurs c'est pour cela qu'il ne s'agit pas d'un cas d'euthanasie.

2) Il faut que la personne qui décède ainsi soit capable de discernement: ce point n'est pas non plus remis en cause ici.

3) La personne qui l'aide doit agir pour des raisons altruistes, ne pas avoir de mobiles égoïstes. Encore une fois ce critère semble rempli ici, le tribunal ayant même souligné que la peine était amoindrie car le mobile du médecin était jugé honorable.

Les trois critères étaient donc rempli.

Pourquoi, donc, le médecin a-t-il quand même été condamné? C'est là que ça devient intéressant. En fait, il n'aurait pas du tout été condamné pour avoir pratiqué une assistance au suicide, du moins pas directement. Non, il aurait été condamné pour avoir enfreint la loi qui régit la prescription médicale. Celle-ci précise en effet que "Un médicament ne doit être prescrit que si l’état de santé du consommateur ou du patient est connu." (LPTh Art. 26al.). Or, ici, le patient refusait les examens qui auraient permis d'établir le diagnostic avec certitude, et le médecin a donc procédé à la prescription sans avoir cette certitude. D'où la condamnation.

Le jugement ira sans doute en appel, et il est donc probable que nous en reparlions. Mais il y a déjà trois aspects plutôt intéressants.

Le premier est la tendance à vouloir encadrer plus strictement l'assistance au suicide sans pour autant accepter de clarifier les règles qui s'y appliquent directement. C'est politiquement compréhensible, reste à savoir si cela rendra la situation plus claire.

Le deuxième, c'est que ce jugement (en tout cas en apparence) ne fait en fait absolument rien pour aider à définir la nature de la maladie qui pourrait justifier une assistance au suicide. A l'heure où la Suisse vient d'être épinglée pour le manque de clarté des conditions qui rendent l'assistance au suicide admissible, c'est regrettable. Ici, la question ne semble pas avoir été si la maladie était terminale, ou 'seulement' incurable, ou grave d'une autre manière. Non, la question semble avoir été d'abords si le médecin avait établi avec certitude l'état du malade, quel qu'il soit.

Ce qui nous mène au troisième point: voilà un jugement qui semble poser un seuil de certitude, ou du moins de confiance, dans une évaluation diagnostique. Il semble faire cela pour l'assistance au suicide, mais pas seulement. Classique, me direz-vous peut-être. Après tout, il est tout à fait exact qu'une prescription doit être fondée et que la loi le prévoit ainsi à juste titre. Mais comme souvent le diable est dans les détails. Est-ce ici la qualité de l'anamnèse qui est remise en question, ou bien la justice établit-elle ainsi qu'un diagnostic fondé sur le récit du patient sera par essence insuffisant? Le seuil de certitude peut-il être différent dans le cas d'une assistance au suicide que dans d'autres cas, et si oui comment empêcher qu'il ne s'accroisse au point de rendre toute assistance au suicide impossible? C'est peut-être ce que craignent les associations d'aide au suicide ici, même si cette issue n'est évidemment pas du tout certaine. Et que faire lorsque le patient refuse un examen, comme c'était le cas ici? Peut-on alors dire qu'il doit choisir entre le droit de refuser un examen, et le droit d'obtenir une prescription? Vraiment? Et cela s'appliquerait-il uniquement aux cas d'assistance au suicide ou aussi à d'autres cas (lesquels) de prescription médicale?

Un cas passionnant, qui méritait bien d'être un peu décortiqué et dont il faudra suivre les épisodes suivants.

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