Mes collègues: qu'est-ce que le populisme?
Le livre est très court, et en plus l'auteur en fait une synthèse à la fin. Je vous offre donc cette synthèse, dans une traduction qui n'engage évidemment pas l'auteur.
"1. Le populisme n'est ni la part authentique de la politique démocratique moderne, ni une sorte de pathologie causée par des citoyens irrationnels. C'est l'ombre permanente de la politique représentative. Il existe toujours la possibilité pour un acteur de parler au nom du «vrai peuple» comme moyen de contester les élites actuellement puissantes. Il n'y avait pas de populisme dans l'ancienne Athènes; il y a avait de la démagogie, sans doute, mais pas de populisme, puisque ce dernier n'existe que dans des systèmes représentatifs. Les populistes ne sont pas contre le principe de représentation politique; ils insistent simplement que seuls eux-mêmes sont des représentants légitimes.
2. Il ne suffit pas de critiquer les élites pour être populistes. En plus d'être antiélitistes, les populistes sont antipluralistes. Ils prétendent qu'eux et eux seuls représentent le peuple. Tous les autres concurrents politiques sont essentiellement illégitimes, et tous ceux qui ne les soutiennent pas ne font pas partie du peuple. Lorsqu'ils sont dans l'opposition, les populistes insisteront nécessairement que les élites sont immorales, alors que le peuple est une entité morale et homogène dont la volonté ne peut pas errer.
3. Les populistes semblent souvent prétendre qu'ils représentent le bien commun, tel que voulu par le peuple. En y regardant de plus près, il s'avère en fait que ce qui compte pour les populistes n'est pas tant le produit d'un véritable processus de formation de volonté, ou d'un bien commun que n'importe qui peut glaner avec du bon sens. Ce qui compte davantage est une représentation symbolique du «peuple réel», à partir duquel la politique correcte est ensuite déduite. Cela immunise la position politique d'un populiste contre la réfutation empirique. Les populistes peuvent toujours faire jouer l'idée des «vrais gens» ou de la «majorité silencieuse» contre les représentants élus et le résultat officiel d'un vote.
4. Bien que les populistes demandent souvent des référendums, ces exercices ne visent pas à initier des processus ouverts de formation de la volonté démocratique parmi les citoyens. Les populistes veulent simplement être confirmés dans l'idée qu'ils se sont déjà faite de ce que les personnes réelles veulent. Le populisme n'est pas un chemin vers une plus grande participation politique.
5. Les populistes peuvent gouverner, et ils sont susceptibles de le faire en se basant effectivement sur l'idée qu'eux seuls représentent le peuple. Concrètement, ils procéderont à l'occupation de l'État, le clientélisme de masse et la corruption, et la suppression de tout ce qui ressemble à une société civile critique. Ces pratiques trouvent une justification morale explicite dans l'imagination politique populiste et peuvent donc être ouvertement déclarées. Les populistes peuvent aussi écrire des constitutions; ce seront des constitutions partisanes ou «exclusives» destinées à maintenir les populistes au pouvoir au nom de la perpétuation d'une soi-disant volonté originelle et authentique. Elles sont susceptibles de conduire à un conflit constitutionnel grave à un moment ou à un autre.
6. Les populistes doivent être critiqués pour ce qu'ils sont - un véritable danger pour la démocratie (et pas seulement pour le «libéralisme»). Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas les engager dans le débat politique. Parler avec les populistes n'est pas la même chose que parler comme des populistes. On peut prendre les problèmes qu'ils soulèvent sérieusement sans accepter l'angle sous lequel ils présentent ces problèmes.
7. Le populisme n'est pas un correctif de la démocratie libérale: il ne rapproche pas la politique «du peuple» et ne réaffirme même pas la souveraineté du peuple, comme on le prétend parfois. En revanche, lorsque certaines parties de la population ne sont pas représentées (des parties regroupées par des intérêts, ou une identité, ou les deux), il est utile de le signaler. Cela ne justifie pas l'affirmation populiste selon laquelle seuls leurs partisans sont les vraies personnes et qu'ils sont les seuls représentants légitimes. Le populisme doit donc forcer les défenseurs de la démocratie libérale à réfléchir davantage sur les échecs actuels de la représentation. Il devrait aussi les pousser à aborder des questions morales plus générales. Selon quels critères appartient-on à la collectivité? Pourquoi le pluralisme vaut-il la peine d'être préservé? Et comment peut-on répondre aux préoccupations des électeurs populistes, entendus comme citoyens libres et égaux et non pas comme des cas pathologiques d'hommes et de femmes conduits par la frustration et le ressentiment?"
L'auteur finit sur un espoir d'avoir au moins tracé des pistes pour répondre à ces questions. Il faut le lire, je vous dis.
Nos enfants
La photo, c'est un bout de contexte personnel. Au passage, elle contient une erreur. J'étais émue en l'écrivant. Si vous la trouvez, donnez la réponse dans les commentaires. En attendant, je vous mets le texte, l'original est ici.
"Que veut dire être l’enfant de quelqu’un, ou le parent de quelqu’un ? Habituellement, la réponse a trois composantes.
La première est la filiation génétique. Nos enfants sont génétiquement apparentés à nous. Nous leur transmettons nos caractéristiques héréditaires. C’est l’élément en jeu lorsqu’un enfant né d’une relation extra-conjugale veut connaître son 'vrai père'.
La deuxième filiation est gestationnelle. La mère de l'enfant va le porter, le nourrir dans son corps pendant son développement. Le père va vivre la grossesse autrement qu'elle, forcément, mais ce sera pour lui aussi une des manières d'être le père de son enfant. C’est cette filiation qui pose problème lors de la gestation pour autrui.
La troisième filiation est sociale ou éducative. Les parents subviennent aux besoins de l'enfant et à son éducation. Ils sont responsables de son bien-être et des conditions de son développement. Ils lui enseignent des manières d'aborder la vie, des valeurs. Ils forment une famille. Lorsque les parents ont des biens, les enfants en héritent à leur mort. C’est l’élément en jeu dans l’adoption.
Dans la plupart des cas, ces formes de filiation co-existent dans les mêmes personnes. Dès que ce n’est pas le cas, nous devenons perplexes. Les situations de gestation pour autrui, commentées dans ce numéro sous l’angle « théologico-éthique », sont parmi les cas qui donnent lieu à cet inconfort.
Cet inconfort ne nous dit pas quoi faire. L’adoption sépare les filiations et génère le même type d’inconfort. « Avez-vous des enfants, non je veux dire des enfants vraiment à vous ? » La séparation des filiations, ça nous dérange. Pourtant personne ne songerait à interdire l’adoption. Où sont, dès lors, les vrais problèmes ? Les cas discutés dans l’article de la Dre Schliesser indiquent des pistes de réflexion. Certains, comme la mise aux enchères d’un nouveau-né, sont choquants mais déjà interdits par des lois existantes. Ce qui nous heurtent dans ces histoires c'est le risque que les enfants n’aient pas accès à leurs origines, ou que des parents manquent à leur devoir, ou que les uns ou les autres se retrouvent exploités,
Connaître ses origines fait partie de la construction de notre identité. C’est la raison pour laquelle le droit suisse garanti le droit de les connaître. Nous interdisons que le don de gamètes soit anonyme. Nous interdisons aussi l’accouchement sous X. Dans la même logique, la gestation pour autrui devrait s’accompagner du droit de connaître la mère de gestation. Inconfortable ? Certainement. Cela constituerait justement pour cette raison un garde-fou intéressant. Avoir recours à une personne exploitée dans un pays qui les protège mal aurait pour conséquence des conversations difficiles avec son enfant plus tard. Dans les pays où les femmes qui acceptent la gestation pour autrui sont mieux protégées, ne pas être entièrement oubliées par la famille après la naissance fait souvent partie de leurs espoirs.
Un parent qui abandonne son enfant, quelle que soit la manière dont cet enfant est venu au monde, oui c’est un problème. Vis-à-vis de l’enfant, et aussi vis-à-vis des autres parents. Si l’engagement comme parent d'intention dans un processus de gestation pour autrui est un projet parental, ce projet doit être pris au sérieux. Il doit comporter les mêmes devoirs que pour tout autre parent. Des parents qui manquent à leurs devoirs, ou qui cherchent à imposer aux autres parents des conditions indécentes, oui cela existe. Cela existe depuis bien plus longtemps que la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui. Nous devons pouvoir appliquer les mêmes exigences ici.
Ces mesures ne sont pas a priori impossibles. Elles ne constituent donc pas si clairement une raison d’interdire la gestation pour autrui. Elles nous obligent cependant à faire face à des questions dont nous aimerions mieux qu’elles n’existent pas. Et ça, oui c’est inconfortable…"
Billet d'archives: L'âge des promesses non tenues
Pas qu'ils se portent moins bien que les minorités ethniques, ça non. Mais ils sont en perte de statut et ce n'est pas une chose anodine. Vous voyez la ligne rouge qui s'échappe des autres? C'est la mortalité des blancs américains, comparés aux hispaniques et aux citoyens de quelques autres pays. Avec un regard de médecin, cette ligne ressemble à une voiture qui sort de la route. La mortalité de tous diminue, et la leur elle augmente. Ils ne vont pas bien, je vous dis. Ce sont eux dont je vous parlais ici:
"Ce sont deux économistes qui ont signé ce papier, mais ils y parlent en fait de santé publique. Anne Case et Angus Deaton, le second tout fraîchement adoubé d’un prix Nobel d’économie, décrivent avec une sobre rigueur ce qui pourrait représenter les premières lignes d’une tragédie moderne. Après des années de recul, la mortalité a augmenté chez les Américains blancs âgés de 45 à 54 ans. Ce revers démographique ne touche ni les autres pays riches, ni les autres tranches d’âge, ni les autres groupes ethniques américains. Les Américains noirs par exemple ont toujours une mortalité plus élevée que celle de leurs concitoyens, mais elle continue tranquillement de diminuer. Non, ce sont les blancs parvenus à ce qui devrait être la moitié de leur vie qui sont ainsi touchés, prématurément, par un surcroît de décès. Cette conclusion a survécu à un barrage de critiques méthodologiques dont les plus pertinentes touchaient à la taille de l’effet : l’effet, lui, est bel et bien là.
C’est très impressionnant, ce genre de virage dans une grande tendance. Ça n’arrive pas si facilement. On l’avait vu en URSS, lorsqu’elle existait encore, sur les trois décennies qui en ont précédé la chute. Le signe, avaient déjà dit certains, d’une société qui ne tient plus vraiment ensemble. Cette fois aussi ce sont de grands nombres qui sont concernés par cette surmortalité. Les auteurs font un rapide calcul : si la mortalité de cette tranche d’âge était restée à son niveau de 1998, ce sont 96 000 décès qui auraient été évités. Si elle avait continué de chuter au même rythme qu’entre 1979 et 1998, on serait arrivé à un demi-million de morts en moins. Un taux comparable au total des morts américains du VIH jusqu’en 2015.
Les causes de décès sont impressionnantes elles aussi. En gros, ces personnes meurent de leur propre main. Le cancer pulmonaire ou le diabète ne tuent pas plus qu’avant : ce sont les suicides, les maladies chroniques du foie et surtout les empoisonnements qui ont augmenté.
L’interprétation des auteurs ? Ces personnes décèdent parce que l’histoire les a mises au placard. Ces décès touchent surtout les personnes les moins éduquées, qui meurent à présent 4,1 fois plus dans la même tranche d’âge que leurs concitoyens les plus éduqués. D’autres études montrent une chute simultanée de la santé mentale, de la capacité au travail, et une augmentation de la prévalence de la douleur physique. Des contrôles plus stricts sur la prescription d’opiacés ont conduit certains patients vers l’héroïne de rue. Vient s’ajouter à cela une augmentation de la précarité matérielle depuis 2008. Les délocalisations, le chômage sans filet social. Une sorte d’épidémie, donc, mais pas dans le sens usuel. Une population qui perd le fil de son histoire et voit son avenir se fermer. Une génération éduquée dans le « rêve américain », convaincue de pouvoir améliorer sa vie à force d’effort, pour qui ce récit ne fonctionne plus comme auparavant. Pour eux, le réveil déchante sans doute plus que pour des minorités ethniques d’emblée plus lucides. Une génération qui endure à nouveau la douleur physique sans aide réelle, et succombe à l’addiction. C’est l’âge des promesses non tenues.
Les auteurs, à la fin, sont prudemment optimistes. La douleur et l’addiction sont difficiles à traiter, mais méritent des efforts importants. La perte du récit de sa vie, en revanche, sera plus difficile à aborder. En Europe, nous ne sommes apparemment pas touchés. Nos filets sociaux et nos services publics nous permettent une vie plus sûre, un avenir moins angoissant. Notre faible mobilité évite que le déracinement ne vienne s’ajouter à la marginalisation. Un environnement de travail plus humain, une histoire en dehors du travail, tout cela est protecteur. Une conclusion à laquelle la science économique ne nous avait pas habitués…"
Cet optimisme -prudent il est vrai- sur l'Europe fait plaisir à entendre, mais ce n'est pas du tout dit qu'il soit justifié. Si quelqu'un a des chiffres sur la question, merci de les indiquer dans les commentaires. Mais les chiffres ne sont pas tout. Si l'on retient de l'histoire la 'perte du récit de sa vie', on la croise pourtant: moins souvent qu'aux Etats-Unis, c'est vrai, moins souvent aussi que dans d'autres pays d'Europe. On la croise pourtant: trop souvent, et tout autour de nous.
Mourir sans maladie terminale
Le deuxième enjeu, c'est la question de la souffrance. C'est elle qui est au premier plan dans les commentaires du cas présent. En Suisse, la loi ne précise pas de quoi la personne qui veut mourir doit souffrir. Elle précise que la personne doit être capable de discernement, qu'elle doit se tuer elle-même (sinon ce n'est pas un suicide) et que la personne qui l'assiste ne doit pas avoir de mobile égoïste. C'est tout. Il n'y en fait même pas besoin que la personne soit malade. C'est tellement large que tout se passe en pratique comme cela nous faisait peur. Les associations d'aide au suicide se donnent des règles plus strictes. L'Académie Suisse des Sciences Médicales, qui édicte les directives médico-éthiques pour les professionnels de la santé, a elle aussi posé un cadre nettement plus stricte pour les médecins. La question est: où mettre la limite? L'Académie exige une maladie terminale. EXIT demande une ou plusieurs maladies incurables. Mais en fait la question fondamentale est: la souffrance d'une autre personne, comment peut-on savoir quand elle devient insupportable? Cette question-là, peut-être qu'elle est insoluble. Le Code pénal suisse lui substitue le mobile altruiste. On compte sur la personne qui assiste. Si cette personne peut comprendre, si elle pense sincèrement que la vie du demandeur est si terrible que c'est altruiste de l'aider à mourir, alors l'assistance devient légale. Est-ce suffisant? Jusqu'à présent, nous avons collectivement pensé que oui. Plusieurs tentatives de légiférer sur l'assistance au suicide ont eu lieu ces dernières décennies, et elles ont toutes abouti à la conclusion que nous préférions le statut quo. Cette fois, nous verrons si c'est à nouveau le cas ou non.
Le troisième enjeu, c'est la question des alternatives qu'il faudrait offrir lorsqu'une part de la souffrance n'est pas strictement médicale. Lorsqu'une personne âgée veut mourir sans souffrir d'une maladie clairement terminale, il n'est pas surprenant que l'on s'indigne. Mais on s'indigne contre quoi, exactement? Evidemment, si ce que nous pouvons faire de mieux pour nos aînés lorsque leur fonctionnement devient très limité est de les laisser sans amis, sans famille, et sans rien qui leur semble suffisant pour se lever le matin, alors il y a véritablement un problème. Mais le problème est-il alors vraiment de les autoriser à choisir la mort? Le leur interdire ressemble ici en fait à un cache misère... Alors ce problème-là, évidemment, ni la médecine ni les associations d'aide au suicide ne peuvent le résoudre. C'est un problème qui nous appartient à tous. Quelles conditions pour une vie décente parmi nous? Une question qui nous concernent qu'on le veuille ou non.
Cette question il faut l'aborder, sérieusement et ensemble. Il ne faut cependant pas se leurrer non plus. Dans certains cas aucune alternative ne sera possible. Perdre son conjoint à un âge avancé, c'est parfois perdre la personne avec laquelle notre identité s'était construite. Cela n'est pas toujours insurmontable. Ma grand-mère, veuve à passé 90 ans, avait fait comme une petite crise d'adolescente en perdant un mari plutôt autoritaire. Mais il arrive aussi qu'après une vie entière on n'ait tout simplement pas fait pousser toutes les parties de notre être, lorsque l'autre s'y substituait. Il arrive alors que construire le reste à un âge avancé soit au delà de nos forces.
Le quatrième enjeu est la question du degré d'intrusion de l'Etat. Que notre famille ou nos amis cherchent à nous empêcher de mourir, c'est tout de même normal. C'est plus ou moins acceptable selon les circonstances et les moyens mis en oeuvre évidemment, mais c'est ce que l'on attend de proches qui veulent notre bien. Lorsque c'est l'Etat qui met des barrières, cela dit, la situation est très différente. Car la question du caractère licite ou non de l'assistance au suicide est liée, finalement, à la question du caractère licite ou non du suicide lui-même. Et permettre le suicide, lorsqu'il résulte d'un choix lucide et qu'il n'est pas dû à un état mental altéré, ce n'est ni plus ni moins que reconnaître que nous sommes propriétaires de nous-même. Que même si nous avons évidemment des liens avec d'autres, même si nous les aimons et que nous dépendons d'eux et eux de nous, nous n'appartenons finalement à personne.
Selon la décision du tribunal, un autre aspect de ce cas pourrait devenir intéressant. Lorsqu'il déclare que l'assistance au suicide n'est pas légale ici, l'avocat de la famille se fonde sur les directives de l'Académie Suisse des Sciences Médicales. Elles n'ont en fait pas valeur de loi. Ou plutôt, elles ont ou non valeur de loi selon qu'un tribunal les reprend dans un cas ou pas. Si la décision était d'admettre ces directives comme limite pour l'assistance au suicide, alors cela créerait un précédent. Elles auraient désormais valeur de loi. Mais à Genève seulement. Nous pourrions alors nous trouver, à l'intérieur de la Suisse, avec un cadre légal différent, et peut-être un tourisme du suicide entre cantons.
Cette décision, quoi qu'il arrive, sera douloureuse pour toutes les personnes concernées. Sans l'ombre d'un doute. Sans l'ombre d'un doute, elle sera en revanche intéressante.
Un enfant pour nous survivre
Touchant, ce cas l'est aussi parce qu'il nous montre nos contradictions. La Suisse interdit elle aussi l'insémination artificielle après le décès du partenaire. Chez nous aussi, la raison en est bienveillante: nous voulons protéger le bien de l'enfant, le prémunir contre des circonstances de vie plus difficiles. Dit crument, nous ne voulons pas "faire un orphelin". En même temps, cette limite ne concerne que la procréation médicalement assistée. On autorise l'adoption par les personnes célibataires. Même faire un enfant sans l'aide de la médecine, dans des circonstances analogues où le père sera probablement (ou même certainement) mort à la naissance de l'enfant, ce n'est pas interdit. Au nom de quoi d'ailleurs l'interdirions-nous? Durant la plus longue partie de notre histoire, on a après tout constamment pris le risque de faire des orphelins du simple fait que les guerres étaient fréquentes et tueuses d'hommes, la grossesse et l'accouchement le premier facteur de mortalité des femmes. Ce cas nous montre à quel point nos scrupules augmentent dès que la médecine entre en jeu, alors que l'intérêt des enfants ne change pas fondamentalement.
Nous nous trouvons aussi questionnés sur ce que l'on a le droit d'interdire ou pas. Faire un enfant dans ces circonstances, il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles c'est peut-être une mauvaise idée. L'élever sans l'aide d'un autre parent est plus difficile. Le deuil récent n'est peut-être pas le meilleur moment pour une décision de cet ordre. Faire un enfant peu de temps après en avoir perdu un autre peut poser des difficultés. Peut-être que certaines de ces choses sont vraies dans le cas présent. Ou pas. Mais là n'est pas la question: ce qui serait un conseil bienveillant si cela venait d'une amie change complètement d'aspect lorsque cela vient de l'état. La question n'est pas ici "conseilleriez-vous cela à un proche" ni "le feriez-vous si c'était vous", la question est "a-t-on le droit de le rendre illégal". Une société qui interdirait tout ce qui pourrait être une erreur, il suffit de se l'imaginer trois secondes pour ne pas vouloir s'y rendre.
Touchant, ce cas l'est finalement par le verdict rendu. La cour a reconnu que ce cas était suffisamment exceptionnel pour autoriser une intervention qui ne l'aurait pas été sans cela. Ils ont donc autorisé l'exportation du sperme. Ils n'ont pas autorisé cela dit que l'insémination ait lieu sur le territoire français. Mais dès lors que l'exception était admise, au fond, pourquoi? Il n'y a rien là de techniquement difficile, rien qui nécessite une équipe qui serait expérimentée spécifiquement dans l'intervention pour les cas où le partenaire est décédé. Au contraire, il est possible que la proximité avec l'équipe qui aurait suivi cette femme jusque-là aurait représenté un accompagnement bienvenu. Cela aurait aussi pu représenter un signe plus tangible que son pays acceptait de traiter sa situation comme un cas vraiment particulier. Il est évidemment possible que ce pas ait été trop difficile à franchir. Il arrive que les tribunaux aussi aient leurs états d'âmes face à ces tragédies.
Mes collègues: chimères
De quoi s'agit-il? On connait depuis longtemps les espèces hybrides: les mulets, par exemple, proviennent du mélange génétique entre les ânes et les chevaux. Cela survient sans aucune aide de la science. Les chimères, c'est quelque chose de différent. Ici, on a une cohabitation dans l'organisme de cellules issues de deux espèces. Par exemple, des chercheurs britanniques ont fait récemment une souris avec un pancréas de rat. Si l'on pouvait faire de même avec des cellules souches humaines -actuellement on ne sait pas si c'est possible- alors on pourrait par exemple obtenir des organes à transplanter qui auraient été générés dans des animaux.
Un des points à retenir est que la possibilité même des chimères nous rappelle à quel point nous sommes nous-même des animaux. A quel point nous sommes biologiquement proches. Cela contribue certainement au fait que cela nous dérange, mais au fond cette prise de conscience est salutaire. L'idée que des animaux puissent recevoir des cellules humaines nous questionne, nous pousse à nous demander si au fond on devrait accorder plus de respect à ces animaux.
C'est une bonne question, évidemment. Se la poser à ce moment-là, cela dit, c'est intéressant. En vertu de quoi une chimère humain-et-un-autre-animal devrait-elle obtenir un plus grand respect? Du fait que ces animaux auraient une part d'humanité dans le génome de leurs cellules humaines? Clairement, le génome n'a pas cette capacité de transmettre comme par contagion des parts de dignité humaine. Il faudrait si c'était le cas sacraliser bien davantage les cheveux qui restent dans nos brosses et qui contiennent dans leurs racines de l'ADN humain. Non, c'est plutôt l'idée que ces animaux auraient des capacités plus proches des nôtres qui nous questionne. Mais alors, qu'en est-il des animaux qui ont déjà ces capacités, si ce n'est pas une question de génome? Paradoxe: la décision récente des National Institutes of Health américains d'autoriser le financement de recherche sur ces chimères était dû en partie à leur décision de renoncer à la recherche sur les grands singes. L'espoir est donc ici de développer des alternatives qui remplaceraient la recherche avec des animaux trop proches de nous par leurs capacités. Visiblement, ce questionnement n'est pas réglé.
Alors concrètement, faire des chimères, est-ce légal en Suisse? Il semblerait que non, car la loi sur la procréation médicalement assistée semble interdire cela sans ambiguïté. Sauf que...un autre collègue avait publié il y a quelques temps dans la revue Bioethica Forum une analyse qui divergeait sur ce point.
Beaucoup de questions. Quelques très bonnes réponses dans l'émission. Allez l'écouter. Et vous avez peut-être un avis vous aussi. Dites-nous...
Quand nous parlons d'autonomie
Les valeurs d’autonomie, d’auto-détermination, et de liberté sont importantes. Elles figurent en bonne place dans nos décisions cliniques et dans les considérations des politiques de santé. Lorsqu’on les étudie sous l’angle philosophique, ces notions sont riches et complexes. Lorsqu’on les rencontre lors de discussions autour de cas cliniques ou de conférences, il arrive souvent qu’elles soient mal comprises. Leurs aspects les plus importants peuvent pourtant être parcourus assez rapidement. Je vais donc à nouveau m’inviter dans votre quotidien, le temps peut-être d’une pause café, pour rappeler certains points essentiels dans leur mise en œuvre.
Premier élément essentiel : respecter notre autonomie, c’est d’abord nous protéger contre des abus de pouvoir. Nous avons un droit fondamental à ne rien subir de la part d'autrui contre notre gré. Comme propriétaires de nous-mêmes, nous avons le droit d’opposer un refus à toute intervention sur nous. Les conditions ? Avoir compris les enjeux et être capable de discernement. Ce droit existe même quand l’intervention est clairement indiquée, voire vitale. En revanche, nous n'avons pas un droit symétrique à exiger des interventions. Protéger l'autonomie du patient c'est le protéger contre toute forme d'assujettissement, même bienveillant. Ce n'est pas faire tout ce qu'il veut, et surtout pas faire tout ce qu’il veut quelles qu'en soient les conséquences pour autrui.
En effet, notre liberté s’arrête où commence celle des autres. Respecter l’autonomie des patients ne signifie pas leur octroyer le droit d’imposer des obligations à des tiers. Un patient âgé et dépendant qui souhaiterait rester à domicile, par exemple, serait en droit de refuser une hospitalisation. Il n’aurait en revanche pas le droit d’exiger que les professionnels de la santé imposent à ses proches l’obligation de s’occuper de lui à domicile.
Cet exemple illustre aussi que les objectifs des patients dépassent ceux de la médecine. Lorsque nous demandons quelles interventions il convient d’utiliser ou de ne pas utiliser, de maintenir ou d’interrompre, les patients et leurs proches se focalisent plus globalement sur les circonstances de leurs vies. En fin de vie, leurs considérations incluent le souci de ne pas souffrir, mais aussi d’avoir complété sa vie, de contribuer à autrui, d’être respecté comme individu, de garder de bonnes relations, et de se trouver dans un lieu familier. Trop souvent, nos questions sont une sorte de liste à cocher d’intervention à accepter ou refuser. Il serait préférable de discuter des objectifs que la médecine peut soutenir, ou qu’elle risque d’entraver.
L’autonomie n’est pas un appel à l’égoïsme. Personne n'est contraint de prendre une décision importante dans un splendide isolement au nom de sa propre autonomie. Nos patients ont le droit de discuter leurs décisions si et avec qui ils le souhaitent. Ils ont même le droit de se laisser influencer. Nos décisions sont souvent prises en concertation avec d’autres. L'influence dont nous devons protéger nos patients est celle qu’ils subissent, et non celle qu'ils choisissent.
Finalement, l’autonomie doit inclure le droit de faire des erreurs. Respecter l’autonomie des patients, c’est reconnaître qu’ils sont comme nous des personnes qui font des choix dans leur propre vie. Comme tout le monde, ils peuvent se tromper. Certes, nous devons les aider à éviter, autant que possible, des erreurs graves. A la fin pourtant, nous ne pouvons pas les contraindre. C’est ainsi : sans droit de faire des erreurs, point de liberté…
La conscience des professionnels
Que des médecins, même de nombreux médecins, soient réticents ou carrément opposés à l'avortement, cela ne doit pas surprendre. Voilà un sujet qui divise toutes les sociétés, et il n'y a pas de raison que les médecins soient le seul groupe unanime sur la question. Oui, on attend de nos médecins qu'ils soient de vraies personnes avec des valeurs personnelles et que ces valeurs leur importent. Sur les enjeux où des valeurs entre en tension et nous divisent, il faut s'attendre à en trouver de part et d'autre de la question.
En même temps, il y a quand même un problème. Pour un médecin, avoir des valeurs personnelles est un droit et une nécessité, oui. En revanche, les imposer à ses patient(e)s ne l'est pas. Vouloir que nos patients se comportent comme s'ils étaient d'accord avec nous, c'est leur nier ce même droit que l'on revendique: celui d'avoir des valeurs personnelles dans une situation difficile. C'est même grave: c'est un abus de pouvoir. Et à ce titre c'est contraire aux exigences de la déontologie professionnelle.
Ce jeu d'équilibre entre nos valeurs personnelles et ce que l'on a le droit d'importer dans la consultation médicale, cela fait partie de ce que nous nous efforçons d'enseigner à nos étudiants en médecine. Oui, soyez des personnes vivantes avec des valeurs personnelles, scrutez-les, voyez-les évoluer au court de votre vie, reconnaissez qu'elles sont vitales et précieuses. En même temps, attention. Vous serez tentés de faire respecter ces valeurs, si importantes pour vous, par vos patients. Vous pouvez, jusqu'à un certain point seulement, essayer de les convaincre. Ensuite, vous devez exercer la retenue: reconnaissez que vos patients sont comme vous et que vous ne pouvez pas leur imposer votre point de vue. Ils sont à votre merci et cela augmente votre responsabilité envers eux. Vous ne pouvez pas en profiter.
Comprendre qu'il n'y a là aucune contradiction n'est pas facile, mais c'est possible. C'est ce que Véronique Fournier appelle, dans son beau livre sur la fin de vie, "le choix de l'accompagnement comme posture éthique". Pour ceux qui ne peuvent pas s'engager dans cette voie, il reste la possibilité de l'objection de conscience. Ce droit d'objecter au nom de sa conscience, cependant, comporte aussi des limites. C'est un droit à se retirer d'une situation. En aucun cas un droit à barrer la route à l'autre. C'est à la personne qui objecte d'assumer l'exigence de sa propre conscience et non aux patients. On doit référer ailleurs dans un délai 'raisonnable', qui ne fait pas payer au patient le prix de notre décision. Quand on ne le peut pas, on n'a pas le droit d'objecter.
Voilà des distinctions importantes et il semble que, pour les appliquer, il reste du chemin à faire...
La liberté de vendre des clopes
Apparemment, ça marche. Le projet de loi sur les produits du tabac a été récemment battu en brèche sur la base de cet argument. J'ai fait un billet à cette occasion, que vous trouverez ici. Je vous le remet comme d'habitude avec le lien.
Malades et toujours citoyens
"L’année de ma naissance, le philosophe américain John Rawls a énuméré ce qu’il appelait les biens primaires. Ces biens dont tout le monde a besoin. Certains sont naturels : parmi eux la santé bien sûr, mais aussi l’imagination ou l’intelligence. D’autres sont sociaux. Ils comprennent les libertés et les droits fondamentaux, la liberté de mouvement et le libre choix parmi un nombre large d’occupations, l’accès aux positions de pouvoir et de responsabilité, le revenu et la fortune, et celui qui d’après lui est le plus important de tous : les bases sociales du respect de soi. Il veut parler ici de la reconnaissance des citoyens par les institutions, qui sous-tend notre sens de notre propre valeur et la confiance de mettre nos projets à exécution. Selon lui, tous les citoyens ont un intérêt à obtenir plus de ces biens primaires. C’est la tâche d’une société d’évaluer à quel point ils y parviennent. C’est la manière dont ces biens sont distribués qui est la mesure d’un système politique.
Nous le savons tous, certaines maladies représentent ici une double atteinte. En plus d’ôter la santé, la maladie et surtout la chronicité rognent également les bases sociales du respect de soi. Quand la maladie est aiguë, c’est une parenthèse. On l’ouvre le temps de guérir, puis on la referme. Lorsqu’elle est chronique, c’est le restant de la vie qui peut glisser dans une sorte de citoyenneté de seconde zone.
Cela passe parfois par le regard de nos semblables. L’essayiste anglais Christopher Hitchens, mort récemment d’un cancer de l’œsophage, déplorait l’absence d’un guide de bonnes manières qui aurait régi les rapports entre les « habitants de la ville de la santé » et ceux de la maladie. Il y aurait mis des conseils comme n’adopter ni euphémismes ni déni avec les membres sa famille et de se rappeler avec les autres que « Comment ça va ? Ne vous met pas sous serment de donner une réponse complète ou honnête. » Il aurait aussi demandé aux personnes bien portantes de ne raconter qu’ « avec retenue » tout témoignage qui aurait concerné une maladie différente. On pourrait aussi ajouter, ne demandez pas à la personne malade de vous consoler, vous, de la peine que son mal vous cause. Les patients nous racontent certaines de ces maladresses. Ils nous racontent aussi comment certains de leurs amis disparaissent tout bonnement, faute de savoir comment éviter de les commettre. Le monde serait un tout petit peu meilleur s’il y avait au rayon des cartes de vœux une image un peu débile flanquée de l’inscription « je ne sais pas quoi dire mais je pense à toi » (et il y a d'autres exemples ici).
Cette atteinte passe cependant aussi par nos institutions. La maladie chronique limite la liberté de mouvement à ce qui est compatible avec l’accès au traitement. Le choix des occupations se fait humble. L’accès aux positions de pouvoir et de responsabilité ? Seulement dans des cas exceptionnels. Les bases sociales du respect de soi, quant à elles, devront faire façon de cette situation où les exigences du travail sont au mieux difficile à remplir, alors que nous continuons de le considérer comme le socle de notre identité. A chaque tournant, nos arrangements signalent qu’ils n’ont pas été pensés pour ces personnes. Le rôle qui leur est assigné, combattre la maladie et la vaincre, dévalorise ceux qui n’y parviennent pas entièrement et insulte les morts. A mesure que le cancer, mais aussi les maladies cardiaques et toute une série d’autres infirmités se soignent mieux, à mesure que se floute la distinction entre maladie et handicap, comment allons-nous intégrer ces concitoyens comme binationaux, détenteurs d’un passeport de la maladie en plus de leurs papiers ordinaires? La tâche est urgente et nécessairement politique ; reste à trouver qui s’en saisira…"
Mes collègues: légalisons le diagnostic préimplantatoire
"Comment décide-t-on qu'une mutation doit être dépistée par DPI ou non? Comment fixer la limite éthique de la sélection d'embryon?
Les critères ne sont pas foncièrement différents de ceux du dépistage et du diagnostic génétique prénatal qui portent donc sur un fœtus et non un embryon. De plus, le DPI implique de travailler sur une quantité minime de matériel génétique, donc, la faisabilité d'un test donné devient un critère décisif, ce qui contribue à restreindre l'application du DPI par rapport aux analyses génétiques classiques. La sélection d'embryons est motivée par l'absence d'une maladie génétique bien précise pour laquelle le couple a des antécédents et aussi par l'absence d'anomalies chromosomiques qui entravent le développement de l'embryon pendant la grossesse. Les trisomies 21, 18 et 13 sont aussi dépistables à cette occasion, comme d'ailleurs au cours de toute grossesse normale. On est donc très loin d'une sélection d'embryons qui viseraient à éviter des handicaps mineurs, voir à favoriser des traits physiques considérés comme désirables.
De plus, la nouvelle loi encadre la notion de maladie grave en précisant qu'il s'agit de maladies qui se déclarent tôt dans la vie et impliquent des souffrances importantes et des fardeaux particulièrement lourds. Pas question donc de dépister les futures personnes qui ont un risque accru de maladie d'alzheimer ou d'autres pathologies qui se déclarent à partir de l'âge mûr.
Dans les pays où il est autorisé, combien de couples en moyenne ont recours au DPI chaque année?
Nicolas Vulliémoz:
Nous disposons par exemple de données pour le Royaume-Uni, l'un des pays qui pratique le DPI depuis longtemps. Dans ce pays, 311 patientes ont eu recours au DPI en 2010 et 368 en 2011. Ce chiffre concerne les analyses sur les patientes porteuses d'une maladie génétique grave, comme la mucoviscidose.
Alexandre Mauron:
Le dépistage d'anomalies chromosomiques, c'est-à-dire non liées à une maladie monogénique (due à une mutation dans un gène particulier) peut faire augmenter le recours au DPI, mais de façon limitée car qui dit DPI dit fécondation in vitro et donc problèmes d'infertilité associés à des antécédents de fausses couches par exemple. Nul part, y-compris dans les pays les plus libéraux, il n'y a de DPI systématique chaque fois qu'il y a fécondation in vitro. Il faut des indications supplémentaires pour justifier le DPI comme dépistage des anomalies chromosomiques (dépistage des aneuploïdies). L'idée que des couples fertiles pourraient renoncer à faire des enfants selon la méthode traditionnelle et passer par la fécondation in vitro pour «sélectionner l'enfant parfait» relève du fantasme.
Bonjour, la question de l’eugénisme est certes mise en avant par les opposants. Pourtant, avec une loi plus large que le texte constitutionnel, n'y a-t-il pas un réel risque de sélection?
Il y a un malentendu sur le genre de sélections que le DPI rend possible. Ce qui a été présenté comme un élargissement de la loi par rapport au texte constitutionnel est motivé par le but d'augmenter le taux de succès de la fécondation in vitro. La sélection que le DPI rend possible est principalement celle d'embryons dépourvus d'anomalies majeures qui interrompront son développement bien avant la naissance. Le dépistage d'anomalies chromosomiques compatibles avec la survie, comme la trisomie 21, continuera d'être fait par les méthodes de dépistage prénatal classique qui s'adressent à toutes les femmes enceintes.
L'analogie avec l'eugénisme d'antan ne tient pas parce que celui-ci visait un effet sur la population en général et se servait de mesures autoritaires, comme la stérilisation des «indésirables». On est très loin des instruments actuels de diagnostic qui servent à donner aux femmes et aux couples un choix face à la perspective d'une maladie grave de leur enfant. Parmi toutes les méthodes d'analyse génétique existantes, le DPI est au fond celle qui a le moins de potentiel eugénique, précisément parce qu'elle est ciblée sur des catégories minoritaires de personnes, à savoir les couples qui ont des antécédents d'une maladie génétique précise et les couples infertiles qui ont une histoire clinique de fausses couches ou d'autres problèmes survenant au cours de la grossesse.
Bonjour, est-ce que le DPI permet de savoir si son enfant va voter à droite ou à gauche plus tard? Ou d'abord à gauche puis à droite et inversement? Merci de vos lumières scientifiques. G.
On se fait beaucoup d'illusions sur le pouvoir prédictif de l'information génétique. La génétique humaine est née de la médecine et elle est donc surtout bonne pour identifier les gènes impliqués dans des maladies. Elle est faible quand il s'agit d'identifier la base génétique éventuelle de traits de comportement. D'autant plus que ces traits de comportement sont souvent le résultat d'une interaction immensément complexe entre le génome, l'environnement et la biographie des personnes. Donc non, le DPI, ni la génétique en général ne permettront jamais de faire une telle prédiction."
Décidément, légalisons le diagnostic préimplantatoire
C'est aussi normal, ça. Vouloir interdire le DPI, ce n'est pas seulement vouloir défendre la vie des embryons. Si vous voulez interdire le DPI, vous ne voulez pas seulement éviter d'y avoir recours. Vous voulez aussi empêcher les autres d'y avoir recours. Vous voulez les contraindre à agir comme s'ils pensaient comme vous. Là est le hic, bien sûr... Car personne ne songe à rendre le DPI obligatoire. Il s'agit de savoir si cette option sera légale ou non. Si vous pensez qu'un embryon est une personne comme vous et moi, il est évident que vous n'allez pas avoir recours à cette technique. En revanche, on vous demandera s'il vous plait d'avoir le même respect pour ceux qui ne pensent pas comme vous.
Le peuple ne s'y est pas trompé l'an dernier. Les personnes qui ont recours au DPI n'ont pas de buts sinistres. Ce sont des personnes sensées, lourdement touchées par le sort. Certaines ont déjà perdu un enfant. Ces parents ne veulent pas un enfant parfait. Ils veulent un enfant tout simplement. Ces personnes méritent un peu de confiance. Il faut évidemment voter oui une nouvelle fois.
La RTS a fait un petit sujet au téléjournal l'autre jour. Il clarifie bien ce dont il s'agit. Regardez-le et dites-nous ce que vous en pensez. Et au passage, vous avez vu qu'ils ont quand même réussi à glisser une référence à GATTACA? Terrible, ça. Car évidemment le DPI ça ne permet en rien de manipuler les gènes des embryons. On regarde, juste. Et ça ne permet pas non plus de sélectionne un 'enfant parfait', évidemment. Il faudrait pour cela avoir un nombre d'embryons nettement plus grand que ce qui est possible. Un peu comme si certaines personnes pensaient, finalement, que les ovules sont aussi nombreuses que les spermatozoïdes. Eh bien non, ce n'est pas le cas, et cela veut dire que même si des savants fous avec un sinistre projet eugéniste existaient vraiment, ils se casseraient les dents sur cette limite...
Légalisons le diagnostic préimplantatoire
Comme nous allons voter à nouveau, et même si c'est sur la même question, un rafraîchissement est utile. Je me suis livrée à l'exercice dans Le Temps. Le lien est derrière le texte:
Maintenir l’interdiction du diagnostic préimplantatoire, c’est accabler les quelques parents concernés, sans réellement protéger personne. Le peuple l’a compris l’an dernier, lorsque nous avons largement accepté l’article constitutionnel. La loi sur la procréation médicalement assistée, sur laquelle nous voterons le 5 juin prochain, avait alors déjà été acceptée par le parlement. On a donc pu se prononcer en connaissance de cause.
Le diagnostic préimplantatoire, la plupart des pays d’Europe l’autorisent déjà. Sous l’angle technique, c’est une méthode pouvant être utilisée lors d’une fertilisation in vitro et qui ne concerne donc potentiellement que 2% des naissances en Suisse. Il permet d’analyser certaines caractéristiques génétiques d’un embryon très précoce pour décider s’il sera implanté, ou non.
Il y a deux raisons de faire cela, et les analyses autorisées seront limitées à ces deux raisons. La première est d’améliorer le taux de succès de la PMA. Certaines anomalies chromosomiques empêchent le développement normal de la grossesse. A ce stade, on ne fait pas une analyse fine. En termes géographiques, on regarde le nombre de cantons sur la carte. On peut voir s'il y en a un qui manque, ou s'il n'a pas la bonne forme, on ne voit pas s'il manque une personne ou qui a déménagé. Dépister ces anomalies, c’est éviter des fausses couches.
La seconde raison d’utiliser le diagnostic préimplantatoire, c’est qu’il permet de diagnostiquer des maladies génétiques. Là, en termes géographiques, on regarde si une personne spécifique est à la bonne adresse. Actuellement, les personnes qui savent qu’elles risquent de transmettre une maladie grave à leur descendance peuvent avoir recours au diagnostic prénatal et à l’interruption de grossesse. Lorsqu’un couple a recours à la PMA dans cette situation, la voie légale en Suisse leur dicte de commencer une grossesse « à l’essai ». Le recours au diagnostic préimplantatoire éviterait ces grossesses et ces avortements.
L’interdiction actuelle du diagnostic préimplantatoire accable donc les couples concernés. En même temps, cette interdiction protège des embryons précoces contre une conception sans implantation. Ceux qui mettent les intérêts de ces embryons devant ceux des couples s’opposent donc à l’autorisation de cette technique.
Qui d’autre est protégé par l’interdiction du diagnostic préimplantatoire ? En fait, personne. Le diagnostic préimplantatoire ne permet pas d’avoir un «enfant parfait». Il faudrait pour cela être capable de tout voir dans les gènes puis de choisir parmi un nombre immense d’embryons. Impossible de voir autant, c’est une limite technologique. Impossible d'obtenir autant d'ovules, ici c'est une limite biologique.
Interdire le diagnostic préimplantatoire ne protège pas non plus les personnes vivant avec un handicap. Les associations de défense du handicap ont alerté sur le risque de stigmatisation si des maladies venaient à être étiquetées comme raison de ne pas implanter un embryon. Ce souci a été entendu. Le cadre légal est neutre, strict, extraordinairement prudent, et ne fera aucun mal aux personnes qui vivent avec un handicap. Continuer d’interdire le diagnostic préimplantatoire ne leur serait en fait d’aucun secours. Refuser la loi serait une mesure alibi, tout juste bonne à nous donner un semblant de bonne conscience à bon marché. Cette impression d’avoir bien fait, on se l’offrirait sur le dos de parents déjà lourdement frappés par le sort, et de couples qui ne veulent rien d’autre qu’un enfant, tout simplement.
La décision de juin dernier était sage : il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire.
Le secret comme protection pour tout le monde
Et comme d'habitude, le texte et le lien:
Acharnement thérapeutique
J'ai donné cette semaine une conférence sur l'acharnement thérapeutique au congrès Quadrimed. C'est un sujet qui peut, à première vue, sembler évident. L'acharnement thérapeutique? Voyons: tout le monde est contre! Vu de loin, tout semble clair. L'ennui, c'est que ce n'est que de loin que tout semble clair.
Car que veut-on dire par là? On veut en général parler des interventions médicales déraisonnables qui font plus de mal que de bien. Quand on regarde de plus près, cela dit, ce n'est pas du tout évident de savoir quand une intervention médicale cesse d'être utile pour devenir inutile ou nuisible. Il y a des cas clairs, bien sûr, mais ils ne le sont de loin pas tous. Lorsqu'ils ont l'air de l'être, c'est souvent de loin, lorsqu'on n'en voit pas les détails et qu'on n'en ressent pas les incertitudes, les nuances affectives.
Que faire par exemple quand un traitement aide peu pour savoir si c'est assez ou non? Comment faire quand on doit choisir entre différents buts importants, sans pouvoir les viser tous? Rester plus longtemps en vie, mais dans quel état? Rester plus longtemps chez soi, mais au prix de combien de risque? L'essayiste américain Atul Gawande, dont le livre "Being mortal: medicine and what matters in the end" devrait être dans toutes nos bibliothèques, recommande de se poser, et de poser aux malades, cinq questions en prévision de notre fin de vie:
1) Comment comprenez-vous votre maladie et où vous en êtes?
2) Quelles sont vos craintes et vos soucis pour l'avenir?
3) Quels sont vos espoirs et vos priorités?
4) Quels résultats seraient inacceptables pour vous? Que seriez-vous d'accord de sacrifier, ou pas d'accord de sacrifier?
5) A quoi ressemblerait une bonne journée?
Des questions difficiles, et que l'on ne pose pas assez souvent. Du coup, pour toutes sortes de raisons, les professionnels et les proches des patients se laissent, encore aujourd'hui, piéger par l'acharnement thérapeutique.
Plusieurs collègues m'ont demandé mes dias, alors je vous les met ici. C'est un sujet difficile, qui peut diviser. Si quelque chose vous heurte, venez nous le dire dans les commentaires. C'est un sujet dont il est important de parler.